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Des universitaires étudient les répercussions des bouleversements climatiques sur la santé mentale

Plusieurs se demandent comment les universités aideront les étudiant.e.s aux prises avec l’écoanxiété.

par SHARON ASCHAIEK | 13 DÉC 22

En 2022, il était presque impossible de ne pas prendre la mesure des répercussions du réchauffement de la planète : l’ouragan Ian a semé la désolation dans le Sud-Est des États-Unis, les inondations au Pakistan pendant la saison des moussons ont affecté 33 millions de personnes et sont responsables de plus de 1 700 décès, une vague de chaleur extrême en Europe a provoqué des sécheresses généralisées et, l’automne dernier, la tempête post-tropicale Fiona a dévasté les côtes de la Nouvelle-Écosse. Les extinctions massives, pertes d’habitat, déplacements de populations, pénuries alimentaires et autres conséquences des changements climatiques ont de quoi donner des cauchemars. Des chercheurs et chercheuses constatent d’ailleurs que cette crise d’une ampleur sans précédent a des effets délétères sur la santé mentale de la population.

En 2007, Ashlee Cunsolo a examiné pour le première fois cette dynamique de plus près. À l’époque, elle était doctorante à l’École de conception environnementale et de développement urbain de l’Université de Guelph et étudiait l’effet du réchauffement de la planète sur le mode de vie traditionnel du peuple inuit du Labrador. Ses recherches ont mis en lumière le sentiment de « douleur et de perte totale » que cette communauté vivait en voyant ses pratiques de pêche et de chasse ancestrales bouleversées par la transformation de son milieu. Cette détresse porte aujourd’hui plusieurs noms : climatoanxiété, écoanxiété, deuil écologique.

Mme Cunsolo est maintenant doyenne de l’École d’études arctiques et subarctiques du campus du Labrador de l’Université Memorial. En 2022, elle a corédigé un examen de la portée des recherches nord-américaines sur les interactions entre le climat et la santé mentale. Elle a découvert qu’il y a de plus en plus de recherche effectuée sur les risques pour la santé mentale associés aux changements climatiques (mais qu’il reste toutefois bien du chemin à faire). La même année, elle a aussi contribué au plus récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations Unies, qui comprend pour la première fois un chapitre traitant de l’incidence du réchauffement de la planète sur la santé mentale et le bien-être des humains.

« Très au fait de la science et des prédictions pour les 5, 10 ou 20 prochaines années, les gens voient aussi que rien n’est fait pour améliorer les choses, et cela suscite de l’anxiété, de la peur et de la tristesse », explique la chercheuse.

Mme Cunsulo codirige également l’Enquête canadienne sur les changements climatiques et le bien-être, qui sondera (en anglais, en français et en inuktitut) au moins 3 575 personnes choisies au hasard sur la façon dont les changements climatiques affectent leur santé mentale, dans le but de déterminer la nature, la portée et le caractère commun de ce phénomène. Des travaux similaires sont en cours à l’Université de l’Alberta, où le Groupe de recherche sur le changement climatique et la santé mondiale dirige de multiples projets de recherche épidémiologique communautaires et participatifs visant à améliorer la compréhension des effets du climat sur la santé.

Chercheur en épidémiologie dans le domaine de la santé publique à l’Université Simon Fraser, Kiffer Card est d’avis que les universités ont un rôle à jouer dans la pleine compréhension de l’écoanxiété. Celui-ci fait partie de l’équipe de chercheurs et chercheuses interdisciplinaires, de prestataires de soins de santé et d’intervenant.e.s communautaires qui forment l’Alliance pour la santé mentale et le changement climatique. L’an dernier, ce groupe a mis à l’essai le Système de surveillance de la détresse climatique afin d’examiner la distribution démographique et épidémiologique de l’inquiétude écologique chez les Britanno-Colombien.ne.s ainsi que ses déterminants. En interrogeant la population avant et après la vague de chaleur record qu’a connue la province, le groupe a constaté des niveaux élevés d’écoanxiété, qui se traduisaient notamment par des inquiétudes quant à la pérennité des moyens de subsistance et de la région.

Et la population étudiante dans tout ça?

Poussées à l’action par les recherches démontrant une hausse des taux d’écoanxiété, certaines universités commencent à reconnaître qu’elles doivent faire davantage pour comprendre ce nouveau problème de santé mentale, reconnaître le risque croissant qu’il représente pour les étudiant.e.s qui mènent des recherches sur les changements climatiques et leur apporter un soutien.

« Les sciences climatiques, ce n’est pas rose. Les étudiant.e.s confronté.e.s aux données chaque jour portent un fardeau émotionnel énorme, et le gère souvent seul.e.s. Les professeur.e.s ne savent pas nécessairement comment les soutenir et les ressources sont inexistantes, se désole Mme Cunsolo. Dans les cercles postsecondaires, la question est sur toutes les lèvres, car les établissements réalisent que le phénomène est mondial et qu’ils doivent prendre le taureau par les cornes. »

Mais aider les étudiant.e.s à faire face aux aspects bouleversants de la science des changements climatiques n’est pas une mince affaire pour les universités canadiennes, qui ont déjà du mal à soutenir adéquatement les étudiant.e.s souffrant d’anxiété et de dépression, deux problèmes de santé qui se sont intensifiés au cours des deux dernières années en raison de la pandémie. Certaines commencent à agir, mais les initiatives émanent souvent des bureaux du développement durable et des étudiant.e.s.

En 2020, le bureau du développement durable de l’Université de Calgary a organisé une activité sur la façon de soulager la détresse climatique. L’année suivante, il s’est associé à une équipe d’étudiant.e.s réalisant un projet de synthèse dans le cadre d’un cours de quatrième année sur le bien-être. L’équipe a mis au point une boîte à outils de gestion de l’anxiété climatique recommandant notamment l’implication directe dans un club ou un groupe de protection du climat et la méditation. Le bureau du développement durable et l’équipe chargée de la stratégie en matière de santé mentale sur le campus transforment actuellement cette boîte à outils en ressource en ligne. De son côté, Alexandra Cotrufo, étudiante à la maîtrise à l’Université Brock, a écrit un billet de blogue pour le bureau du développement durable de l’établissement, dans lequel elle donne les conseils suivants pour diminuer l’écoanxiété : accueillez vos émotions, parlez de vos préoccupations, prenez des pauses dans votre militantisme pour vous ressourcer, maintenez une routine saine, visez un travail « suffisamment bon » et demandez une aide professionnelle si nécessaire.

Poursuivre la conversation

Pendant son doctorat en psychologie clinique à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, Allegra Netten a constaté une pénurie de traitements psychologiques et d’études portant sur l’anxiété climatique. Troublée par cette lacune dans la recherche et par sa propre détresse croissante face à l’état de la planète, elle a décidé de mettre au point une échelle permettant de déterminer les niveaux d’anxiété du public face aux changements climatiques. Cette échelle de Likert à cinq points comportait 35 affirmations telles que « Mon anxiété face aux changements climatiques me cause une détresse importante » et « J’ai peur que les changements climatiques provoquent une catastrophe ». Dans le cadre du développement et de la validation de l’échelle, la chercheuse l’a intégrée à une enquête en ligne. Elle a obtenu 428 réponses statistiquement viables révélant un certain degré d’accord avec les énoncés.

« Les universités contribuent de façon importante à la recherche, et je pense donc qu’il est très important de continuer à approfondir notre compréhension de l’incidence des changements climatiques sur la santé mentale et de diffuser ces connaissances pour en faire bénéficier la population et améliorer les options de traitement », déclare Mme Netten, qui est maintenant résidente prédoctorale à l’Institut de thérapie cognitivo-comportementale d’Ottawa. Son travail consiste justement notamment à conseiller les personnes souffrant d’écoanxiété.

À l’heure actuelle, Kiffer Card dirige une étude avec des collègues de l’Université Simon Fraser et des professeur.e.s de l’Université de la Colombie-Britannique, de l’Université de Toronto et de l’Université Athabasca. Le groupe examine les réactions au réchauffement climatique en temps réel par le biais des médias sociaux. Grâce à une subvention de 283 372 dollars du Fonds Nouvelles frontières en recherche du Conseil de recherches en sciences humaines, l’équipe pousse plus loin le modèle d’enquête précédent de M. Card en créant un système automatisé qui surveille les commentaires pertinents sur Twitter et Reddit ainsi que les informations provenant de Google News et de Google Trends.

« Nous essayons de comprendre comment les propos sur le réchauffement climatique évoluent dans le temps et dans quelle mesure les médias ont une incidence sur le niveau d’anxiété de la population, explique le chercheur. Nous serons en mesure de saisir les différentes dimensions de la détresse climatique et de la résilience. Ce que nos proches disent, ce qu’on entend à la télévision, et même notre appartenance à un parti [politique]… tous ces éléments influencent notre perspective. »

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