Comment réagir aux comportements inquiétants sur les campus

Un responsable des affaires étudiantes donne des conseils sur la façon d’évaluer et de désamorcer une situation inquiétante.

17 juillet 2018
A pair of hands placed anxiously in a lap with natural colors and lighting.

Les responsables des affaires étudiantes reçoivent souvent des signalements de comportements inquiétants sur les campus. Leur degré de gravité varie, allant des actes de violence avérés, comme des voies de fait ou du vandalisme, à des menaces propres à des personnes ou à des immeubles, comme des menaces de mort et des alertes à la bombe, en passant par de vagues sentiments d’inconfort découlant d’une interaction avec une certaine personne. Chaque signalement doit être pris au sérieux et faire l’objet d’une évaluation et d’un suivi. Je me demande toujours si ça pourrait être LA fois où quelque chose de grave se produit. Étant donné le nombre de tragédies dans les universités et les écoles secondaires au cours des dernières années, je me suis souvent posé cette question. Des personnes préoccupées me l’ont souvent posée aussi.

Puisque je suis responsable des affaires étudiantes, la plupart des signalements que je reçois concernent les étudiants. Comme la plupart des gens qui fréquentent un établissement postsecondaire sont des étudiants, il est logique qu’ils soient à la fois ceux qui adoptent et qui signalent les comportements inquiétants. D’autres personnes au sein de l’établissement traitent les signalements de comportements inquiétants du corps professoral, du personnel de soutien et même des personnes non affiliées à l’université. Nous travaillons souvent ensemble afin de répondre à ces signalements et nous adoptons tous la même démarche de base.

Évaluer la situation

Que se passe-t-il véritablement dans une université ou un collège à la suite d’un signalement de comportement inquiétant? Dans ces situations, le principe directeur de l’intervention, dans les limites des règles et des politiques existantes, est qu’une préoccupation raisonnable justifie des mesures raisonnables. Cela peut paraître facile, mais la difficulté consiste toujours à appliquer le principe à un cas réel. Comment établir le niveau de préoccupation? Quelles mesures conviennent au niveau de préoccupation, ne sont pas en conflit avec les politiques existantes et respectent le droit à la vie privée et la présomption d’innocence de toutes les parties?

D’abord, il est important de recueillir autant de renseignements que possible au sujet des personnes concernées, des incidents signalés et de leur contexte. Il faut collaborer avec les personnes qui possèdent l’expertise nécessaire et qui ont accès aux bons renseignements pour faire preuve de jugement et proposer un plan d’action. Il est important de s’assurer que le plan d’action proposé soit bien suivi. Cela semble évident, mais il faut traiter la situation avec détermination — car elle doit avoir un objectif clair et des résultats mesurables — et avec rapidité — car le meilleur plan est inutile s’il n’est pas mis en œuvre. Des retards peuvent aussi laisser le temps à une tragédie de se produire.

Si le plan d’action ne produit pas l’effet souhaité (réduire le niveau général de préoccupation ou l’inquiétude des personnes concernées ou tenir une personne loin d’un secteur ou d’une autre personne), il faut le revoir sans tarder. En revanche, une réaction excessive peut entraîner des risques et des conflits là où il n’y en avait pas et où il ne devrait pas y en avoir.

Plusieurs dimensions très différentes et parfois indépendantes de ces situations inquiétantes doivent être gérées de façon conjointe : la sécurité et le bien-être de la collectivité; les droits, la sécurité et le bien-être de la personne ou des personnes faisant l’objet du signalement; la situation telle qu’elle est perçue par les personnes touchées directement; la situation telle qu’elle est perçue par le reste de la collectivité; ainsi que les faits réels connus seulement par les rares personnes qui ont accès à tous les renseignements disponibles et aux conseils de spécialistes.

La grande majorité des signalements de comportements inquiétants découlent d’interactions avec des personnes en situation de crise profonde, des personnes atteintes de graves problèmes de santé mentale ou des personnes qui ne constituent pas une menace réelle, mais dont le comportement peut être difficile à gérer. Un très petit nombre de signalements découlent de véritables comportements menaçants de la part de personnes potentiellement dangereuses.

Peu importe la nature du cas, il faut mener une enquête et le gérer pour assurer la sécurité et le bien-être de la collectivité et des personnes touchées. Cela représente beaucoup de travail, mais en tant que responsable des affaires étudiantes, je préfère recevoir 10 signalements par semaine qui ne mènent à rien que rater le cas grave. Je ne dissuade jamais les gens de me parler de leurs préoccupations et je leur dis que nous les prenons au sérieux, même si elles peuvent ne pas donner lieu à la prise de mesures officielles (ce qui est habituellement le cas).

Équipe d’évaluation des risques

La plupart des établissements ont en place une équipe d’évaluation des comportements ou des risques, mais tous les établissements devraient sans doute en avoir une. Tout signalement devrait être communiqué aux membres de l’équipe, qui compte habituellement au moins un gestionnaire de cas, un professionnel en santé mentale, un membre des services de protection (idéalement une personne formée dans l’évaluation des menaces) et le responsable principal des affaires étudiantes.

L’équipe fait souvent appel à des personnes-ressources spécialisées, selon le cas, habituellement un employé des services juridiques, et souvent un chargé de cours, un directeur de département, un gardien d’immeuble ou toute personne qui pourrait posséder de l’expertise ou des renseignements pertinents. Ces gens expriment tous des points de vue utiles et peuvent même fournir des renseignements pertinents sur les personnes concernées, tant l’auteur du signalement que la personne qui en fait l’objet. Dans bien des cas, il est conseillé de faire appel à un employé du bureau des relations universitaires, qui peut fournir de l’aide concernant la surveillance des médias sociaux, soit une importante source de renseignements sur une situation en évolution.

Le responsable des affaires étudiantes a accès aux dossiers scolaires et parascolaires qui pourraient présenter des signes de crise. Le personnel de sécurité a accès aux anciens rapports d’incident pouvant se rapporter aux personnes concernées et pourrait être en mesure d’exprimer une opinion sur le niveau de risque éventuel de la personne. Le personnel des services juridiques peut fournir des conseils utiles sur les options possibles pour résoudre les situations difficiles et aider à établir les limites de la liberté d’action en vertu des lois en vigueur.

Le professionnel en santé mentale pourrait connaître la nature du traitement ou du suivi des personnes concernées, s’il y a lieu. Même si les renseignements qu’il possède sur le cas précis ne pourront sans doute pas être divulgués, ils guideront et orienteront ses conseils. Toutes ces personnes détiennent aussi des ressources et des connaissances sur les diverses contraintes qui empêchent l’établissement de gérer les cas de comportements inquiétants. L’équipe se réunit régulièrement (au moins une fois par semaine dans un établissement de grande taille) pour faire le suivi des cas en cours. Elle doit se rassembler ponctuellement lorsque nécessaire et sans préavis. Pendant une semaine normale au milieu du trimestre, il n’est pas inhabituel que l’équipe se rencontre deux ou trois fois. En raison de la charge mentale et émotive découlant du traitement de ces types de cas, il est conseillé de faire participer plus d’une personne de chaque bureau clé, à tour de rôle.

Pendant que l’équipe effectue son travail, il est important qu’elle communique avec la personne qui lui a fait part de sa préoccupation, même s’il n’est généralement pas possible de lui en dire beaucoup. Toutefois, le seul fait de savoir que sa préoccupation est prise au sérieux et fait l’objet d’un suivi joue habituellement un rôle important. Organisez une rencontre avec elle. Laissez-la vous raconter son histoire. Vous comprendrez mieux la nature de sa préoccupation et pourriez obtenir des renseignements importants qui n’étaient pas dans le signalement initial. De plus, vous contribuerez à calmer tout le monde, ce qui peut en soi empêcher la situation de dégénérer. Quand les gens se sentent appuyés, ils sont plus enclins à modérer leurs réactions aux situations difficiles.

Niveau de menace

Le rôle premier de l’équipe consiste à déterminer si la personne qui fait l’objet du signalement représente une menace immédiate. Pour ce faire, elle s’appuie principalement sur les conseils fournis par les professionnels en santé mentale et les services de protection en fonction des renseignements disponibles, comme les signalements reçus, les renseignements mis à la disposition de divers bureaux de l’université et les résultats de recherche en ligne comme des profils sur les médias sociaux ou des dossiers et des casiers judiciaires accessibles au public.

S’il y a une menace immédiate, l’équipe doit prendre des mesures immédiates pour protéger la collectivité ou la personne. Le responsable des affaires étudiantes et le personnel des services juridiques doivent évaluer les outils administratifs à leur disposition, et le personnel de sécurité doit communiquer avec les autorités externes pour faire face à la menace. D’autres éléments à considérer peuvent attendre un peu, mais ne peuvent être complètement ignorés, comme les droits de la personne. Même si la personne concernée peut être perçue comme une menace, elle demeure un être humain et un étudiant de l’établissement. Il faut se soucier de son bien-être et lui offrir tout le soutien possible. J’ai vu des étudiants exclus du campus pendant de longues périodes obtenir leur diplôme parce que nous avons trouvé des moyens de leur offrir des mesures d’adaptation scolaires.

Dans la grande majorité des cas, l’équipe d’évaluation établit qu’il n’y a aucune menace immédiate, mais maintient un certain niveau de préoccupation. Je tiens à souligner que même si la préoccupation concerne habituellement la personne qui fait l’objet du signalement, ce n’est pas toujours le cas. L’équipe doit se demander non seulement s’il est raisonnable que la personne ne sût pas que ses paroles ou ses actions étaient inquiétantes pour son entourage, mais aussi s’il est raisonnable que l’auteur du signalement se soit senti menacé ou préoccupé par ces paroles ou ces actions.

Dans les rares cas où la deuxième question se répond par l’affirmative, la préoccupation concerne le bien-être de l’auteur du signalement. Il est souvent possible de l’aider à reconnaître qu’il a vécu un traumatisme et que l’établissement offre du soutien. Il est aussi important de le rassurer en lui confirmant que ses préoccupations sont prises au sérieux et que les mesures appropriées sont effectuées. Toutefois, dans la plupart des cas, la préoccupation concerne la personne qui fait l’objet du signalement.

Si le niveau de préoccupation est élevé, il peut être important d’agir rapidement. Un responsable des affaires étudiantes peut rencontrer l’étudiant qui fait l’objet du signalement pour évaluer la situation, entendre sa version des faits, prendre connaissance de toute préoccupation et s’assurer qu’il est au courant de l’aide disponible. Cette première rencontre permettra probablement d’obtenir des renseignements importants qui contribueront à l’évaluation continue de la menace au fil du temps. Elle peut également informer l’étudiant qu’il existe un endroit où il peut exprimer ses griefs et ses préoccupations et qui limitera les frictions potentielles avec les étudiants ou le personnel de première ligne (y compris le corps professoral), qui n’ont peut-être pas la formation nécessaire ou encore le temps ou l’envie de composer avec des personnes difficiles. Cette information pourrait le rassurer et confirmer qu’il n’a pas besoin de s’emporter pour être entendu et pour qu’on réponde à ses préoccupations.

Mesures actives et passives

Un niveau de préoccupation élevé peut exiger la prise de certaines mesures actives. Celles-ci doivent prendre la forme de conditions volontaires, dans la mesure du possible. Une personne dont le comportement est prétendument inquiétant qui accepte de respecter volontairement certaines règles ou lignes directrices constitue toujours un bon signe. Un administrateur peut aussi obtenir une plus grande marge de manœuvre et plus d’options au cas où la personne ne respecte pas l’entente établie.

Il pourrait s’avérer utile, par exemple, qu’une personne ne puisse fréquenter le campus après une certaine heure, doive rester loin d’un certain immeuble ou ne puisse communiquer avec certaines personnes ou avec certains groupes afin de réduire les risques ou d’empêcher qu’une situation dégénère. Si la personne ne se conforme pas volontairement à ces conditions, elles doivent lui être imposées. De plus, les mesures appropriées doivent être prises par les responsables scolaires, les services de sécurité et les services juridiques au moyen des outils juridiques et politiques à leur disposition. Le non-respect des conditions représente en soi un signal d’alarme à ne pas ignorer pouvant accroître le niveau de préoccupation.

Un niveau de préoccupation faible nécessite la prise de mesures passives et indirectes. Celles-ci peuvent aller de la surveillance continue d’une situation, tout simplement en gardant le contact avec la personne concernée, à des rencontres fréquentes avec les témoins de l’évolution de la situation. L’aspect le plus difficile de ces situations est d’éviter qu’elles dégénèrent en raison d’une surveillance trop étroite et de l’exacerbation des préoccupations des personnes qui ont envoyé le signalement ou de la personne qui en fait l’objet. Selon moi, le meilleur moyen de maintenir cet équilibre est de se montrer disponible pour ceux qui en ont besoin, mais de n’intervenir que si c’est nécessaire. J’ai vu de telles situations rester stables pendant des années seulement parce que nous tenions une discussion occasionnelle avec certaines des personnes concernées.

Il n’y a pas de formule magique pour contrer les situations inquiétantes sur le campus ni de façon de prédire les situations qui se transformeront en véritables catastrophes. Le mieux qu’un administrateur universitaire puisse faire est de veiller à ce que les bonnes personnes participent à la solution, y compris parfois les autorités médicales et policières externes, à ce qu’elles aient les bons renseignements, à ce que la priorité absolue soit toujours la sécurité et le désamorçage de la situation, et à ce que le plan d’action soit rapidement suivi.

Andre Costopoulos est vice-provost et doyen des affaires étudiantes à l’Université de l’Alberta.

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