Survol des obstacles à la parité de genre au niveau du rectorat
L'essai d'une spécialiste en leadership dans l’enseignement supérieur portant sur les raisons pour lesquelles les femmes sont moins susceptibles d’être nommées rectrices ou de terminer leur mandat.
« Tout mandat inachevé de recteur est un échec pour la gouvernance du conseil d’administration, et est attribuable à l’embauche ou au licenciement de la mauvaise personne. »
Ces propos émanent de David Turpin, ancien recteur de l’Université de Victoria et de l’Université de l’Alberta. Mes propres travaux, en tant que chercheuse sur ce sujet, confirment son affirmation. En outre, les données démontrent que le problème touche de manière disproportionnée les femmes occupant ce poste clé.
Au cours de la dernière décennie, 18 recteurs d’universités canadiennes n’ont pas achevé leur premier mandat. Près de 20 % des universités du pays ont déjà eu un recteur qui est resté moins de cinq ans en poste.
Dans les trois dernières années seulement, cinq recteurs n’ont pas achevé leur mandat, dont quatre femmes : Susan Mumm du Collège universitaire Brescia, Aoife Mac Namara du Collège d’art et de design de la Nouvelle-Écosse, Nicole Bouchard de l’Université du Québec à Chicoutimi et Mary Bluechardt de l’Université Mount Saint Vincent.
Cette tendance est inquiétante et confirme la croyance de longue date selon laquelle les risques associés à la direction d’une université sont plus importants pour les femmes. Depuis 2010, 61 % des mandats inachevés avaient été confiés à des rectrices. Cela ne serait peut-être pas si marquant si ce n’était du fait que les hommes occupent 69 % des postes de recteur au Canada. Et parmi les universités les plus actives en matière de recherche, le regroupement U15, ce nombre atteint 87 %. Les femmes sont donc fortement sous-représentées dans ce rôle, et largement surreprésentées lorsqu’il s’agit de mandats inachevés.
Ces problèmes ne sont pas l’apanage des universités canadiennes. En effet, il a fallu attendre 767 ans avant que l’Université d’Oxford confie à une femme, Louise Richardson, le mandat de rectrice en 2016. Si l’Université de Californie à Berkeley, l’Université Cornell, l’Université McGill et la London School of Economics sont également dirigées par des femmes à l’heure actuelle, seulement 20 % des 200 premières universités mondiales ont nommé une rectrice.
Paru récemment, Nerve relate le parcours professionnel de deux des premières rectrices du Canada, soit Martha Piper et Indira Samarasekera. Dans cet ouvrage, les auteures racontent sans détour leur expérience dans ce rôle – les erreurs, les remises en question, le sexisme et les leçons apprises. Toutes deux ont souligné que, bien qu’elles aient été les premières rectrices dans leurs établissements respectifs – Mme Piper à l’Université de la Colombie-Britannique et Mme Samarasekera à l’Université de l’Alberta – elles ont également été les dernières femmes nommées à ce poste. La nomination d’une rectrice semble séduire les conseils d’administration, mais étonnamment, très peu d’établissements ont tendance à embaucher une deuxième femme à ce poste. Mme Piper y écrit « qu’être la première n’est pas suffisant, que tant que nous n’aurons pas une deuxième, troisième et quatrième dirigeante de suite, nous continuerons à considérer le leadership féminin comme l’exception plutôt que la règle ».
Les recherches menées par la politologue Malinda Smith sur le manque de diversité dans les universités canadiennes mettent en évidence quatre facteurs clés lorsqu’il s’agit d’accéder à l’ultime fonction : la conception et l’affichage du poste, le rôle des consultants externes, la diversité des membres des comités de sélection ainsi que le rôle et la composition du conseil d’administration, plus particulièrement la personne qui en occupe la présidence. Selon elle, la reconnaissance du talent et le processus de sélection reposent sur la diversité. Un manque de diversité favorise de manière disproportionnée les candidats qui sont des hommes blancs.
En outre, Mme Smith observe que les rectrices sont moins nombreuses à avoir exercé cette fonction dans plusieurs universités. Alors que Patrick Deane, Santa Ono, Deep Saini, Alan Shepard, Stephen Toope et M. Turpin ont tous dirigé plusieurs établissements postsecondaires, Vianne Timmons et Annette Trimbee sont les seules rectrices actuelles dont c’est aussi le cas. L’Université McGill est l’un des rares établissements canadiens à avoir nommé, deux fois de suite, une femme au poste de principale. Heather Munroe-Blum et Suzanne Fortier, qui ont dirigé l’établissement pendant un total combiné de 18 ans jusqu’à maintenant.
La situation précaire des femmes occupant des postes de cadres a été bien documentée. Robyn Doolittle et Chen Wang, journalistes au Globe and Mail, ont récemment présenté les écarts salariaux importants qui existent dans les universités canadiennes. Elles ont également rendu leurs données publiques. Celles-ci révèlent que les femmes entrent dans le système universitaire en tant que professeures et chercheuses en nombre égal, mais qu’elles sont trois fois moins nombreuses que les hommes dans la tranche des 10 % supérieurs de l’échelle des postes de direction. L’exclusion des femmes au fil des échelons de la hiérarchie universitaire est notable.
D’autres données démographiques telles que la race, l’origine ethnique, le handicap et l’orientation sexuelle jouent également un rôle important dans la sélection des dirigeants et doivent être davantage étudiées.
Le rôle du conseil d’administration
Étant le prolongement de ma thèse de doctorat défendue en 2015, mes travaux de recherche actuels ont révélé que les recteurs sortants soulèvent des préoccupations communes dans six domaines principaux : un manque de rigueur dans la gouvernance du conseil d’administration et une incompréhension de la complexité de la culture universitaire, la méfiance d’une équipe de direction déjà établie, le manque de mentorat ou de soutien, le rôle marginal du prédécesseur, un manque d’attention accordée au processus de transition et les enjeux en matière de diversité dans les postes de direction.
Elizabeth Cannon, rectrice de l’Université de Calgary pendant huit ans, affirme que le soutien public du conseil d’administration « est un facteur essentiel de réussite ». C’est particulièrement vrai en période de crise. Un conseil d’administration doit accorder sa pleine confiance au dirigeant choisi, engager des conversations franches et difficiles, et soutenir les décisions du recteur. Son soutien doit être explicite.
De même, pour réussir dans cette fonction, un recteur doit, sans tarder, entretenir des liens avec son conseil d’administration. Il doit échanger régulièrement, et ce, tant à propos des risques que des succès associés à son rôle. Un manque de consensus entre le recteur et le président du conseil d’administration est un fort indicateur de dérapage. Pourtant, les chercheurs observent, au terme d’entrevues avec des rectrices actuelles et sortantes, que les femmes semblent moins soutenues par leur conseil d’administration en période de crise.
Trois idées pour susciter le changement
Il est urgent de tracer la voie à suivre afin de favoriser l’équité entre les sexes dans les postes universitaires de direction. Les universités génèrent du savoir, sont des vecteurs de la recherche et forment des citoyens du monde. Elles doivent démontrer les avantages d’une gouvernance qui représente les gens qu’elles servent et qui est à la hauteur de l’importance des travaux de recherche qu’elles font progresser.
Alors, comment concevoir des établissements inclusifs qui aident les femmes à accéder à des postes de direction et à s’y épanouir? Je propose trois idées simples pour susciter un tel changement : s’appuyer de manière méthodique et publique sur des données et des indicateurs, faire progresser la sensibilisation culturelle et favoriser de manière réfléchie l’équité.
1. Données et indicateurs
Selon la théorie de la masse critique, un terme inventé par Rosabeth Kanter, professeure à l’Université Harvard, un groupe doit être représenté à hauteur de 30 % pour obtenir des résultats concrets au sein d’une culture. Les femmes représentent actuellement 31 % du rectorat au Canada, et atteignent ainsi à peine le seuil critique nécessaire pour qu’un changement s’opère. À bien des égards, leur rôle est encore jugé symbolique et elles n’ont pas eu l’occasion de réfuter la croyance infondée selon laquelle leur leadership est inadéquat. Les chiffres comptent, et des objectifs tangibles sont nécessaires pour surmonter les obstacles causés par la sousreprésentation des femmes aux postes de direction.
Les universités doivent prendre des engagements fermes. La mise en place d’indicateurs augmente la responsabilisation et contribue à la
réalisation de progrès sur de nombreux fronts. Les organisations internationales telles que le Programme des Nations Unies pour le développement, l’Organisation de coopération et de développement économiques, la Banque mondiale et le Forum économique mondial comptabilisent à la fois les mesures prises et leurs résultats pour évaluer les pays sur l’enjeu de l’égalité entre les sexes. Il est ironique de constater que les chercheurs universitaires sont à l’origine d’une grande partie de ces données, mais que leurs propres établissements ne se conforment pas à ces pratiques exemplaires.
Des études menées par des économistes comportementaux montrent que les femmes doivent fréquemment être sollicitées à plusieurs reprises avant d’accepter un poste de direction ou des fonctions politiques, et qu’elles ont tendance à demander leur titularisation plus tard que les hommes. En fait, des études ont également montré que même lorsque les taux de participation des femmes s’améliorent dans les conseils d’administration, les hommes détiennent toujours le pouvoir et l’influence en ce qui concerne le temps de parole et la prise de décision. Comment utiliser ces données pour favoriser un changement ainsi que recruter et retenir les rectrices? Les universités semblent bien placées pour le faire, et pourtant, les mesures font cruellement défaut.
2. La culture, la culture, la culture
Dans mes recherches, j’entends constamment parler de la dynamique du pouvoir, de la politique et du discours insaisissable employé pour parler des dirigeantes universitaires. Un établissement qui adopte une approche innovante dans ce domaine est la Harvard Kennedy School à Cambridge, au Massachusetts, qui réalise des expériences avec des « porteurs de culture », soit des observateurs formés qui consignent les dynamiques comportementales lors des réunions. Ces derniers étudient quelles idées sont valorisées et mises de l’avant, qui parle le plus souvent, qui est exclu et ce qui est fait pour garantir que les voix de chacun soient entendues. Ces observations permettent de prendre conscience des dynamiques interpersonnelles qui sont à l’oeuvre, de mettre en lumière les préjugés inconscients en matière d’égalité des sexes, et de les exposer de manière objective et axée sur l’amélioration de la situation.
3. Mesures ciblées
Il existe un problème chronique pour attirer les dirigeantes vers le rôle de rectrice, même lorsqu’il y a beaucoup de potentiel. Comment faire preuve de détermination et de rigueur lorsque vient le temps de les recruter? Les dirigeants d’université, les membres de leur conseil d’administration et les consultants en recherche de cadres veillent-ils à ce que les candidates soient systématiquement invitées à plusieurs reprises à assumer des rôles de direction, comme les études suggèrent de le faire?
Les universités et leurs conseils d’administration doivent également demander aux sociétés de recrutement de cadres et aux comités de sélection d’améliorer leur représentation en rédigeant des offres d’emploi qui soient aussi attrayantes pour différents types de candidats. De plus, ils doivent discuter ouvertement de toutes les formes de préjugés dans le processus d’embauche. Les conseils d’administration doivent modifier le poste afin qu’il soit plus attrayant pour les candidates et, mieux encore, pour tous les dirigeant.e.s. Les conseils d’administration doivent reconnaître activement que les rectrices ne bénéficient pas du même niveau de soutien de leur part et veiller à ce qu’un soutien total et souvent public, ainsi qu’une orientation rigoureuse soient fournis aux dirigeantes pendant la transition et les périodes délicates.
La plupart des plans actuels en matière de diversité dans les universités sont pavés de bonnes intentions. De nombreux cadres supérieurs et dirigeants d’universités proclament vouloir favoriser l’inclusivité au sein des postes de direction, et ils aiment s’entendre le dire. Les universités sont bien rodées au recrutement et à la rétention des étudiants : elles élaborent des plans dotés d’indicateurs, de données et de tableaux de bord qui orientent leur stratégie. Mais où sont leurs plans tangibles pour le recrutement et la rétention de leurs dirigeants?
Les universités canadiennes doivent en faire davantage pour s’assurer que leur gouvernance est à l’image de leurs collectivités. Ces établissements examinent le monde via leurs importants travaux de recherche. Il est grand temps qu’ils s’examinent à leur tour. Les universités doivent concevoir un avenir plus équitable pour les dirigeantes universitaires, ou elles perdront leur pertinence alors que le monde devient de plus en plus inclusif grâce à la diversité.
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