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D’hier à aujourd’hui : un siècle d’éducation des femmes au Collège Brescia

Alors que la congrégation qui l’a fondée – l’ordre des Ursulines – disparaît lentement, la seule université pour femmes au Canada assume sa mission féministe.

par NELANTHI HEWA | 23 JAN 19

Ce texte est un sommaire de l’article « Past and present come together as Brescia marks 100 years of women’s education ».

Pendant son long trajet à pied entre l’école et la maison, à London, en Ontario, Mary Frances Dorschell pense souvent à Dieu (ses parents sont catholiques pratiquants) et à ce qu’elle fera de sa vie. Elle n’est pas sortie de l’adolescence quand elle choisit de devenir religieuse. L’année suivante, sa famille déménage à Windsor, en Ontario, où Mary Frances entre à la Holy Names Catholic High School. Les sœurs sont gentilles et la jeune fille les aime bien, mais elle ne sent pas tout à fait à sa place parmi elles.

À l’âge de seize ans, elle décide donc d’essayer la seule autre école secondaire catholique pour filles de Windsor. Cette école est dirigée par une autre congrégation, celle des Ursulines, et Mary Frances se dit qu’elle la fréquentera pendant un an avant d’entrer au couvent. Mais selon elle, Dieu a d’autres plans. « Quand j’ai découvert les Ursulines et ce qu’elles faisaient, j’ai eu le coup de foudre. »

C’est ainsi qu’elle se remémore, 50 ans plus tard, la révélation qui s’est transformée en engagement d’une vie envers l’ordre des Ursulines et sa mission fondamentale d’éduquer les femmes et de favoriser leur autonomie. Cette mission l’a menée au Collège universitaire Brescia de London, d’abord comme étudiante, puis comme enseignante à partir de 1982. Au moment de son départ en juillet 2018, elle était la dernière Ursuline à résider à l’Université.

Affilié à l’Université Western Ontario, le Collège Brescia occupe une place unique au Canada. Il s’agit en effet de la seule université pour femmes au pays. Le Collège célèbre cette année son 100e anniversaire, ce qui le place parmi les plus vieux établissements exclusivement féminins en Amérique du Nord.

Au Canada comme aux États-Unis, les collèges pour femmes se sont largement tournés vers la mixité. Chez nos voisins du Sud, leur nombre est passé de 230 dans les années 1960 à environ 35 aujourd’hui. Chez nous, l’Université Mount Saint Vincent d’Halifax a admis ses premiers étudiants masculins en 1967, et le Collège Ewart de l’Université de Toronto a ouvert ses portes aux hommes dans les années 1970, avant de fusionner avec le Collège Knox en 1991.

Le parcours des Ursulines

Lorsque l’ambitieuse dirigeante de la communauté des Ursulines de la région, mère Clare Gaukler, a fondé le Collège en 1919, elle suivait le chemin tracé par la fondatrice de l’ordre, sainte Angèle Mérici qui, au XVIe siècle a eu une révélation : elle devait établir une communauté de femmes qui vivraient de façon indépendante et consacreraient leur vie à Dieu. C’est ainsi que l’ordre de Sainte-Ursule a vu le jour, à Brescia, en Italie.

Mère Clare voyait la création d’un collège pour femmes comme le prolongement de ce rêve. Elle a donc fondé ce qui s’est d’abord appelé l’Ursuline College, un établissement dirigé par les Ursulines, où les cours étaient donnés par des sœurs. Depuis toujours affilié à l’Université Western Ontario, il est devenu le Collège Brescia en 1963, puis le Collège universitaire Brescia en 2001.

Les sœurs d’Ursuline en 1936 devant l’Ursuline Hall. Toutes les photos sont du Collège Brescia.

Lorsque Theresa Mahoney est devenue aumônière au Collège en septembre 1994, les Ursulines y étaient toujours bien présentes. Comme elle n’avait aucune formation d’aumônière, sœur Theresa a demandé conseil à un collègue basilien (de la congrégation de Saint-Basile), aumônier à l’Université Western, qui lui a simplement dit que le rôle consistait à se rendre disponible pour les autres. Aujourd’hui à la retraite, elle continue de se rendre disponible. Situé tout près de la chapelle d’Ursuline Hall, son bureau représente une petite parcelle de l’histoire des Ursulines.

Trônant au sommet d’une colline et surmonté d’une croix, Ursuline Hall, ce vaste bâtiment aux allures d’église, témoigne des racines catholiques du Collège Brescia. La communauté locale des Ursulines, les Ursulines de Chatham, vieillit. Sœur Theresa explique que la plus jeune d’entre elles a 60 ans, et que les Ursulines ne recrutent plus de novices et n’exercent plus de ministère.

Elles soutiennent plutôt des projets grâce à des dons et s’emploient à transmettre les enseignements de leur fondatrice, ce que sœur Theresa considère comme leur mission la plus importante. « La survie de notre forme de vie religieuse importe peu en comparaison de la volonté de servir. Aujourd’hui, le monde est grand ouvert pour les femmes. Il y a donc une multitude de façons de servir. Notre rôle était peut-être de transmettre ces rêves aux prochaines générations. »

Susan Mumm a elle-même porté ce rêve pendant ses trois années comme principale du Collège universitaire Brescia. Son bureau est également situé à Ursuline Hall, à l’étage au-dessus de celui de sœur Theresa. Non catholique, cette historienne de formation incarne la nouvelle identité du Collège. Elle parle avec passion de la place des femmes dans le monde d’aujourd’hui et du rôle de l’établissement dans leur développement.

Son arrivée au Collège tient aussi de l’histoire d’amour. « Il s’agissait d’une occasion unique de me consacrer à ce qui me tient le plus à cœur : l’enseignement supérieur des femmes. Je ne pouvais pas dire non. »

Émancipation des femmes

La vision sacrée de sainte Angèle Mérici, que partagent toutes les Ursulines, était de donner le pouvoir aux femmes de toutes confessions. C’est pourquoi Mme Mumm estime que le Collège Brescia demeure pertinent, même si les fidèles n’ont jamais été aussi peu nombreux dans les églises. Le Collège a vu le nombre de ses étudiantes étrangères plus que doubler depuis dix ans, et sa population étudiante au premier cycle est passée de 1 300 étudiantes en 2013 à environ 1 550 aujourd’hui.

Malgré la croissance du Collège, certains experts expriment des doutes sur l’employabilité des diplômées d’une université réservée aux femmes. Ivona Hideg, professeure agrégée de commerce et d’économie à l’Université Wilfrid Laurier et chercheuse en diversité des genres, estime que les établissements d’enseignement entièrement féminins nuisent à l’avancement des femmes à long terme. Elle craint que ceux-ci entretiennent les « idées reçues voulant qu’il existe des différences fondamentales dans la façon de travailler des hommes et des femmes et dans leurs capacités innées. » Elle en tient pour preuve les cours que tendent à offrir ces universités : comme la plupart des établissements réservés aux femmes, le Collège Brescia se consacre aux arts libéraux. « On perpétue ainsi les stéréotypes voulant que les femmes soient faites pour ça. »

Susan Mumm avec des étudiants du Collège Brescia.

Bien que Mme Mumm soutienne que le Collège Brescia n’est pas un établissement enseignant uniquement les arts libéraux, elle reconnaît que les programmes de celui-ci sont principalement axés sur des domaines déjà dominés par les femmes, bien que les étudiantes s’intéressent de plus en plus aux diplômes professionnels. Elle croit néanmoins que l’Université offre davantage qu’un diplôme : elle permet aussi de s’exprimer. Elle ne croit pas pour autant en l’existence de différences fondamentales entre les hommes et les femmes. Elle a simplement vu la différence entre les salles de classe mixtes et celles du Collège universitaire Brescia. Même si les universités comptent plus d’étudiantes que jamais auparavant, elles n’offrent pas forcément des « environnements favorables aux femmes », dit-elle. Elle se souvient clairement qu’à l’époque où elle donnait des exposés comme conférencière à une autre université, elle avait remarqué le déséquilibre des voix dominantes dans la classe.

Comme Mme Hideg, Mme Mumm se préoccupe du sort des femmes sur le marché du travail. Mais selon elle, si les universités ne peuvent pas changer instantanément le monde dans lequel on vit, elles peuvent aider les étudiants à évoluer. « Je ne crois pas que nous isolions les femmes de façon artificielle. Nous leur donnons simplement quatre ans pour se préparer à faire face à un monde qui ne leur fera pas de cadeaux. »

Un sentiment d’appartenance

Erica DeFrancisco, une étudiante de 21 ans au Collège universitaire Brescia, a été particulièrement frappée par le sentiment d’appartenance sur le campus. À son arrivée il y a quatre ans, comme sœur Mary Frances, elle a eu le coup de foudre. Le campus et la taille réduite des groupes lui plaisaient, mais elle avoue avoir d’abord hésité à fréquenter une université exclusivement féminine.

« Je ne savais pas à quoi m’attendre. Je pensais que le fait de réunir autant de filles entre elles pourrait entraîner certains psychodrames. » Mais aujourd’hui, Mme DeFrancisco se dit convaincue que cette décision est la meilleure de sa vie. « Toutes mes idées préconçues se sont envolées au bout de deux semaines de cours. »

Raine Williams, une étudiante jamaïcaine de 20 ans, éprouvait les mêmes appréhensions concernant le fait de côtoyer moins de garçons sur le campus. « Mais en y repensant bien, je trouve que ça m’aide à participer davantage aux cours. J’ai l’occasion de m’exprimer et de me faire entendre. »

Pour Mme Mumm, il est évident que le monde et le Collège Brescia ont beaucoup changé. Mais malgré la disparition progressive de la dimension religieuse de l’établissement, elle croit que tous ceux qui y travaillent comprennent l’œuvre des Ursulines et la soutiennent. « Les Ursulines nous ont transmis leur mission. La congrégation a été créée pour éduquer les femmes et les jeunes filles. Tant que nous continuerons de le faire, nous serons des Ursulines, même s’il ne reste plus une seule religieuse à 100 km à la ronde. »

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Nelanthi Hewa
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