Communiquer en français ou se rallier à la masse? Telle est la question…

Réflexion sur la valse-hésitation qui habite une chercheuse francophone.

16 juin 2021
Shot of a group of businesspeople holding up signs with question marks on them during a work presentation

Tu es une jeune étudiante aux cycles supérieurs qui assiste pour la première fois au colloque annuel de ton association nationale. Fébrile, tu attends avec impatience la prochaine présentation, celle d’un professeur de ton département.

Soudainement, tu entends le bruit sourd de chaises qui bougent. La moitié de la salle quitte.

Tu t’interroges. Y a-t-il un changement de salle? Tu vérifies ton horaire. Non. Et ce n’est pas encore la pause. Bizarre.

La personne assurant la présidence de la séance annonce le prochain présentateur. Ton professeur fait ensuite un brillant exposé… en français.

Au fil des années, ce colloque annuel te donnera la chance de visiter le Canada comme tu ne l’avais jamais fait, de Saint-Jean de Terre-Neuve à Vancouver, en Colombie-Britannique. Événement complètement bilingue, organisé tour à tour par des départements de partout au pays et bien souvent par une joyeuse bande de francophiles, il s’agit — théoriquement — d’un espace parfait pour démontrer ton savoir-faire, et ce, dans ta langue, devant tous tes collègues du pays.

Or, ce n’est pas tout à fait ce qui arrive.

Année après année, tu remarques de plus en plus les conséquences du fossé linguistique qui divise ta communauté, et ce, malgré toute la bonne volonté et la sensibilité de ton association sur cette question.

D’un côté, il y a souvent ces bibliographies unilingues anglophones.

De l’autre, tes collègues francophones et toi — étudiant.e.s comme professeur.e.s d’ailleurs, comme le montre l’anecdote de ta première présence. Pour vous, présenter en français veut toujours dire un moins grand auditoire et moins de questions, si ce n’est aucune question du tout.

Tu persistes à t’exprimer en français, mais en intégrant un PowerPoint ou un exemplier en anglais. La situation s’améliore un peu, mais n’est toujours pas optimale.

Tu tentes, tant bien que mal, de convaincre tes collègues à faire comme toi, mais tu deviens rapidement à court d’arguments.

Pour toi qui souhaites étendre ton réseau de contacts, faire rayonner ton expertise et aspirer à un emploi dans le système universitaire canadien, voire à l’international, le grand dilemme de la science en français revient maintenant comme un leitmotiv.


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Présenter tes recherches en anglais aurait certes une foule d’avantages, mais voudrait aussi dire que tu contribuerais à la mort lente de ta langue maternelle au sein de ton association. Ta fibre militante a bien du mal à s’y résoudre.

Et la question ne se pose évidemment pas seulement lors des colloques. Le choix des revues où tu souhaites publier devient de plus en plus déchirant.

Après avoir publié dans plusieurs revues importantes de langue française, tu oses soumettre un texte à une grande revue anglo-saxonne… non sans avoir, au préalable, fait relire ton manuscrit par plusieurs collègues, dont plusieurs anglophones.

Tu attends une réponse avec appréhension, sachant très bien que la compétition est encore plus féroce. Tu te répètes, comme un mantra, que c’est normal de se faire refuser, surtout les premières fois. « Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage » comme l’adage le dit si bien. L’échec fait aussi partie de l’apprentissage.

Vient enfin le jour tant attendu… ou plutôt tant craint. La réponse de l’éditeur arrive dans ta boîte courriel. Ton cœur bat la chamade. Tu n’oses pas la lire.

Bon, voilà, c’est officiel. Ton article a été refusé. Tu n’es pas surprise, seulement déçue.

Mais, maintenant pour apprendre, il faut savoir pourquoi.

Tu te mets à lire attentivement les commentaires des rapporteurs. Tu es alors frappée par leur dureté, pour ne pas dire leur violence. On y spécifie d’emblée que l’auteur — c’est-à-dire toi— n’a certainement pas l’anglais comme langue maternelle et que, pour cette raison, le texte est opaque et même incompréhensible. S’ensuit alors une liste de corrections qui t’apparaissent pourtant mineures : un déterminant mal choisi, un temps de verbe inadéquat, le choix d’un terme moins usité, etc. Mais rien qui, selon toi, aurait pu entraver à ce point la compréhension de ton message.

Considérant tout le temps et la rigueur que tu y as mis, tu as de la difficulté à ne pas te remettre en question.

Est-ce que tu es vraiment de calibre pour envisager une carrière à l’international?

Est-ce que ton CV, richement garni d’intéressantes expériences d’enseignement et de publications en français, peut se démarquer et te faire décrocher un poste, même en milieu anglophone?

À l’échelle individuelle, nul ne peut fournir de réponse. Chaque cas de figure est bien sûr différent. Toutefois, à plus grande échelle, le rapport de l’Acfas déposé le 7 juin dernier met bien en lumière comment la prédominance grandissante de l’anglais peut mettre des freins aux scientifiques francophones et allophones, particulièrement en contexte minoritaire.

Or, le rapport pose des constats encore plus inquiétants : cette transition vers l’anglais affecte non seulement comment les chercheurs et chercheuses communiquent leur science, mais aussi comment ils choisissent leurs sujets de recherche. Cette mondialisation du savoir s’immisce ainsi au cœur de leur travail, pouvant venir briser un lien si important avec les communautés locales et leurs enjeux.

La langue de la science n’est donc pas simplement une question de forme, mais aussi de fond, à laquelle toute la communauté universitaire canadienne doit s’arrêter.

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