La renaissance canadienne de la recherche sur les drogues psychédéliques

Après avoir été mises de côté pendant environ 60 ans, les chercheurs canadiens s’intéressent à nouveau aux propriétés thérapeutiques des drogues psychédéliques.

14 juin 2019

Ce texte est un sommaire de l’article « The Canadian revival of psychedelic drug research ».

Image par Merijn Hos.

Des psychiatres de Vancouver s’apprêtent à entreprendre la phase III d’un essai clinique sur le traitement du stress post-traumatique par la MDMA, une drogue hallucinogène communément appelée ecstasy. Le traitement consiste en trois séances mensuelles de huit heures sous MDMA, entrecoupées de neuf séances de 90 minutes sans cette drogue. Les chercheurs qualifient d’historique cet essai clinique sur les drogues psychédéliques illégales, car il s’agit du premier à être réalisé au Canada en 40 ans.

L’essai en question est mené par le Centre sur la toxicomanie de la Colombie-Britannique (BCCSU), qui élabore et évalue des protocoles scientifiques de traitement de la toxicomanie et de la dépendance, puis aide à leur mise en œuvre. Vancouver est l’un des 16 endroits au monde où des équipes conduisent la même expérience sous la direction de l’Association multidisciplinaire pour des études sur l’état psychédélique (MAPS), une organisation à but non lucratif.

La phase III d’un essai clinique est habituellement la dernière avant l’autorisation de mise en marché, qui n’est accordée que dans 25 à 30 pour cent des cas. Les résultats de la phase II de cet essai, achevée en 2016, ont été formidables : un an après le traitement, 68 pour cent des patients indiquaient ne plus ressentir de symptômes.

« Le souvenir traumatique du patient tourne en boucle dans sa tête. La MDMA n’efface pas ce souvenir, mais en éradique l’effet émotionnel, de sorte qu’il n’a plus de prise sur le patient », explique Mark Haden, directeur général de MAPS Canada.

Ce n’est là qu’une des manifestations de la résurgence de la curiosité scientifique à l’égard des drogues psychédéliques, jugées prometteuses pour le traitement des problèmes de santé mentale et de toxicomanie dans les années 1950. Nombre d’études avaient à l’époque été menées en Saskatchewan au Weyburn Mental Hospital, sous la direction d’Humphry Osmond et d’Abraham Hoffer.

Comme l’explique Erika Dyck, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire de la médecine à l’Université de la Saskatchewan et auteure du livre, publié en 2008, Psychiatrie de l’état psychédélique : le LSD de la clinique au campus, les deux médecins avaient commencé à tester le traitement de troubles mentaux par le LSD, la mescaline et le peyotl, plutôt que par électrochocs et lobotomie. « MM. Osmond et Hoffer n’ont pas fait que traiter des patients avec des drogues psychédéliques. Ils ont aussi encouragé médecins, personnel infirmier et personnel de soutien à en consommer », précise Mme Dyck. Leurs études ont été brusquement interrompues à la fin des années 1960, quand des politiciens ont décidé de reclasser ces substances parmi les drogues dangereuses sans vertus médicales.

Le Weyburn Mental Hospital à Weyburn, Saskatchewan, en 1955. Photo : Soo Line Historical Museum.

On observe aujourd’hui une multiplication des études sur les drogues psychédéliques : le LSD pour le traitement de l’anxiété, la psilocybine (l’ingrédient actif des champignons magiques) pour le sevrage tabagique et le traitement de la dépression ou encore, également pour le traitement de la dépression, l’ayahuasca (qui contient un hallucinogène appelé DMT). « Administrées dans des conditions soigneusement contrôlées, les drogues psychédéliques peuvent créer un émerveillement et une connexion avec une sorte de royaume divin, qui provoquent de vrais changements comportementaux », affirme le directeur de la mise en œuvre et des partenariats du BCCSU, Kenneth Tupper.

La manière dont les drogues psychédéliques agissent sur le cerveau demeure toutefois un mystère. Les neurochercheurs commencent à croire que ces drogues, qui ciblent les récepteurs de sérotonine, dissolvent les barrières cérébrales entre les réseaux responsables, par exemple, de la vision, du mouvement ou de l’audition. Il s’ensuit un dialogue entre des circuits qui, normalement, ne communiquent pas entre eux. Cette intégration accrue temporaire du cerveau peut engendrer les sentiments de « connectivité » signalés par les utilisateurs de drogues psychédéliques.

Étudiant au doctorat et neurochercheur en sciences cognitives à l’Université de Toronto, Thomas Anderson s’est penché sur le phénomène du « microdosage » qui consiste à consommer, à des fins récréatives, environ un dixième de la dose habituelle de LSD ou de psilocybine. La dose est si faible que les consommateurs font simplement état de subtiles altérations de la perception, sans hallucinations. Bien que les effets bénéfiques du microdosage restent à prouver, nombre de ceux qui s’y adonnent les assimilent à ceux d’un cachet ultravitaminé pour le cerveau, qui stimulerait la créativité et la conscience tout en améliorant l’humeur.

En 2017, M. Anderson et Rotem Petranker, étudiant aux cycles supérieurs en psychologie à l’Université York, ont mené une des premières études sur le microdosage. Ils ont découvert que celui-ci augmentait la sérénité, l’ouverture d’esprit et la créativité, tout en atténuant les attitudes névrotiques et dysfonctionnelles. Certains sujets ont fait état de poussées d’anxiété, mais les participants ont avant tout déploré l’obligation de se procurer ces drogues sur le marché noir, puisqu’elles sont illégales. MM. Anderson et Petranker ont depuis mis sur pied le Centre d’études sur l’état psychédélique, à l’Université de Toronto. « Notre objectif, explique M. Anderson, est d’utiliser des méthodes conventionnelles et de mener les meilleurs travaux de recherche possibles pour déterminer si le microdosage fonctionne vraiment. »

Malgré l’intérêt croissant pour la recherche sur les drogues psychédéliques, celle-ci se heurte à de sérieux obstacles. « Son financement est un casse-tête permanent, car on ne peut compter sur le soutien du secteur pharmaceutique », déplore M. Haden de MAPS Canada. La MAPS est exclusivement financée par des particuliers. Les thérapies par la MDMA exigent si peu de doses qu’elles sont sans intérêt pour les entreprises pharmaceutiques, qui ne rêvent que de médicaments à consommer quotidiennement pour traiter les symptômes, pas les problèmes. »

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