Métavers : des informaticiens livrent leurs réflexions sur l’avenir possible de l’Internet
La clé du succès repose sur la prise en considération d’une foule de facteurs comme l’accès égalitaire, le respect de la vie privée et le bien-être physique et mental.
Depuis que Meta (anciennement Facebook) a annoncé en octobre dernier son intention de créer un « métavers », les hypothèses vont bon train : à quoi pourrait-il bien ressembler? Quelle place aura-t-il dans nos vies? Meta, elle, rêve d’un réseau de mondes virtuels immersifs, tridimensionnels et interopérables, fondés sur l’intelligence artificielle, où nous nous réunirons pour travailler, nous divertir, faire des achats et socialiser.
Parmi les technologies qui permettront vraisemblablement de concrétiser le métavers, citons la réalité virtuelle, la réalité augmentée, les jeux vidéo créés par les utilisateurs et la chaîne de blocs. D’autres technologies pourraient voir le jour, notamment des interfaces à partir desquelles l’utilisateur contrôle des applications par la pensée grâce à un électroencéphalogramme ou d’un capteur implanté. En principe, ces technologies se marieront pour créer des espaces virtuels d’un réalisme étonnant qui s’intégreront avec harmonie à notre vie hors ligne, ou encore qui la remplaceront en partie.
Pour mettre en œuvre ses grandes ambitions, Meta a récemment entrepris de soutenir la recherche qui « fait progresser les innovations nécessaires à la construction du métavers » en accordant une enveloppe de 510 000 dollars à 17 laboratoires informatique dans 11 universités canadiennes. Les chercheurs sont libres d’utiliser ces 30 000 dollars pour financer leurs recherches sur l’interaction personne-machine, l’intelligence artificielle et les technologies numériques de la prochaine génération comme bon leur semble.
Selon les informaticiens, le succès du métavers dépendra surtout de la rigueur avec laquelle seront conçus et développés son infrastructure, ses fonctionnalités et ses services. À leur avis, pour viser juste, un bon équilibre devra être atteint entre les intérêts commerciaux de Meta et des autres entreprises qui participent au mouvement, et les besoins des utilisateurs. Ils ajoutent que pour y parvenir, il faudra tenir compte de divers facteurs, dont l’accès égalitaire, le respect de la vie privée, le bien-être physique et mental et la fonctionnalité. Leur expertise fait la lumière sur les possibilités et les défis qui attendent l’initiative, mais également sur les mesures à prendre afin de créer un métavers fonctionnel, inclusif, décentralisé et sain.
Faire avancer l’IA
Pour Richard Sutton, professeur d’informatique de renom à l’Université de l’Alberta, notre capacité à exploiter le plein potentiel du cyberespace dépendra des progrès réalisés dans le domaine de l’intelligence artificielle, c’est-à-dire de la façon dont nous parviendrons à faire exécuter par des robots des tâches habituellement réservées aux humains. M. Sutton est l’un des fondateurs de l’apprentissage par renforcement, une branche de l’apprentissage machine où les robots acquièrent un comportement optimal en interagissant avec leur environnement par essais et erreurs, pour ensuite être récompensés ou punis en fonction de leurs actions. Cette pratique diffère considérablement du paradigme dominant de l’apprentissage automatique supervisé, selon lequel la machine s’appuie sur un ensemble de données étiquetées qu’un humain a programmé pour reconnaître des tendances et faire des prédictions.
« L’apprentissage par renforcement est plus naturel », note M. Sutton, qui est chercheur principal au laboratoire d’apprentissage par renforcement et d’intelligence artificielle de l’Université. « C’est d’apprendre comme le ferait un animal ou un humain : en interagissant avec son environnement pour découvrir ce qui provoque de bons ou de moins bons résultats… C’est la façon standard dont le cerveau traite les récompenses. »
Après des décennies de recherche, M. Sutton croit que les robots formés par renforcement pourraient être à la source des services qu’on pourrait s’attendre à retrouver dans le métavers. Ceux-ci pourront donner des conseils sur les placements en bourse, jouer le rôle d’un personnage dans un jeu vidéo ou vendre des articles en magasin sous forme d’avatar.
« Nous avons besoin de systèmes intelligents capables de tenir compte de nos commentaires afin de nous aider à prendre des décisions éclairées, explique M. Sutton. Ils devraient connaître notre objectif et tenter de l’atteindre. »
La fin du 9 à 5
Pour bon nombre de gens, le métavers aura une incidence sur leur gagne-pain. Selon l’informaticienne Joanna McGrenere, la technologie numérique a déjà brouillé les frontières qui séparent nos vies personnelle et professionnelle, une tendance accélérée par le phénomène « Zoom » né de la pandémie. Le métavers ne peut qu’exacerber cette tendance.
« Je peux imaginer que l’on puisse très vite perdre la notion du temps dans le contexte immersif envisagé pour le métavers, et s’y absorber à tel point que ça en devienne malsain », met en garde celle qui est aussi responsable du groupe de recherche eDAPT de l’Université de la Colombie-Britannique et bénéficiaire d’une subvention de Meta. « Je pense que les gens seront de plus en plus nombreux à avoir besoin d’aide pour évaluer la gestion de leur temps au travail et déterminer si elle correspond à leurs objectifs de productivité, tout en tenant compte de leur bien-être. »
Voilà la conclusion tirée d’un rapport de recherche portant sur la nécessité de revoir les indicateurs de productivité du fait de la croissance des exigences cognitives et du manque de temps qui caractérisent notre ère numérique hyperconnectée. Pour le rapport publié en 2020 et corédigé par Mme McGrenere, les chercheurs ont interrogé 40 travailleurs du savoir sur leur productivité personnelle, leur définition d’une bonne gestion du temps au travail et leurs impressions relatives au temps qu’ils y consacrent. Dans le cadre d’une refonte potentielle des outils de productivité, « nous souhaitons faire valoir l’intégration du suivi des émotions ainsi que l’importance de l’autoréflexion, en complément de la comptabilisation automatique » des heures de travail, soulignent les auteurs.
« En consignant nos impressions sur la répartition de notre temps dans un outil léger et convivial pour ensuite y réfléchir à la fin de la journée, on pourrait constater que la forme n’est pas au rendez-vous à la fin de la semaine lorsqu’on a passé 15 heures par jour dans le métavers, ou au contraire, que l’on se sent bien. Cela nous permettrait de trouver la formule qui nous convient le mieux », poursuit Mme McGrenere.
Favoriser le bien-être
Rita Orji convient qu’il faudra promouvoir le bien-être dans la prochaine itération de l’Internet, non seulement au travail, mais aussi dans toutes les sphères de la vie, et que cela exigera de nouvelles façons de voir et de faire les choses. La chercheuse en informatique dirige le laboratoire d’informatique persuasive de l’Université Dalhousie, qui étudie les moyens de concevoir des technologies interactives et personnalisées, comme des applications et des jeux, qui mettent de l’avant la santé et le bien-être, en particulier parmi les groupes mal desservis. Ces temps-ci, ses travaux s’articulent autour des jeux de persuasion pour prévenir les maladies et des interventions faisant appel aux réalités virtuelle et augmentée dans le but d’encourager l’adoption de comportements sains.
Si toute innovation technologique engendre son lot de possibilités et de problèmes, la chercheuse est optimiste quant au rôle que pourrait jouer le métavers dans l’offre de services de santé personnalisés, conviviaux et accessibles. Plus précisément, elle estime qu’on pourrait observer des effets positifs, tels qu’un meilleur suivi de notre santé physique et mentale, des incitatifs à adopter des comportements sains, un appui aux prestataires de soins de santé durant le diagnostic et le traitement des patients, ainsi que la « promotion du bien commun de tous », dans ses mots.
« Ce qui me passionne vraiment, c’est de trouver comment concevoir des applications numériques qui autonomisent les gens et améliorent des vies, et dont l’intelligence permet de comprendre le contexte spécifique d’une personne », confie la titulaire de la Chaire de recherche du Canada en technologie persuasive et bénéficiaire de la subvention de Meta.
Pour réussir, il faudra contourner un des écueils des technologies et éviter de créer des applications au service d’intérêts ou de groupes restreints, ou, comme l’illustre Mme Orji, d’une « poignée de personnes privilégiées » qui disposent des ressources pour y accéder. Ayant grandi dans un village nigérian isolé, sans électricité ni eau courante, elle souhaite voir émerger un cyberespace adapté aux besoins des utilisateurs de tous les milieux, y compris les groupes marginalisés à cause de facteurs comme la situation socio-économique, le sexe, l’ethnicité ou les handicaps. À cette fin, ajoute-t-elle, l’accent devra être mis sur la conception participative pour créer des outils et des services réellement adaptés, qui intègrent l’apport de toutes les parties prenantes.
« La règle d’or de l’inclusion est de décider dès le départ que des voix et des expériences diversifiées seront intégrées dans la conception », soutient-elle.
Avoir les bons outils
L’inclusion des femmes dans la conception de matériel destiné à la construction du métavers est un sujet sur lequel l’informaticien Mark Hancock s’est penché. Il est coauteur d’une synthèse systématique sur la prise en compte des aspects genrés du « cybermalaise » dans la recherche sur la réalité virtuelle (RV). Phénomène plus fréquent chez les femmes que chez les hommes, le cybermalaise survient lorsque l’exposition à un environnement virtuel provoque des symptômes comme le vertige, des nausées, des maux de tête et de la fatigue. M. Hancock et ses collègues ont conclu que la question n’avait pas fait l’objet d’une étude systématique et qu’elle devait être examinée à chaque étape du processus de la recherche sur la RV.
« Les technologies de RV soulèvent des problèmes connus liés au genre qui suggèrent que les personnes s’identifiant comme femmes sont plus susceptibles de souffrir de cybermalaise. Le secteur des technologies a longtemps négligé l’équité et la diversité dans ses processus de conception, peut-être sans le vouloir », précise celui qui est responsable du Touchlab de l’Université de Waterloo, un laboratoire consacré à l’élaboration de méthodes pour interagir avec l’information sur des interfaces numériques novatrices. « On sait également qu’il est difficile de recruter des femmes pour participer à des études sur la RV, car elles affirment souvent ne pas y être représentées. »
M. Hancock étudie également le phénomène de l’incarnation qui se produit lorsqu’on oublie la présence des composants matériels et qu’on a l’impression de ne faire qu’un avec notre corps virtuel. Pour vivre des expériences significatives dans le métavers, les utilisateurs devront être pleinement incarnés, précise-t-il, mais la mesure dans laquelle ils pourront amener leur cerveau à croire qu’ils habitent réellement un corps virtuel dépendra des progrès de la RV.
L’informaticien et son équipe ont voulu mesurer le degré d’incarnation ressenti par les utilisateurs lors de leurs expériences avec différents appareils de RV, ce qui a permis de démontrer que l’utilisation des mains au lieu d’une manette favorise une plus grande immersion. Une autre étude à laquelle il a participé révèle que l’aspect portatif du casque de RV peut réduire les distractions qui nuisent souvent à la productivité dans les bureaux à aire ouverte et ainsi améliorer le rendement et la satisfaction des employés au travail.
« Il y a cependant toujours des défis techniques à relever avant de réellement pouvoir ressentir les choses telles qu’elles sont dans un monde virtuel, ajoute M. Hancock. Même si on peut vivre des expériences très riches avec un casque de RV, les objets demeurent hors de portée et la manette nécessaire. Pouvons-nous nous adapter à cette nouvelle réalité? Peut-être bien que oui. »
Postes vedettes
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
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