Superviser une recherche, ça s’apprend ! 

Les directeurs et directrices de recherche qui cherchent à améliorer leurs pratiques d’encadrement en ont maintenant la possibilité.

18 février 2025
Illustration de : Alona Horkova

Vous voulez savoir comment un professeur ou une professeure encadre ses étudiants et étudiantes à la maîtrise et au doctorat ? Interrogez son propre parcours aux études supérieures. Faute de formation spécifique pour apprendre à bien diriger une recherche, ces personnes tendent à répliquer ce qu’elles ont vécu auprès des professeurs et professeures qui ont jadis supervisé leurs travaux. Si cet apprentissage par imitation donne lieu à de bonnes pratiques, il mène aussi à la reproduction de dynamiques qui sont nocives pour les apprenants et les apprenantes. 

« Les études supérieures mènent à tout, pas juste à la carrière académique. Pourtant, les directions de recherche font rarement miroiter d’autres options d’insertion professionnelle », explique Catherine Déri, professeure en nomination à long terme à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, qui a consacré sa thèse à la socialisation des doctorants et doctorantes au métier de chercheur et chercheuse. Moins d’une personne titulaire de doctorat sur cinq accède à un poste de professeur ou professeure à temps plein, selon le Conference Board du Canada. 

Ce biais pour la recherche universitaire peut mener à une inadéquation entre le soutien offert dans le cadre d’un encadrement et les besoins réels de la personne étudiante. « Entretenir une relation difficile avec sa direction de recherche est l’une des trois principales raisons qui précipitent l’abandon d’un doctorat », rappelle l’experte. Environ la moitié des personnes doctorantes délaisse son programme avant l’obtention de son diplôme au Canada, estime l’Organisation de coopération et de développement économiques. Un chiffre stable depuis plusieurs décennies. 

Mobilisation en cours 

Face à ce haut taux d’attrition, le milieu universitaire se mobilise. Au début du mois de février paraissait par exemple l’ouvrage Extraire une thèse d’un cerveau étudiant sans gâchis, qui aborde avec humour la question de la persévérance aux études supérieures. Quelques jours plus tôt se tenait la réunion inaugurale d’une toute nouvelle Communauté de pratique nationale de l’encadrement aux études supérieures. Cette initiative chapeautée par l’Association canadienne pour les études supérieures (ACES) a réuni environ 200 personnes en ligne, surtout des professeurs et professeures. 

« Peu importe leur discipline d’appartenance et le degré d’avancement de leur propre parcours, les directions de recherche cherchent plus que jamais à améliorer leurs approches pédagogiques », fait valoir Michele Jacobsen, professeure en sciences de l’apprentissage à l’Université de Calgary et coinstigatrice de ce projet. Favoriser les conversations et le partage de pratiques efficaces entre pairs constitue un levier d’amélioration de la relation de supervision. « Nous sommes dans une logique de cocréation autour d’une pédagogie marquée par un grand niveau de complexité », souligne-t-elle. 

L’un des objectifs de cette communauté de pratique est de mettre sur pied un ensemble de principes directeurs sur la supervision qui sont applicables d’un océan à l’autre. En 2023, le Conseil des études supérieures de l’Ontario a pourtant proposé une série de résolutions qui balisent étroitement cette relation. Pourquoi ne pas les adopter en l’état ? « À nos yeux, elles constituent plutôt un point de départ pour guider nos réflexions », répond Cheryl van Daalen-Smith, doyenne associée à la Faculté des études supérieures de l’Université York, qui a aussi joué un rôle de premier plan dans l’émergence de cette communauté. 

Michele Jacobsen poursuit : « Le Canada est un pays bilingue à la géographie étendue où l’éducation est une responsabilité assumée par les provinces et les territoires. On ne peut pas simplement faire un copier-coller d’initiatives similaires qui ont cours ailleurs, comme au Royaume-Uni et en Australie. » L’hétérogénéisation des profils d’étudiants et d’étudiantes aux cycles supérieurs dans les dernières années doit aussi être prise en compte. « On retrouve plus de parents, d’Autochtones et de personnes internationales sur nos campus qu’il y a une ou deux décennies », illustre Mme van Daalen-Smith. 

En mode collaboratif 

Cette initiative voit le jour alors que les universités du pays rivalisent d’ingéniosité pour « appuyer la réussite » de leurs étudiants et étudiantes, comme la veut la formule désormais consacrée. Ateliers de tous genres (gestion du stress, recherche documentaire, etc.) et cours gratuits, crédités ou non, sont des offres courantes de la part des facultés des études supérieures. Certains dispositifs d’apprentissage, comme les populaires retraites de rédaction, sont directement inspirés de mouvements qui ont d’abord vu le jour à l’extérieur des murs des établissements. 

Dans le cadre de sa thèse, Mme Déri s’est justement intéressée au cas de Thèsez-vous, un organisme à but non lucratif qui facilite la rédaction universitaire par la mise en place d’environnements adaptés. « En développant la capacité à rédiger, une compétence phare en recherche, on se trouve à améliorer d’autres compétences transversales, en matière d’organisation par exemple », résume-t-elle. Des données probantes qui percolent. « Les universités sont proactives et tentent d’innover, confirme Ian Wereley, directeur administratif de l’ACES. Il en va de la réputation de leurs programmes et, par extension, de l’établissement. » 

Cette forme de clientélisme peut, hélas, être perçue comme une (autre) injonction de performance pour les principaux concernés. « Il faut consacrer du temps et de l’énergie pour développer ses compétences par l’entremise de ces activités extracurriculaires », fait-il remarquer. Forcément, cela en laisse moins pour la scolarité, le projet de recherche et tout le reste. « Les directions de recherche ont un rôle à jouer pour aider leurs étudiants et étudiantes à prioriser, pense M. Wereley. Les meilleures vont par exemple les inciter à budgéter leurs heures chaque semaine selon les diverses tâches à accomplir. » 

La nouvelle communauté de pratique nationale a le mérite d’asseoir toutes les parties prenantes intéressées par l’encadrement des études supérieures autour d’une même table, comme ce sera par exemple le cas lors de la deuxième réunion en ligne du collectif, prévue à la fin mars 2025. « Les directions de recherche ne peuvent pas bien aider les étudiants et étudiantes sans l’aide des facultés des études supérieures, et vice-versa », affirme Mme Jacobsen. « Il s’agit vraiment d’une relation d’interdépendance », seconde Mme van Daalen-Smith. 

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