Le leadership en matière d’équité raciale à l’ère de la COVID-19

Dans sa première chronique, Malinda Smith examine de quelle façon la pandémie a révélé les disparités et les écarts en matière de connaissances dans les universités et la société.

25 février 2021
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Ayant consacré la majeure partie des dix dernières années à faire de la recherche, enseigner et écrire sur le manque de diversité dans le processus d’embauche des universités canadiennes, l’attribution des chaires de recherche et la distribution de prix importants, et en particulier dans la composition de la direction, je me suis rangée « du côté adverse ». Je suis devenue l’une des rares universitaires noires à occuper un poste de haut rang dans l’administration universitaire canadienne. Avant cela, j’ai longtemps été la seule professeure noire dans mon domaine. Aujourd’hui, nous sommes cinq, disséminées ici et là au Canada.

Devenir la première vice-provost à l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) à l’Université de Calgary signifiait pour moi un déménagement, un changement d’université et la recherche d’un nouveau foyer, alors que deux bouleversements majeurs se déroulaient simultanément : une pandémie et une prise de conscience raciale résultant du décès de George Floyd dans des circonstances atroces.

En poste depuis près de six mois, je n’ai pas encore eu l’occasion de m’entretenir en personne avec la plupart de mes collègues ni de prendre le café ou de déjeuner avec eux dans le nouveau bureau que je suis en train d’aménager. Cette expérience a été une leçon d’humilité, et je continue de découvrir, à distance, comment fonctionne mon nouvel établissement. Mes collègues sont compréhensifs, mais plusieurs nouveaux administrateurs ont du mal à s’adapter, et certains ont quitté leur poste après quelques mois.

Cette nouvelle réalité universitaire et administrative touche toutes les générations; d’ailleurs, le contexte actuel a créé une « génération COVID ». Le Rapport sur les risques mondiaux 2021 du Forum économique mondial mentionne les frustrations et les risques pour la « génération pandémie », ces jeunes qui vivent à l’ère de l’isolement et des occasions perdues. Que ce soit à la maternelle, au secondaire ou à l’université, qu’il s’agisse d’étudiants étrangers dans différents fuseaux horaires, de doctorants au parcours suspendu ou de nouveaux membres du corps professoral qui doivent donner leurs cours à distance, cette génération COVID fait face à une incertitude sans précédent, est plus vulnérable, court des risques accrus et vit des pertes immenses. Et tous ces problèmes peuvent avoir des conséquences intergénérationnelles majeures sur les groupes en quête d’équité.

Ce contexte surréaliste oriente ma perspective des activités de recherche et administratives, car il m’a sensibilisée à la façon dont les disparités naissent dans les universités et la société. Il a aussi révélé le manque de données et de connaissances sur les groupes minoritaires, les groupes racisés en particulier. Le racisme, le profilage racial et les décès parmi les membres de la communauté noire ont poussé les membres du mouvement Black Lives Matter, mais aussi les étudiants, à souligner l’urgence de renforcer la littératie raciale pour combattre le racisme individuel et systémique.

Puisqu’il a été filmé, nous avons assisté au décès de M. Floyd sous le genou d’un policier. Plus tard, nous avons entendu les insultes proférées à Joyce Echaquan, qui gisait mourante dans un lit d’hôpital au Québec. Nous avons constaté avec quelle banalité et quelle cruauté les personnes chargées de veiller à notre sécurité, à notre santé et à notre bien-être commettent des actes racistes violents. Ces vies perdues nous rappellent les conditions préexistantes de l’iniquité, parmi lesquelles la pandémie sous-jacente de violence faite aux femmes et, surtout, le racisme lié à la COVID-19 contre les personnes d’origine chinoise.

Le contexte actuel a aussi démontré que le déni ou le silence complice des titulaires de charges publiques contribue à soutenir un environnement où le racisme n’est pas réprimé. Le déni alimente l’ignorance des effets du racisme – et de l’existence d’une hiérarchie raciale dans notre société et nos établissements – et explique pourquoi si peu a été fait pour le combattre.

Le Canada doit s’engager à atteindre l’équité raciale. Malgré trois décennies de lutte pour l’équité en matière d’emploi et la création de nombreux groupes de travail sectoriels sur les relations interraciales et l’antiracisme, les universités commencent seulement à élaborer des mécanismes contre le racisme et la discrimination raciale, à recruter des conseillers et à concevoir des stratégies d’équité raciale.

Dans The Equity Myth (UBC Press, 2017), mes coauteurs et moi-même faisons remarquer que peu importe l’angle sous lequel la représentation est examinée – nombre et rang des personnes racisées et des Autochtones au sein du système universitaire, revenu par rapport à leurs collègues blancs, expériences quotidiennes de travail ou interactions avec leurs collègues ou les étudiants –, les résultats sont sensiblement les mêmes. Les professeurs racisés et autochtones sont, dans l’ensemble, peu nombreux, et leur discipline ou domaine d’expertise a peu d’influence ou de prestige au sein de l’université.

Au cours de cet été marqué par les tensions raciales, de nombreuses universités ont publié une déclaration antiraciste. Jamais autant de voix universitaires n’avaient jusque-là dénoncé le racisme et reconnu comme un problème auquel elles devaient s’attaquer. Certains dirigeants universitaires ont tenu, pour la première fois, des séances « d’écoute et d’apprentissage » avec les étudiants, les professeurs et les membres du personnel noirs de leur établissement. Plusieurs ont embauché des conseillers et créé des plans d’action pour lutter contre le racisme anti-Noirs, alors que d’autres élaborent des stratégies pour atteindre l’équité raciale. Un certain nombre de pratiques prometteuses, que j’aborderai dans une autre chronique, ont vu le jour. Toutefois, des failles inquiétantes sont aussi apparues.

La première faille concerne la conception, l’infrastructure et les ressources. De nombreuses initiatives présentées sont ponctuelles et à court terme. Les nouveaux conseillers manquent de ressources, n’ont aucune structure d’EDI sur laquelle s’appuyer ou ne sont pas reliés à l’infrastructure ou au plan stratégique de l’établissement. Il faudra surveiller ce qu’il adviendra d’eux lorsqu’un autre problème monopolisera l’attention.

La deuxième n’est pas nouvelle et concerne l’écart entre la question dominante de l’égalité des sexes et celle des « autres groupes en quête d’équité ». Ces deux questions sont traitées de manière distincte et inégale par les universités depuis des décennies. Favoriser l’équité raciale signifie révéler le manque de données et de connaissances, la nécessité d’un changement de culture et l’importance d’embaucher du personnel qualifié au fait des questions raciales et possédant des compétences en matière d’antiracisme. Le bouleversement des habitudes provoque un malaise et peut mener à une résistance et à une réaction brutale.

La troisième faille concerne les conséquences des initiatives de lutte contre le racisme anti-Noirs sur les programmes de mobilisation, l’infrastructure et les ressources destinés aux Autochtones. Plusieurs craignent que les initiatives de lutte contre le racisme anti-Noirs remplacent ou retardent les initiatives s’adressant aux Autochtones ou vice versa.

Il est difficile de déterminer si les universités, dans l’urgence d’agir, ont analysé ces répercussions. Si les intérêts communs ne sont pas compris et si les liens entre ces programmes ne sont pas largement facilités, les craintes et les tensions peuvent provoquer des conflits, voire anéantir les efforts modestes déployés pour accroître l’EDI sur les campus.

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