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La vigilance est de mise en matière d’administration universitaire

Les auteurs d’un ouvrage mettent en garde contre les dérives d’un modèle universitaire calqué sur l’entreprise.

par CATHERINE COUTURIER | 22 JUILLET 19

« Depuis les années 1980, on observe une convergence dans le modèle des universités, qui adoptent de plus en plus les traits d’une entreprise », affirme Louis Demers, professeur à l’École nationale d’administration publique. Celui-ci, avec les professeurs Jean Bernatchez (Université du Québec à Rimouski) et Michel Umbriaco (Université TÉLUQ), codirige le livre De l’administration à la gouvernance des universités : progrès ou recul?, qui fait suite à un colloque sur le même thème qui s’est déroulé lors du congrès de l’Association francophone pour le savoir de 2016.

Le livre, publié aux Presses de l’Université du Québec en avril dernier, présente une vision d’ensemble, en plus de s’attarder à trois études de cas québécoises : la désignation de cadres universitaires à l’Université du Québec en Outaouais, le projet de décentralisation des pouvoirs de l’Université du Québec à Montréal et celui de la réforme de la Charte de l’Université de Montréal. « Ce que je trouve fascinant en tant que recteur et membre du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI), c’est la diversité de nos milieux », constate Pierre Cossette, recteur de l’Université de Sherbrooke et nouvellement élu président du BCI. « Je crois qu’il faut donc rester prudent avec toute généralisation. »

Une tendance à la hausse

Le livre tire des conclusions semblables à celles d’une autre étude parue en début d’année : les universités sont de moins en moins autonomes et font face à un manque de confiance de la part des gouvernements, qui s’accompagne d’une augmentation des redditions de compte. « Ce n’est pas une situation unique au Québec. On observe la même chose ailleurs au Canada et dans le monde – en Australie, en France, en Angleterre… », précise M. Demers.

Pour mieux comprendre cette transformation, les auteurs des différents chapitres retracent l’évolution du modèle universitaire à travers les siècles et définissent la gouvernance, au-delà du buzzword. Sous l’influence du néolibéralisme et de la mondialisation, ils remarquent ainsi depuis les années 1980 la disparition d’un mode de direction de type collégial, basé sur la confiance. « Dans les années 1960, les professeurs pouvaient faire entendre leur voix dans toutes sortes d’instances », rappelle M. Demers.

Depuis, la centralisation des pouvoirs au détriment des instances collégiales a amené un mode d’administration hiérarchique, se traduisant par la multiplication des postes de gestion et de cadres (vice-recteurs, vice-recteurs adjoints, chefs de cabinet, etc.) et le recrutement de membres externes « indépendants » pour siéger aux conseils d’administration. Une opposition gouvernance/administration et collégial/entrepreneurial que tient à nuancer le directeur du BCI. « Je ne vois pas nécessairement d’opposition entre collégial et entrepreneurial; ces deux éléments vont de paire. Il faut garder l’indépendance de l’université, mais elle doit rester ancrée dans les besoins », affirme-t-il.

Reddition et compétition

Gouvernance rime également avec régulation, constatent les auteurs de l’ouvrage. « Aux États-Unis, les formes de redditions de compte sont considérables. entreprise, qui doit rendre compte de ce qu’elle produit », explique M. Demers. « La microreddition de comptes est une des dérives de ce modèle », acquiesce M. Cossette. « Pendant ce temps-là, [les professeurs] ne font pas leur travail. Ça ne tient pas la route de ne pas demander de reddition, mais il faut un équilibre », ajoute-t-il.

Les changements dans la façon de financer l’université forcent par ailleurs les établissements à entrer en compétition les unes contre les autres et les étudiants sont perçus comme des clients. « Je ne suis pas contre en principe, mais je relève un risque : si l’université ne devient qu’utilitaire, et que l’on concentre nos efforts dans des domaines plus avantageux sur le plan économique, à terme on gruge les bases sur lesquelles l’université a été bâtie », souligne M. Demers.

Progrès ou recul?

Progrès ou recul, donc? L’université comme organisation serait passée d’une institution conviviale, basée sur la confiance à un modèle de contrôle croissant, et présentant un écart croissant entre la haute direction et les travailleurs. « Ça, c’est un recul pour nous », explique M. Demers. « Si ce mouvement s’accentuait, il y un risque que les professeurs cesseraient d’être au cœur de l’université. »

« Investir en enseignement supérieur demeure une des clés de la richesse au sens large d’une société », rappelle aussi M. Cossette.

La vigilance est de mise, pour éviter que cette tendance se transforme en réalité, croit Louis Demers. Et pour que l’université demeure un lieu de pensée critique, de recherche fondamentale et de liberté.

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