S’adapter à un effectif non conventionnel
La reconnaissance des besoins diversifiés des étudiant.e.s autistes entraîne un changement de culture sur les campus
En tant que personne autiste, Emily Coombs a dû surmonter des défis particuliers pour cheminer dans son parcours universitaire au Canada. Actuellement étudiante aux cycles supérieurs à l’Université de Calgary, elle a aussi fréquenté l’Université MacEwan, l’Université de l’Alberta et l’Université de Victoria et a dû enjamber de nombreux obstacles pour obtenir un soutien approprié.
Elle raconte que lorsqu’elle a révélé son diagnostic à des professeur.e.s pour leur demander des mesures d’accommodement, on lui a notamment répondu : « Ça ressemble plutôt à un trouble obsessionnel compulsif. Je ne crois pas que tu es autiste. » On lui a aussi lancé un « regard étrange ».
Étant donné que Mme Coombs a aussi une sensibilité visuelle et auditive particulière, les campus universitaires sont généralement loin d’être adaptés à sa condition neurologique. Par exemple, les plafonniers fluorescents de l’édifice de l’École des sciences de l’éducation Werklund de l’Université de Calgary, où elle travaille comme assistante de recherche, l’épuisent. Et pour contrer l’effet qu’ont sur elle les endroits animés et bruyants, elle ne voit d’autre option que de porter un casque d’écoute antibruit.
Si elle-même a beaucoup de difficulté avec la communication sociale et préfère limiter ses interactions avec autrui, Mme Coombs est parfaitement consciente que bien des personnes autistes recherchent ces contacts sociaux et affirme que les universités doivent en faire davantage pour favoriser le sentiment d’appartenance chez ces étudiant.e.s.
« Les établissements doivent adopter une approche holistique pour l’intégration de cette frange de la population. De plus en plus de personnes autistes fréquenteront l’université et il faudra leur offrir du soutien », estime-t-elle.
La prévalence de l’autisme au Canada est montée en flèche ces dernières années. L’Agence de la santé publique du Canada estime en effet que chez les 1 à 17 ans, une personne sur 50 a reçu un diagnostic. Au Canada, il y a peu de données précises sur les tendances en matière de diagnostic d’autisme, mais aux États-Unis, elles indiquent que la proportion d’enfants autistes est passée de 1 sur 150 en 2000 à 1 sur 36 en 2020. On attribue notamment cette hausse à l’amélioration des méthodes de dépistage, à une sensibilisation accrue du public et à l’exposition à des toxines environnementales.
« De plus en plus de personnes autistes fréquenteront l’université et il faudra leur offrir du soutien. »
En réponse à ce phénomène, les conseils scolaires publics se sont vus contraints de bonifier leur aide aux élèves autistes : les écoles primaires et secondaires offrent maintenant davantage de mesures d’accommodement spécialisées et de soutien individuel. Alors que de plus en plus d’élèves autistes seront en mesure de poursuivre des études postsecondaires, on attend des universités qu’elles puissent les soutenir adéquatement. Cette nécessité d’accroître les ressources est mise en lumière par des études soulignant les difficultés proportionnellement démesurées que vivent les étudiant.e.s autistes en milieu postsecondaire : difficultés scolaires, problèmes de santé mentale, décrochage, discrimination et exclusion sociale.
Dans un rapport publié en 2022, l’Académie canadienne des sciences de la santé (ACSS) soutient qu’il existe peu de programmes d’aide spécifiques à l’autisme dans les établissements postsecondaires du Canada. Le portrait est similaire aux États-Unis : selon une étude de 2021, seulement 2,2 % des universités et collèges publics et à but non lucratif proposent un tel programme. En janvier 2023, l’Association nationale des étudiant(e)s handicapé(e)s au niveau postsecondaire (NEADS), un organisme de bienfaisance interhandicap canadien, a publié son rapport 2023 sur l’état des écoles. On y affirme que les universités, en raison de systèmes et de procédures inefficaces, offrent trop peu d’accommodements réellement utiles pour les étudiant.e.s ayant un handicap. En outre, elles insistent sur l’apprentissage de l’autonomie sociale, forçant ces étudiant.e.s à déployer encore plus d’efforts – une situation humiliante, frustrante et exténuante, alors que ces mesures d’accommodement devraient constituer un droit.
« Bien des universités essaient, mais ne réussissent pas tout à fait », indique Aliyah Petzak-Grant, gestionnaire du site Web de NEADS.
Au-delà du diagnostic
Le trouble du spectre de l’autisme est un trouble neurodéveloppemental permanent, identifié pour la première fois vers le milieu du XXe siècle. Il touche le développement du cerveau, ce qui peut affecter la communication, la socialisation, l’apprentissage, les habiletés motrices et d’autres fonctions importantes. Certaines personnes autistes sont hypersensibles, adoptent des comportements répétitifs ou ont des intérêts restreints. On parle de spectre, car ces caractéristiques varient grandement d’une personne à l’autre : certaines sont parfaitement autonomes alors que d’autres devront recevoir des soins toute leur vie durant. Beaucoup de personnes autistes se désignent comme étant « neurodivergentes », un terme non médical utilisé pour exprimer la normalité des différences cérébrales chez les êtres humains, qui s’applique notamment aux personnes vivant avec le TDAH, la dyslexie, la dépression et l’anxiété.
Certaines universités canadiennes font figure de pionnières en matière d’aide aux étudiant.e.s autistes. C’est le cas de l’Université York. Son programme de facilitation de la transition propose une myriade de services pour aider les étudiant.e.s autistes à se préparer à l’université et à s’y épanouir, en classe comme à l’extérieur. Certains éléments du programme, comme les Journées de transition TSA, s’adressent aux élèves de 10e année et plus de la région : on les invite, avec leurs parents, à découvrir les ressources, services et mesures de soutien qu’offre l’université. Il y a également un atelier annuel à l’intention des éducateurs et éducatrices spécialisé.e.s ainsi que des conseillers et conseillères d’orientation pour les aider à mieux préparer les élèves autistes au passage vers les études postsecondaires. Quant au projet ADVANCE, il est un programme de transition de deux semaines, offert gratuitement pendant l’été aux recrues étudiantes de l’Université York ayant un handicap. On y explique en détail les services offerts aux personnes handicapées et y enseigne des compétences en autonomie sociale, en communication et en engagement social.
« Nous voulons aider ces personnes à développer un sentiment d’appartenance et à se réaliser pleinement, afin qu’elles cheminent en toute confiance », explique Raymond Peart, coordonnateur du programme de facilitation de la transition, qui offre également la possibilité d’emménager sur le campus à l’avance, des services de préparation à la vie en résidence et d’encadrement scolaire, ainsi que l’accès à un conseiller ou une conseillère spécialisé.e et à des technologies d’assistance.
L’Université de Calgary a elle aussi fait de la transition des personnes autistes vers l’éducation postsecondaire une priorité. Selon un récent sondage, 17 % de sa population étudiante s’identifie comme étant neurodivergente. En 2022, l’Université a lancé l’expérience immersive pour les personnes neurodivergentes, un programme offert sur le campus où, pendant deux jours, les étudiant.e.s neurodivergent.e.s de première année découvrent la vie universitaire et certains des services offerts, tout en tissant des liens avec des condisciples vivant les mêmes choses. L’Université compte également sur deux spécialistes en neurodiversité qui élaborent des stratégies d’apprentissage personnalisées pour les étudiant.e.s autistes et offrent des formations de sensibilisation aux étudiant.e.s, professeur.e.s et membres du personnel neurotypiques.
« Bien des universités essaient, mais ne réussissent pas tout à fait. »
À l’Université Laval, l’équipe du Centre d’aide aux étudiant.e.s facilite l’octroi de mesures d’accommodement courantes pour les étudiant.e.s autistes, comme le report d’échéances, l’accès à un environnement tranquille pour faire leurs examens et la prise de notes par des camarades de classe. Elle les aide également à trouver des ressources en santé mentale et à développer leurs compétences interpersonnelles. Il est tout aussi important pour le Centre d’aider le personnel de l’Université à mieux comprendre la réalité des étudiant.e.s autistes et à mieux communiquer avec elles et eux. L’an dernier, le Centre a tenu un webinaire auquel ont participé 150 membres du personnel enseignant. Anne-Louise Fournier, psychologue de l’équipe, souligne que le Centre a dû accroître sa capacité afin de fournir à la demande sans cesse croissante.
« Il y a 20 ans, aucun.e étudiant.e. autiste n’avait recours à nos services – du moins pas à notre connaissance –, alors qu’aujourd’hui, leur nombre augmente d’année en année », constate celle qui fait partie d’une équipe de 56 professionnel.le.s qui comprend des psychologues, des conseillers et conseillères pédagogiques, des orienteurs et orienteuses ainsi que des personnes formées pour faire des interventions psychosociales. « Nous avons élargi notre groupe de tuteurs et tutrices des cycles supérieurs et leur avons donné une formation sur l’autisme et les pratiques de communication exemplaires. »
Cet investissement de l’Université Laval est de la musique aux oreilles de Mme Coombs. Dans le cadre de ses recherches sur l’aide offerte par les établissements postsecondaires canadiens aux étudiant.e.s autistes, elle a constaté que la situation au pays est très inégale. Une étude de 2023 qu’elle a cosignée et pour laquelle le personnel d’universités publiques a été sondé sur les obstacles au soutien pour les apprenant.e.s autistes a mis en lumière la nécessité d’avoir plus de financement, de personnel formé et de soutien institutionnel. Dans une étude de 2022, Mme Coombs et ses collègues ont révélé que seulement 15 des 258 établissements postsecondaires canadiens financés par l’État offraient au moins un programme d’aide spécifique à l’autisme.
Mme Coombs mène également des travaux sous la supervision de Heather Brown, professeure en éducation à l’Université de l’Alberta, qui s’identifie comme neurodivergente. Mme Brown dirige le Laboratoire sur l’autisme, la neurodiversité et la réussite scolaire, qui cochapeaute le réseau d’appartenance au campus. Ce réseau réunit des chercheurs et chercheuses neurodivergent.e.s et neurotypiques de plusieurs disciplines afin d’améliorer l’accessibilité pour les étudiant.e.s autistes au Canada et favoriser leur réussite et leur sentiment d’appartenance. Elle a récemment sondé 34 étudiant.e.s et ex-étudiant.e.s autistes sur les obstacles les empêchant de profiter pleinement de leur expérience universitaire.
« Il ressort de notre analyse un profond sentiment de malaise chez beaucoup de répondant.e.s quant au dévoilement de leur autisme », explique Mme Brown, faisant remarquer qu’il y a une peur de la stigmatisation. « Nos données sont claires : les étudiant.e.s autistes jugent qu’à bien des égards, bon nombre d’espaces dans les établissements d’enseignement supérieur ne sont pas sûrs. »
« Selon moi, le principal problème est que la plupart des universités n’offrent pas de mentorat pensé pour cette communauté », affirme Mme Petzak-Grant, de NEADS, qui s’identifie comme autiste. Elle ajoute que le mentorat entre pairs lui a été d’un grand secours pendant ses études universitaires.
Ce service est une priorité pour l’Université Simon Fraser qui a d’ailleurs fondé en 2013 l’Initiative de mentorat pour les personnes autistes (AMI), où les participant.e.s rencontrent un.e mentor.e étudiant.e formé.e une fois par semaine pendant toute une année scolaire. Grace Iarocci, cofondatrice de l’AMI et professeure de psychologie qui dirige le Laboratoire sur l’autisme et les déficiences développementales de l’Université Simon Fraser, explique que les personnes qui utilisent ce service gratuit bénéficient d’un accompagnement adapté et attentionné. Les mentor.es « les aident à naviguer le monde universitaire, à s’ajuster aux changements, à demander de l’aide, à participer à des activités et à faire partie d’organisations, en plus de soutenir leur adaptation sociale ». Celle qui garde un œil sur l’efficacité de l’initiative a fait état dans une étude qu’elle a cosignée en 2021 d’une « forte amélioration de l’adaptation scolaire, sociale et émotionnelle des personnes mentorées ».
Soutenir la transition vers le monde du travail
Si les universités doivent accueillir, soutenir et intégrer leurs apprenant.e.s autistes, il est également impératif qu’elles les préparent pour la vie après l’obtention du diplôme. Dans son rapport de 2022, l’ACSS indique que les étudiant.e.s autistes « pourraient également tirer profit d’un meilleur accès aux stages, à la formation en alternance et aux services de l’emploi sur le campus ». Le taux disproportionné de chômage et de sous-emploi chez les personnes autistes au Canada montre bien la nécessité de telles mesures de soutien : l’Agence de la santé publique du Canada rapportait en 2017 que seulement 33 % des adultes autistes canadien.ne.s avaient un emploi.
Un récent rapport de Deloitte Canada, pour lequel on a sondé 454 adultes autistes, a révélé que 41,7 % des personnes autistes au Canada avaient un emploi à temps partiel, temporaire ou contractuel, contre seulement 18,4 % chez les personnes neurotypiques. En outre, le taux de roulement est plus élevé et la durée d’emploi moyenne est plus courte chez les personnes autistes. Toujours selon le rapport, il y a pour ces personnes trois grands obstacles à leur participation à la population active : le processus d’entrevue et l’accent qui y est mis sur les compétences sociales plutôt que sur les compétences professionnelles (40 % des répondant.e.s); la conviction qu’il y a une stigmatisation de l’autisme (55 % des répondant.e.s); et le fait d’être la cible de discrimination (42 % des répondant.e.s).
De plus en plus sensibilisées à ces enjeux, les universités emploient maintenant diverses approches pour aider les apprenant.e.s autistes à développer leurs compétences en autonomie sociale dans un contexte d’emploi. L’Université Laval, par exemple, a créé un atelier en ligne en six modules pour aider les étudiant.e.s ayant un handicap à faciliter leur intégration dans un milieu de stage ou de travail. Les modules portent sur des sujets comme la compréhension des habiletés et des besoins, l’accès aux diverses formes d’appui en milieu de travail et la découverte des ressources communautaires. L’Université de Toronto offre à l’ensemble des étudiant.e.s qui s’identifient comme ayant un handicap un atelier similaire qui porte sur le dévoilement et les stratégies d’accommodement. L’Université York, quant à elle, offre aux étudiant.e.s vivant avec l’autisme ou un handicap un stage travail-études rémunéré à son Laboratoire de technologie afin de les aider à développer des compétences de travail pratiques. Enfin, l’Université Athabasca a lancé une nouvelle collaboration avec Inclusion Alberta visant à créer des occasions d’apprentissage et d’emploi inclusifs pour ses apprenant.e.s vivant avec une variation neurodéveloppementale. L’organisme à but non lucratif aidera l’établissement à trouver des emplois adaptés pour ces étudiant.e.s et formera les potentiels employeurs afin que la réussite des apprenant.e.s soit favorisée.
« Inclusion Alberta expliquera aux employeurs l’importance de l’inclusion authentique d’une personne ayant une variation neurodéveloppementale et les avantages incroyables que cela peut apporter pour les deux parties », souligne Serita Smith, directrice des services d’aide aux apprenant.e.s de l’Université Athabasca.
L’an dernier, l’Université de Calgary a lancé l’initiative d’apprentissage intégré au travail pour les étudiant.e.s neurodivergent.e.s. Financée à hauteur de 3,75 millions de dollars par la Fondation de la famille Sinneave, ce projet d’une durée de quatre ans a pour but d’améliorer l’éducation, les perspectives d’emploi et la situation de logement des jeunes et adultes autistes. En transformant l’écosystème de la préparation à l’emploi au moyen d’une approche systémique, l’Université de Calgary permet aux étudiant.e.s de collaborer avec les employeurs de manière proactive pour repérer et atténuer les obstacles à la pleine inclusion des personnes neurodivergentes en milieu de travail. On évite ainsi qu’elles aient à demander des mesures d’accommodement.
« Les milieux de travail diversifiés ont une culture florissante, sont plus accueillants, attentionnés et bienveillants, et leurs équipes prennent de meilleures décisions », note Leslie Reid, vice-provost à l’enseignement et à l’apprentissage de l’Université de Calgary. La multiplication des efforts pour favoriser de tels milieux est née d’une prise de conscience : les universités ont la responsabilité de veiller à ce que « les personnes neurodivergentes aient leur pleine place dans le monde du travail ».
Établie à Toronto et se spécialisant en enseignement supérieur, Sharon Aschaiek est rédactrice et consultante en communications.
Laisser un commentaire
Affaires universitaires fait la modération de tous les commentaires en appliquant les principes suivants. Lorsqu’ils sont approuvés, les commentaires sont généralement publiés dans un délai d’un jour ouvrable. Les commentaires particulièrement instructifs pourraient être publiés également dans une édition papier ou ailleurs.