Université sans frontières : un professeur canadien enseigne la médecine aux Afghanes

Privées de libertés fondamentales et bannies de l’éducation supérieure, 146 Afghanes sont inscrites en médecine grâce à une entente exceptionnelle avec les talibans.

04 septembre 2025
Graphique par : Edward Thomas Swan

Le Dr Karim Qayumi, chirurgien et professeur à l’Université de la Colombie-Britannique, n’a jamais coupé le lien avec son pays natal. Le retour des talibans au pouvoir, en août 2021, l’a profondément bouleversé. « Elles sont vraiment exaspérées [la situation] est triste », souffle-t-il. Une tristesse alimentée par des données alarmantes : une étude publiée en septembre dernier dans le Journal of Public Health révèle que 87,6 % des 426 Afghanes interrogées présentaient des symptômes de dépression et près de la moitié disaient avoir eu des pensées suicidaires.

En quatre ans de pouvoir à la tête de l’Afghanistan, le régime taliban a instauré 70 décrets restreignant  les filles dès l’âge de la puberté. Interdiction de chanter ou de parler et, obligation de porter la burqa et d’être accompagnées pour sortir de chez elles. Pire encore, l’Afghanistan est le seul pays au monde à bannir l’éducation aux filles au-delà de 12 ans selon l’UNESCO.

Ces restrictions pèsent lourdement sur le système de santé. Les injonctions talibanes autorisent les femmes à n’être soignées que par du personnel féminin. Moins nombreuses que leurs confrères, les femmes médecins et les infirmières représenteraient 20 % des effectifs de soin, ce qui accable davantage le système de santé du pays qui détient l’un des taux de mortalité maternelle les plus élevés.

La responsable onusienne Susan Ferguson, qui dirige le bureau régional d’ONU Femmes pour l’Afghanistan, anticipe une augmentation de 25 % de mariages et de 45 % de grossesses des adolescentes d’ici 2026, une facture salée pour cette ségrégation basée sur le genre.

Une université médicale virtuelle

Apercevant le désastre d’une crise sanitaire se dessiner dans son pays d’origine, le Dr Qayumi a mis sur pied le Canadian Virtual Medical University Initiative (CVMUI), l’Initiative canadienne d’Université médicale virtuelle [traduction libre], un établissement virtuel réservé aux femmes. Actuellement, 164 Afghanes y sont inscrites au programme de doctorat en médecine, et 55 autres patientent sur la liste d’attente.

Le mode d’enseignement est entièrement virtuel, « innovant et du jamais vu », dit-il enjoué.

Le matériel pédagogique, conçu en un an et demi, associe théorie et pratique de la médecine sur des cas types, et aboutit à un stage dans un hôpital universitaire afghan.

« Nous fournissons [aux étudiantes] des ordinateurs, la connexion Internet, des batteries d’alimentation en cas de panne et, bien sûr, l’université est gratuite », poursuit-il. 

Le corps enseignant est intégralement bénévole et les cours sont donnés en anglais. Environ 80 femmes suivent des classes de mise à niveau de l’anglais. Elles aussi ont opté pour la vocation de médecin plutôt que de kinésiologue, d’infirmière ou de sage-femme, également enseignées à la CVMUI.

« Pour elles » un dialogue fragile avec les talibans

Pour que le projet voie le jour, le professeur a dû convaincre les talibans. « Je leur ai dit que j’amènerais l’université chez elles afin qu’elles n’aient pas à se déplacer, ce qui leur a plu. » Un protocole d’accord a ainsi été signé avec le ministère afghan de l’Enseignement supérieur : tant que le programme respecte les lois talibanes, les étudiantes sont autorisées à poursuivre leur scolarité.

Mais les négociations restent fragiles. Le Dr Qayumi ne veut en aucun cas nuire à sa relation diplomatique avec les responsables afghans et risquer de décevoir ses étudiantes. « Pour elles », il travaille à légitimer leurs compétences acquises dans son établissement virtuel à part entière tant par l’administration afghane que par les établissements universitaires étrangers.

Aujourd’hui, près de 80 % des jeunes Afghanes sont privées d’école et d’emploi, une exclusion qui pourrait coûter 920 millions de dollars américains à l’Afghanistan d’ici 2026, selon l’ONU. Malgré ce constat accablant, le Dr Qayumi veut croire à une brèche d’espoir : « Les autorités talibanes comprennent le rôle crucial des femmes médecins pour l’avenir du pays et la survie des Afghanes. »

Cet article s’inscrit dans la série « Universités sans frontières », qui met en lumière le travail de professeures et professeurs canadiens enseignant dans des pays marqués par la guerre ou l’instabilité.

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