Le devoir des scientifiques de dénoncer la désinformation

Ils doivent participer davantage aux débats publics et être mieux outillés, selon des communicateurs scientifiques.

05 décembre 2019
Le Pharmachien Olivier Bernard (gauche) et le Scientifique en Chef du Québec Rémi Quirion (droite) lors de la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes.

Un groupe de communicateurs scientifiques appellent leurs collègues à prendre leurs responsabilités et à être plus présents dans l’espace public pour dénoncer les fausses nouvelles particulièrement sur des enjeux polarisants.

Réunis à Ottawa lors de la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes en novembre dernier, plus d’une centaine d’intéressés ont assisté au débat entourant le rôle des scientifiques. Ils ont aussi abordé le risque de se prononcer à l’encontre d’un mouvement de masse sur les réseaux sociaux.

Au cœur de la discussion se trouvait l’épisode de la pétition sur la vitamine C injectable contre le cancer survenu à l’hiver dernier. Celle-ci a commencé à circuler en 2018 et demandait l’approbation et le remboursement des injections de vitamine C chez les personnes souffrant de cancer. Elle soutenait que ce type de traitement pouvait atténuer de façon significative les effets secondaires de la chimiothérapie et ainsi augmenter la qualité de vie des patients. Cette pétition, recueillant plus de 120,000 signatures, a été parrainée par un député caquiste afin d’être présentée devant l’Assemblée nationale.

Le pharmacien Olivier Bernard, alias le Pharmachien, une figure connue de la vulgarisation scientifique en santé au Québec, a publié un article visant à déboulonner les mythes entourant l’utilisation de ces injections.  Son travail de vulgarisation scientifique a déclenché contre lui une vague de cyberintimidation : des individus l’ont menacé de mort, ont publié l’adresse de son lieu de travail et s’en sont pris à sa conjointe.

Le Pharmachien Olivier Bernard (gauche) et le Scientifique en chef du Québec Rémi Quirion (droite) lors de la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes. Photo : Twitter.

Dans toute cette affaire qui a duré des mois, très peu de scientifiques ont appuyé la démarche de M. Bernard. Un silence qui a découragé le pharmacien. Aujourd’hui, il estime que les scientifiques et les professionnels de la santé doivent cesser d’avoir peur de prendre la parole sur des sujets dont ils sont les experts.

« Il y a plein de gens qui parlent à notre place, de nos sujets, ça n’a pas de bon sens, dénonce le pharmacien.  On ne peut plus se permettre d’être en arrière-plan, d’attendre et d’être silencieux. »

M. Bernard dit comprendre les craintes de ses collègues, car les conséquences peuvent être grandes : plaintes à l’ordre professionnel, stress, impacts sur la carrière, perte de bourse ou de financement, sans parler d’intimidation et de menaces.

Mais le Pharmachien, qui a remporté le prix John Maddox 2019 pour son travail dans le dossier de la vitamine C, refuse de céder à ces peurs. « J’ai eu environ une douzaine de plaintes à mon ordre professionnel, certaines complètement farfelues. On ne devrait pas s’empêcher de parler. Si on cède à la peur, on se censure. »

Le Scientifique en chef du Québec Rémi Quirion, qui a appuyé la démarche de vulgarisation de M. Bernard, va dans le même sens.  « Je pense que le scientifique doit se mouiller davantage, explique-t-il. Oui, on a tendance à dire : ‘‘Je reçois mes subventions de recherche, je crée, je produis de nouvelles connaissances, c’est ça mon apport à la société.’’ Aujourd’hui, je pense que ce n’est pas suffisant. »

La directrice générale de l’organisme Evidence for democracy (E4D) Katie Gibbs estime, quant à elle, que les organisations et les associations doivent aussi se prononcer. « C’est quand il y a des controverses avec un potentiel de contrecoup que les institutions doivent intervenir. Elles ont un poids différent de celui des chercheurs individuels, et ont un peu plus de distance face au public qu’un individu seul. »

Manque d’outils et de formation

M. Bernard et Quirion sont d’avis que les scientifiques sont mal outillés pour communiquer au public les faits liés à leur domaine d’expertise. « On ne devient pas un communicateur scientifique du jour au lendemain. Je pense qu’à l’université il devrait carrément y avoir un cours de communication scientifique pour y apprendre les bases, ce qui fonctionne et ne fonctionne pas », explique le pharmacien et vulgarisateur.

Le Scientifique en chef du Québec, quant à lui, souhaiterait voir des formations plus transversales qui regrouperaient milieu scientifique et autres domaines comme celui de la politique. Il a d’ailleurs mis sur pied les petits déjeuners à l’Assemblée nationale afin de sensibiliser les élus aux enjeux scientifiques et de rétablir le lien de confiance entre la science et le politique.

Le programme Dialogue en soutien à la communication scientifique, un groupe de travail gouvernemental et un comité consultatif interprofessionnel ont été créés afin de protéger les scientifiques qui parlent publiquement de sujets sensibles.

Selon Mme Gibbs, les politiciens, de nos jours, cherchent davantage à plaire aux électeurs en harmonisant leurs décisions à l’opinion publique plutôt qu’à fonder leurs politiques sur les faits et la science. « Il faut simplement accepter que ça se passe comme ça et respecter les règles du jeu.  Notre rôle est de faire en sorte que la voix de la science, de la vérité et des faits soit plus forte, plus puissante et entendue par les élus. »

Dissocier les faits des opinions

La journaliste scientifique Ève Beaudin rappelle qu’il est essentiel d’entamer une discussion avec le public, et non pas seulement présenter les faits.

« Si nous faisons un programme, nous devrions nous intéresser à ce qui fonctionne et expliquer les techniques trompeuses utilisées par les personnes à l’origine de la désinformation. Ils utilisent toujours les mêmes techniques : présenter les opinions comme des faits et la technique de l’amalgame. »

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