Essor de la diplomatie scientifique pour redorer l’image du Canada

Les initiatives qui favorisent les rapports entre la science et les affaires internationales dans le but de répondre à des problèmes communs auxquels l’humanité est confrontée se multiplient au Canada.

10 décembre 2024
Illustration de : iStock.com/metamorworks

La diplomatie scientifique joue un rôle essentiel dans le monde universitaire en établissant des ponts entre la recherche, les politiques publiques et les enjeux mondiaux. La lutte contre la résistance aux antibiotiques en est une démonstration éloquente : sans une action scientifique, technologique et politique coordonnée à l’échelle internationale, il sera difficile, voire impossible de venir à bout de ce problème de santé publique, rappelle l’Organisation mondiale de la santé. La perte d’efficacité des médicaments surutilisés pour traiter et prévenir les infections est reliée à quelque cinq millions de décès par an sur la planète. Et si rien n’est fait, dix millions de décès par année surviendront en 2050 du fait d’infections sans cesse plus difficiles à soigner, prévoit l’instance onusienne. 

« La résistance antimicrobienne est un exemple classique de problème d’action collective. Une fois qu’un virus ou une bactérie devient résistant aux antibiotiques, tous paient le prix, car les mécanismes d’antibiorésistance se propagent aux quatre coins de la planète, sans considération de frontières », explique Patrick Fafard, professeur à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa et directeur de recherche du Global Strategy Lab, qui étudie cet enjeu. Il codirige depuis ce printemps la Chaire de recherche en diplomatie scientifique, qui est issue d’un partenariat entre l’Université d’Ottawa et l’ambassade de France au Canada. 

Avec l’autre cotitulaire, le professeur d’histoire contemporaine Pascal Griset de Sorbonne Université, à Paris, ce spécialiste des politiques de santé publique et de gouvernance tentera de mieux comprendre la pratique de la diplomatie scientifique au travers de la résistance aux antimicrobiens. « C’est un peu comme une étude de cas, fait-il valoir. Nous voulons, à partir de cet exemple, faire avancer la recherche sur cette notion, notamment en ce qui a trait à son efficacité réelle». La nouvelle chaire se penchera de plus sur la recherche d’un compromis entre les idéaux scientifiques universels et les exigences croissantes en matière de sécurité nationale. 

Pourquoi maintenant ? 

Les partenariats du genre se sont multipliés dans les derniers mois au pays. En octobre, le Fonds de recherche du Québec (FRQ), l’Université Laval et Sorbonne Université ont ainsi pavé la voie à la création prochaine d’une chaire de recherche sur la diplomatie scientifique. « Cette annonce est la première d’une série de chaires de recherche sur la diplomatie scientifique que le FRQ entend instaurer », a d’ailleurs affirmé Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec, par voie de communiqué. Le mois précédent, Universités Canada (éditrice d’Affaires universitaires) et France Universités se sont aussi entendues pour inaugurer une ère renouvelée de collaboration scientifique bilatérale

La diplomatie scientifique est pourtant un concept qui existe depuis belle lurette. « Qu’on songe aux grandes découvertes ou plus récemment à la Guerre froide, il y a toujours eu des coopérations entre scientifiques et États-nations. Ces dernières ont mis en place les bases d’une véritable science transnationale », souligne Amabilly Bonacina, doctorante en science politique à l’Université de Montréal. Celle qui consacre sa thèse à la coopération sud-sud et à la diplomatie scientifique a participé à un panel sur le sujet organisé dans le cadre de la plus récente édition des Entretiens Jacques Cartier, qui s’est tenue cet automne à Montréal

S’il en est autant question maintenant, c’est entre autres parce que les États et gouvernements membres de la francophonie souhaitent revaloriser le rôle de la langue de Molière dans la recherche scientifique, pense M. Fafard. « À mes yeux, c’est clair qu’il s’agit d’une des principales motivations derrière ces annonces », affirme l’expert. Une lecture que partage Mme Bonacina. « Pour les gouvernements du Québec et du Canada, la diplomatie scientifique s’inscrit comme un des leviers stratégiques de leur politique à l’international, analyse-t-elle. On peut y voir une projection de leur pouvoir de convaincre [ou soft power] ». 

Retombées prévues, portée réelle 

Cette attractivité se vérifie dans l’ouverture récente, à Montréal, d’une branche de l’Université Mohammed VI Polytechnique, du Maroc. Grâce à cette antenne canadienne, l’institution espère « renforcer et amplifier les échanges académiques et technologiques » entre les continents africains et nord-américains, indique par courriel sa directrice générale Fatiha Charradi. Les secteurs ciblés par ce partenariat, soit l’agriculture, l’énergie, l’exploitation minière, l’intelligence artificielle et le développement durable, « sont cruciaux pour relever des défis comme la sécurité alimentaire, la transition énergétique et la résilience face aux changements climatiques », spécifie-t-elle. 

Parmi les retombées escomptées figure notamment la volonté de stimuler la mobilité étudiante entre les deux pays. Pourtant, Ottawa limite fortement le nombre de personnes étudiantes étrangères acceptées au pays, et ce, jusqu’en 2026 au moins. Même chose à Québec, où le gouvernement Legault souhaite pour sa part resserrer les conditions d’admission pour les étudiantes et étudiants internationaux. Tout cela n’est-il pas contradictoire ? « On constate là les effets d’un manque de réflexion stratégique en amont, répond Mme Bonacina. Cela crée un décalage qui va à l’encontre des efforts de coopération scientifique entre pays. » 


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N’empêche, c’est le propre de la diplomatie scientifique de flirter avec un certain idéalisme. « L’idée selon laquelle la collaboration entre scientifiques va transcender les rivalités entre pays est discutable en soi, nuance M. Fafard. Pour toutes sortes de raisons, la maximisation de l’impact de la science sur les politiques publiques est plus complexe qu’il n’y paraît et commande donc une posture de réalisme dans l’analyse des retombées. » Autrement dit, si la diplomatie scientifique représente bel et bien un réel atout pour le Canada, par exemple, pour redorer son image de meneur dans l’innovation et la recherche collaborative, il ne faut pas non plus en exagérer la portée. 

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