Les centres universitaires de santé mentale forcés à passer aux consultations en ligne

Les thérapeutes disent avoir dû s’adapter en pleine crise en raison de la pandémie.

20 avril 2021
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Cet article est un sommaire de l’article « How mental health services for students pivoted during COVID-19 ».

Le 11 mars 2020, le jour où l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé la pandémie mondiale de COVID-19, Sarah Pope*, étudiante à l’Université York, rencontrait son thérapeute sur le campus. Tous deux ignoraient qu’il s’agissait de leur dernière rencontre en personne.

« Au début, je faisais partie de ceux qui croyaient sincèrement que le confinement durerait deux semaines alors je m’en faisais peu avec son incidence sur ma thérapie, raconte l’étudiante. Mais au bout de quelques semaines, j’ai commencé à beaucoup m’inquiéter et à me demander comment j’allais pouvoir accéder aux services de counseling, car l’Université n’avait pas de plan. »

En 2019, seulement cinq pour cent des établissements postsecondaires canadiens offraient des séances de thérapie en ligne, selon une enquête de l’Association des services aux étudiants des universités et collèges du Canada (ASEUCC). Une enquête de suivi réalisée en 2020 a révélé que trois semaines après la fermeture des campus, 90 pour cent des établissements postsecondaires fournissaient des services de santé mentale à distance. Les chercheurs de l’ASEUCC ont indiqué qu’en temps normal, ce changement aurait pris des années à se produire.

De nombreux centres universitaires de counseling ont ainsi offert pour la toute première fois des services téléphoniques et par vidéoconférence. Les centres de bien-être des campus ont publié de l’information liée à la pandémie sur leur site Web, organisé des webinaires sur la gestion du stress et de l’anxiété et offert des activités en ligne comme de la zoothérapie et des cours de méditation. Certains ont même fourni de la thérapie par messagerie texte.

Cette transformation a eu lieu dans un contexte où la pandémie exacerbait les troubles de santé mentale des étudiants de niveau postsecondaire, un groupe démographique qui éprouvait déjà des difficultés. En fin de compte, les universités canadiennes ont dû s’adapter en créant une infrastructure numérique et des services virtuels attendus depuis longtemps en pleine crise mondiale de santé mentale. Et cette transition rapide n’a pas été sans défi.

La technologie : à la fois solution et problème

Lorsqu’il est devenu évident que la pandémie ne s’essoufflerait pas rapidement, Mme Pope a poursuivi sa thérapie par téléphone jusqu’à ce que l’Université York lance sa plateforme de counseling par vidéo. La thérapie à domicile peut sembler pratique, mais l’étudiante affirme perdre les premières minutes de chaque séance à régler des problèmes technologiques.

Ces ennuis peuvent s’avérer très frustrants, voire dangereux, explique la psychologue clinicienne Sherry Benton, fondatrice de Therapy Assistance Online (TAO) Connect, une ressource de santé mentale en ligne accessible aux étudiants de 28 établissements postsecondaires canadiens. En aidant les universités à passer à la thérapie en ligne, elle a remarqué que les étudiants n’étaient pas seuls à éprouver des difficultés avec la nouvelle formule des rencontres. Ce mode de fonctionnement soulève de toutes nouvelles questions pour les thérapeutes, comme : « Qu’arrivera-t-il si l’appel ou la connexion s’interrompt pendant qu’un étudiant est en crise? »

« Nous avons dû apprendre très rapidement comment offrir les meilleurs services possibles dans un environnement virtuel »

Comme la formation professionnelle sur la thérapie à distance varie d’un établissement à l’autre, les spécialistes canadiens ont différentes réponses à cette question. Tayyab Rashid, psychologue clinicien à l’Université de Toronto à Scarborough et coauteur de l’enquête de l’ASEUCC, se souvient d’avoir demandé à un formateur comment intervenir si un étudiant avait une crise de panique lors d’une rencontre virtuelle. On lui a conseillé de réagir comme il le ferait en personne.

« Je suis resté bouche bée », affirme M. Rashid, expliquant que les deux formules de consultation requièrent des démarches thérapeutiques différentes. En thérapie virtuelle, il détermine à l’avance avec l’étudiant quoi faire en cas de crise, de défaillance technique ou d’autres problèmes possibles liés aux séances à distance. Ainsi, l’étudiant connaît les étapes à suivre dans une telle situation. Le rapport de 2020 de l’ASEUCC recommande aussi aux thérapeutes de confirmer le lieu de résidence de l’étudiant au début de chaque séance et de lui demander de télécharger l’application keep.meSAFE afin de pouvoir communiquer avec les ressources locales en cas de crise.

Bien qu’il existe des programmes de formation nationaux et provinciaux pour les thérapeutes en santé mentale offrant des services virtuels, l’enquête de l’ASEUCC indique que la grande partie du perfectionnement professionnel sur le sujet résulte d’une initiative personnelle. C’est ce qui s’est passé à l’Université de Calgary où, avant la pandémie, aucun thérapeute n’avait fourni de soins à distance.

« Nous avons dû apprendre très rapidement comment offrir les meilleurs services possibles dans un environnement virtuel », souligne Jennifer Thannhauser, directrice adjointe responsable des services de counseling de l’établissement.

Percevoir le langage corporel en ligne, y répondre et s’y adapter représentait un défi important. Par exemple, Mme Thannhauser ne pouvant pas voir les étudiants bouger nerveusement la jambe ou se tortiller à l’écran, elle les incite à exprimer verbalement leurs expériences physiques afin de mieux comprendre ce qu’ils vivent.

Le lieu : une pièce maîtresse

À la maison, les participants ont moins de contrôle sur leur environnement. Malgré les meilleures intentions, la confidentialité ne peut pas
être garantie, ce qui peut accentuer le stress déjà présent.

Mme Pope, qui vit chez ses parents, porte des écouteurs et parle à voix basse pendant les séances, car il est souvent question de problèmes familiaux. M. Rashid a travaillé avec de nombreux étudiants dans des situations semblables. Il a tenu des consultations à distance avec des étudiants qui se sont installés sur leur balcon ou même dans leur placard pour être à l’aise de se livrer.

Aider les étudiants qui ont dû quitter la province est encore plus difficile, car les professionnels en santé mentale ne peuvent en principe fournir leurs services que dans la province où ils sont agréés. À la fermeture des campus, de nombreuses universités se sont donc retrouvées dans l’impossibilité d’offrir du counseling à ces étudiants. Bien que certaines provinces accordent des permis temporaires pour remédier à ce problème, Mme Thannhauser souligne que le processus « demeure un obstacle important à la prestation de services virtuels de santé mentale aux étudiants ».

Une question de financement, d’accès et de choix

Le financement des services de santé mentale préoccupe également les établissements postsecondaires. Bien qu’il soit possible d’acheter des plateformes sophistiquées ou des licences d’utilisation, M. Rashid explique que ces services sont trop coûteux pour certains collèges et universités. L’accès des étudiants à une variété de services universitaires devient en fin de compte une question de moyens selon les établissements, affirme-t-il.

Les gouvernements et les entreprises privées ont tenté de combler certains manques en matière de financement. L’année dernière, le Québec a promis 10 millions de dollars pour offrir des services de santé mentale aux étudiants en attente de traitement dans les collèges et les universités.

La province a ensuite tenu des consultations pour élaborer un Plan d’action sur la santé mentale étudiante. En février, le gouvernement ontarien s’est engagé à verser sept millions de dollars dans l’amélioration des services de santé mentale et de traitement de la toxicomanie à l’intention des étudiants de niveau postsecondaire.


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Parallèlement, les établissements ayant des moyens limités ont dû faire preuve de créativité, explique Lina Di Genova, directrice de l’évaluation et de la stratégie, Services aux étudiants, à l’Université McGill et coauteure de l’enquête de l’ASEUCC. Elle raconte que certaines équipes de thérapeutes privilégient des consultations rapides sur un portail sécurisé en ligne ou par téléphone au lieu des séances de 50 minutes habituelles. Bon nombre se sont tournées vers le soutien entre pairs, comme le forum de discussion sur le coronavirus 2019 (COVID-19) du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) et d’autres ressources déjà offertes par des tiers comme TAO, keep.meSAFE, Jack.org et les outils des gouvernements provinciaux à l’intention des étudiants de niveau postsecondaire, y compris UniWellbeing en Saskatchewan et Good2Talk, un service téléphonique pour les étudiants de l’Ontario et de la Nouvelle-Écosse.

Mme Thannhauser précise que, bien qu’une myriade de nouveaux services, de nouvelles applications et de nouveaux sites Web ait vu le jour durant la pandémie, ils ne valent pas tous l’investissement. « Nous avons entre autres été ralentis dans l’amélioration et la bonification des services virtuels par le fait qu’il est difficile de déterminer quels services sont vraiment légitimes et répondent aux besoins de notre établissement en matière de confidentialité », explique-t-elle.

Le filtrage des options constitue également une barrière à l’utilisation. Patrice Cammarano, fondateur et coprésident de la société pour la santé mentale de l’Université St. Thomas, soutient qu’il ne fait aucun doute que les étudiants se sentent plus isolés et stressés qu’avant, mais qu’« en raison du chevauchement des ressources, il est difficile de savoir avec qui communiquer ». Peut-être est-ce l’une des raisons pour lesquelles, malgré une hausse marquée de la prévalence des symptômes dépressifs et de l’anxiété chez les étudiants, une étude de l’ASEUCC suggère que le nombre de rendezvous a chuté dans les centres universitaires de santé mentale.

Des solutions à parfaire

Cela fait maintenant un an que la pandémie a poussé Mme Pope à recourir à la thérapie en ligne offerte par l’Université York qui, selon elle, « est devenue pénible ». Se sentant submergée, elle a récemment décidé de réduire la fréquence de ses séances pour en avoir une à toutes les deux semaines, plutôt que sur une base hebdomadaire.

D’autres étudiants vont perdre leur intérêt pour la thérapie en ligne si les établissements ne s’assurent pas de régulièrement évaluer et mettre à jour leurs ressources en santé mentale. Comme d’autres experts, M. Rashid s’inquiète que les universités se complaisent dans la situation actuelle maintenant que leur programme de counseling en ligne est fonctionnel. Il dit espérer que les établissements postsecondaires profitent de leur élan pour continuer d’évaluer l’efficacité avec laquelle ils répondent aux divers besoins des étudiants, particulièrement au vu de leurs éventuelles nouvelles difficultés découlant du confinement.

* Nom modifié pour protéger la vie privée.

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