Il est temps de mettre le « livre blanc » au rencart
Déconstruisons le contexte racial et historique entourant ce terme controversé.
Questionnées par des membres de la communauté et des organisations partenaires quant à notre utilisation du terme « livre blanc », les titulaires de Chaire pour les femmes en sciences et en génie ont entamé une quête dans le but de mettre au jour l’historique du terme et de recueillir des données sur son utilisation et sa perception.
Notre équipe de recherche a ainsi appris que le terme « livre blanc » est utilisé par une diversité de milieux professionnels pour décrire un document rendu public en dehors de la publication traditionnelle. S’il servait initialement à coucher par écrit les orientations politiques d’un gouvernement, le « livre blanc » désigne maintenant tout document visant à informer et à orienter la prise de décisions. On le rencontre donc au gouvernement, en politique, dans le milieu universitaire, en entreprise et dans les domaines techniques. Cela dit, il n’y a pas de définition universelle. Comme le terme est vague, il ne suffit pas à traduire le contenu ou les objectifs d’un projet donné de manière transparente. Selon des spécialistes de la bibliothéconomie, il n’y a actuellement aucune manière normalisée de classifier les « livres blancs ».
Si sa signification historique n’est pas la même au Canada que dans d’autres pays, c’est en raison d’un document bien précis : le Livre blanc de 1969 (son nom officiel est La politique indienne du gouvernement du Canada, 1969), qui désigne le document d’orientation du gouvernement canadien proposant de modifier la Loi sur les Indiens, auquel se sont vigoureusement opposées les personnes autochtones.
Les écrits faisant état de préjugés où le blanc est associé au bien et le noir, au mal, remontent aux années 1970. Cette utilisation du blanc et du noir pour dénoter le bien et le mal est une pratique qui se fonde sur les préjugés raciaux. Le fait d’assimiler le blanc à l’autorité sous-entend que la race est gage de supériorité. Quelle que soit l’intention des auteurs et autrices ou l’origine historique du terme, « livre blanc » pose problème parce qu’il est destiné à connoter l’autorité.
Nous avons consulté des spécialistes de partout au pays (universitaires, chercheurs et chercheuses, bibliothécaires, leaders autochtones, spécialistes des politiques scientifiques et figures d’influence en matière de racisme et de décolonisation) lors d’une réunion visant à explorer l’utilisation du terme et à recueillir des points de vue personnels et professionnels sur l’adoption d’une nouvelle appellation.
Le groupe a convenu que l’utilisation générale de « blanc » pour connoter l’autorité représentait un problème et que les hiérarchies derrière la création des « livres blancs » sont perçues comme des vestiges de la colonisation. Le terme exclut certains groupes et évoque le racisme, le privilège, le pouvoir et l’oppression.
Après discussion, le groupe a proposé trois voies possibles. La première option consiste à remplacer « livre blanc » par un terme universel. L’« énoncé de position » évoque le contexte, tandis que le terme « mémoire » dénote les enjeux et les positions adverses, de même qu’un éloignement de la nature hiérarchique qu’ont les titres savants. Cela permettrait sans doute de ratisser plus large auprès du lectorat. Le groupe a aussi suggéré de remplacer « document » par « ressource », qui engloberait également les communications non écrites comme les vidéos ou les représentations visuelles. La deuxième option consiste à utiliser des noms précis pour décrire le type de document, bref, à intituler le document selon ce qu’il est : enquête, politique, consultation, étude de cas, document technique, etc. La troisième option consiste à accoler au nouveau générique le type de document, ce qui permettrait de couvrir différents cas de figure. Par exemple, un terme universel serait suivi par une catégorie précise : « Mémoire – Document technique ».
Nous avons jusqu’ici déconstruit le terme et jeté les bases pour remplacer « livre blanc ». Les mots employés devront être inclusifs et sensibles au contexte historique. Employer « blanc » comme synonyme de l’autorité est tout le contraire de l’inclusion.
Pour guérir les blessures du passé et appuyer le processus de réconciliation, nous proposons de cesser l’usage du terme « livre blanc » et de créer de nouvelles pratiques de titrage en phase avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation.
En attendant d’atteindre le consensus sur une nouvelle normalisation, nous préconisons l’emploi de noms précis décrivant le contenu du document ou de la ressource. En intégrant ainsi des descriptifs aux titres de ressources, nous parviendrons à mettre fin à l’utilisation du terme raciste « livre blanc » tout en suscitant le consensus autour d’un terme universel.
Nous rendons respectueusement hommage à la nation Syilx Okanagan et à son peuple, dont le territoire traditionnel, ancestral et non cédé est occupé par le campus Okanagan de l’Université de la Colombie-Britannique, et aux Mississaugas de la Première Nation Credit, dont le territoire traditionnel, ancestral et non cédé a accueilli la réunion du groupe de discussion.
Jennifer Jakobi est professeure à la Faculté de la santé et du développement social de l’Université de la Colombie-Britannique, campus Okanagan. Elle est également titulaire de la Chaire pour les femmes en sciences et en génie du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (Colombie-Britannique et Yukon).
Postes vedettes
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
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3 Commentaires
Encore un débat qui discrédite le travail essentiel des gens qui veulent progresser la vie collective.
Tous ces débats extrêmes comme ceux pour faire abolir le terme de « patrimoine » dans le langage gouvernemental, qui s’insurgent contre le nom de « La bonne élève » pour une bière sans alcool conçue en partenariat avec l’UQAM, et maintenant « Livre blanc » sont finalement nuisibles et contre-productifs.
D’une part, la langue est un outil de communication ancré dans le présent. Par exemple, lorsqu’on parle de patrimoine, on utilise le mot pour parler du patrimoine culturel, du patrimoine bâti, du patrimoine immatériel, etc. Pour la totalité des utilisateurs, le mot patrimoine signifie un « avoir commun » qui peut s’appliquer à l’avoir commun d’un couple, d’une famille, d’une collectivité culturelle, sociale, politique, et ainsi de suite. Personne ne pense, en entendant le mot, qu’il s’agit d’un legs par lignée patriarcale.
Alors, lorsque une militante féministe de grande notoriété politique (de QS) affirme qu’il faut bannir ce mot de notre langage parce qu’il est sexiste et qu’il réfère à une passé patriarcal toxique, elle surprend tout le monde. Le problème est que le raisonnement est tellement hors de la compréhension collective du mot et de son usage actuel que l’argumentation donne l’impression que les féministes sont des personnes déconnectées de la réalité. Cela fait perdre une bonne part de crédibilité aux arguments et aux raisonnements pertinents dans la société actuelle.
Les personnes convaincues et militantes à l’extrême seront sensibles et d’accord avec la charge. Mais ce ne sont pas elles qu’il faut convaincre de réfléchir et de changer leur point de vue sur les enjeux significatifs. Il s’agit de Monsieur et Madame Tout-le-monde. Des gens ordinaires qui ne voient pas nécessairement certaines inégalités à corriger dans nos relations sociales. Et ces personnes que l’on voudrait convaincre sur des enjeux importants perçoivent les activistes comme des extrémistes déconnectés.
Lorsqu’une personne à la tête d’un organisme qui devrait être une figure de proue du féminisme se lance dans une argumentation presque délirante (pour la majorité des gens) sur le nom de la bière « la bonne élève », elle vient de perdre une grande part de sa crédibilité sur les autres sujets. Et cela affecte l’ensemble de l’organisation qu’elle représente. Non pas auprès des « déjà convaincus » (qui vont l’appuyer), mais bien auprès des « à convaincre » (qui seront moins réceptifs).
On est dans cette même logique avec le « Livre blanc ». Dans la vraie vie actuelle, tout le monde perçoit le terme comme désignant un document de base, un document d’orientation; personne ne fait de référence avec du racisme parce que dans les faits, personne ne connaît cette histoire. Lancer un tel débat ne fait que réduire la crédibilité de la chaire sur des sujets d’importance actuelle.
La langue est en constante évolution. Les mots sont des éléments d’un code où les signes prennent leur signification dans une dynamique de signifiant/signifié qui fluctue dans le temps et l’espace. Le lien à considérer entre le signe et son référent est celui qui existe maintenant, en non celui qui existait autrefois. Sinon, il faudrait partir en guerre contre toute participation à des congrès et les interdire à toute personne mineure! En effet, si l’on remonte à l’origine du mot (comme ici pour le livre blanc), on se retrouve dans une situation d’orgie sexuelle. Qui irait se battre en toute crédibilité contre les invitations à un « congrès » en utilisant cet argument?
À lire ce genre de « déconstruction » qui constitue une sorte d’inquisition prétendant contrôler l’usage des mots on ne peut que demander que soit marquée d’une « pierre blanche » la date de parution de ce texte qui s’ajoute ainsi aux « journées noires » de la pseudo-science.
Ça devient obsessif cette manie de vouloir tout annuler alors que l’on indique clairement que « le « livre blanc » désigne maintenant tout document visant à informer et à orienter la prise de décisions. » Où est vraiment alors le problème? C’est rendu que la seule utilisation d’une couleur devient sujet à bannissement. Je connais personne qui pense qu’un « livre blanc » est raciste, on pousse de plus en plus la note et fini à long terme par censurer les discours.