Découvrabilité du contenu francophone : la culture prépare une contre-attaque

En science comme en culture, la faible découvrabilité dont jouissent les contenus francophones soulève des préoccupations majeures en matière d’égalité des chances et même, de survie.

08 octobre 2024

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Si l’enjeu de la découvrabilité du contenu francophone en science est surtout lié à la production, dans le domaine de la culture, il est plus lié à sa mise de l’avant sur les grandes plateformes de diffusion. Mais, ne pas s’y attaquer maintenant pourrait faire dégénérer les choses.

« Ultimement, la question de la découvrabilité des contenus francophones sur les plateformes numériques en est une de survie culturelle, affirme Mathieu Lacombe, ministre de la Culture et des Communications du Québec. L’améliorer est la grande priorité de mon mandat. »

Les chiffres tendent à lui donner raison. D’après l’Enquête québécoise sur la découvrabilité des produits culturels de l’Institut de la statistique du Québec, les personnes de 15 à 29 ans sont les plus nombreuses à utiliser l’internet pour trouver du contenu culturel (87% pour la musique et 81% pour les films et les séries). Or, ce sont aussi ces personnes qui sont les plus nombreuses à ne pas écouter de musique, de films et de séries du Québec en français (environ 30 %).

Les conditions du succès

Il ne fait pas de doute que le rayonnement de la culture québécoise est lié à son contexte socio-économique. Guillaume Blum, professeur au département de design de l’École de technologie supérieure, s’intéresse spécialement à la musique.

« Dans les années 1970, 1980 et 1990, plusieurs maisons de disques internationales ont quitté le Québec à la suite du premier référendum, donc plusieurs petites maisons de disques québécoises très proches des artistes sont apparues, explique-t-il. C’était aussi l’époque de l’émergence du ministère de la Culture et du développement de politiques culturelles. On a promu la musique francophone et québécoise. Les artistes étaient dans un contexte où toutes les conditions étaient réunies pour qu’ils aient du succès. »


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Aujourd’hui, avec les grandes plateformes de diffusion, les conditions ont bien changé. « Elles ont restructuré l’écosystème, affirme M. Blum, par ailleurs cotitulaire de la Chaire de recherche en économie créative et mieux-être, axe découvrabilité. Il faut des compétences techniques pour bien les utiliser, par exemple pour identifier les chansons. Les petites compagnies de disques ne les ont pas nécessairement. Puis, elles ne font pas le poids avec les grandes qui signent des ententes plus ou moins confidentielles avec les plateformes pour s’assurer d’un pourcentage d’écoute. Les algorithmes qui proposent les chansons peuvent avoir l’air neutres, mais ils ne le sont pas. »

Dans le domaine cinématographique, les enjeux sont semblables, d’après Destiny Tchéhouali, professeur au département de communication sociale et publique à l’Université du Québec à Montréal.

« Par exemple, Netflix est à la fois diffuseur et producteur de contenu, indique celui qui est également titulaire de la Chaire UNESCO en communication et technologies pour le développement. Les actionnaires investissent dans ces contenus, alors il est dans l’intérêt de la plateforme de les pousser en priorité pour maximiser les vues et les revenus, souvent au détriment de contenus moins connus. »

Il souligne aussi les défis technologiques avec le développement des algorithmes et de l’intelligence artificielle qui se fait à un rythme souvent beaucoup plus rapide que celui de l’adoption des lois et des politiques. « Cela soulève des questions sur la manière dont nous allons réguler ces innovations », souligne M. Tchéhouali.

Mieux valoriser les contenus francophones

Le monde de la culture est tout de même en recherche de solutions depuis quelques années déjà. M. Tchéhouali a travaillé notamment avec TV5 Monde pour concevoir des algorithmes qui intègrent des critères favorisant les contenus francophones québécois et africains. « Nous avons montré que c’est techniquement faisable et cela commence à trouver un écho dans les décisions réglementaires, comme la loi canadienne C-11 adoptée l’an dernier qui impose aux plateformes de valoriser les contenus canadiens et francophones », précise-t-il.

Aux yeux de M. Blum, il apparaît important de poursuivre les efforts. Par exemple, en s’attardant à l’interface des grandes plateformes. « Pourquoi ne pourrait-on pas avoir sur leur page d’accueil au Québec une barre qui propose du contenu québécois au lieu de devoir chercher pour le trouver? Ça aiderait grandement la découvrabilité. »

C’est en ce sens que penche le ministre Lacombe. « On sait tous que lorsqu’on entre dans une épicerie, le produit qui se trouve dans la tablette au niveau des pieds a beaucoup moins de chances de se retrouver dans le panier que le produit qui est à la hauteur des yeux, illustre-t-il. C’est un principe vieux comme l’industrie. Il faut mettre le produit en valeur si on veut qu’il soit consommé. Sur les plateformes, on retrouve surtout de la musique étrangère, américaine pour la plupart, et plus on en écoute, plus on nous en propose, donc c’est un cercle vicieux. »

Or, une chanson n’est pas une boîte de céréales. Grâce à la Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’UNESCO, ratifiée d’abord par le Canada, puis par plus de 150 États, les produits culturels nationaux ne peuvent pas être traités au même titre que les autres biens et services dans les accords commerciaux. Comme ministre des Relations internationales à l’époque, Louise Beaudoin avait mené le combat sur la scène internationale. M. Lacombe, conseillé par un groupe d’experts dont fait partie Mme Beaudoin, a repris le bâton de pèlerin. Il a prononcé ce printemps une allocution devant les membres de l’UNESCO pour les enjoindre à faire de la diversité linguistique un élément central de la mise à jour de la Convention sur laquelle planche un groupe de travail pour prendre en compte le contexte numérique. Sa proposition a été acceptée et les recommandations sont attendues prochainement.

« Cette démarche est très importante puisqu’elle permet d’aller chercher des alliés pour établir un cadre, affirme M. Lacombe. Si on réussit à créer un consensus international, on aura beaucoup plus de légitimité face aux géants numériques que si le Québec est seul dans sa démarche. »

Il déposera aussi dans les prochains mois un projet de loi pour encadrer la présence des plateformes au Québec.

« Comme nation, le Québec est responsable de légiférer en cette matière, affirme le ministre. Ce projet de loi s’appuiera sur le droit des Québécoises et des Québécois d’avoir accès à la culture dans leur langue, donc en français. C’est une question du respect de la culture locale, et ce, pour toutes les nations. »

Revoir la redistribution des revenus

M. Blum souligne aussi l’importance de remettre en question la façon de redistribuer les revenus. « Sur Spotify, un million d’écoutes – ce qui est énorme alors que nous sommes huit millions et demi au Québec – génère entre 5000 et 10 000 $, précise-t-il. Cette somme est séparée entre différents acteurs, dont la maison de disques, ce qui fait que l’artiste en récupère de 5 et 20%, soit entre 250 et 2000 $. »

Il mentionne aussi la qualité de l’écoute. « Il y a de la musique d’ambiance qu’on peut faire jouer pendant des heures quand on travaille ou de la musique douce qu’on met pour contrer l’insomnie, indique-t-il. Ce n’est pas la même qualité d’écoute que lorsqu’on découvre la nouvelle chanson de notre groupe préféré. Est-ce que ça vaut la même chose? »

Pour qu’il y ait des changements, M. Blum souligne qu’il faut créer des regroupements d’acteurs de l’industrie appuyés par les gouvernements. « C’est très important, parce qu’en musique, les revenus dépendent surtout des écoutes, explique-t-il. Si on continue comme ça, très peu de personnes pourront vivre de leurs chansons. La découvrabilité est donc liée à l’existence même de la musique québécoise francophone. »

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