Jardins botaniques sur les campus : leur valeur s’étend bien au-delà de la beauté

En tant qu’établissements d’enseignement et d’apprentissage, les universités semblent toutes désignées pour accueillir les jardins botaniques.

06 juin 2018

Jusqu’à tout récemment, le seul arbre de deux millions d’années répertorié était fossilisé. Puis, un jour de septembre 1994, dans un canyon éloigné du parc national Wollemi en Australie, un gardien est tombé sur des arbres à l’allure très ancienne dont il ne reconnaissait pas l’espèce. Certains faisaient 40 mètres de hauteur. Ces arbres « disparus », qui, selon les scientifiques, pourraient dater de 200 millions d’années, étaient bel et bien vivants. Certains ont comparé l’envergure de cette découverte à celle d’un dinosaure vivant.

Le pin de Wollemi. Photo de l’Université Memorial/Flickr.

Un plan de rétablissement du « pin de Wollemi » a été mis en oeuvre, et du matériel visant sa multiplication a été distribué dans le monde entier en 2006. Ce printemps, les visiteurs du jardin botanique de l’Université Memorial ont assisté au grand dévoilement d’un de ces « arbres dinosaures ». Le petit plant rabougri est devenu en sept ans un spécimen sain et vigoureux.

« Il ressemblait au sapin de Noël de Charlie Brown, plaisante Todd Boland, chercheur en horticulture au jardin botanique. Il ne faisait que 45 centimètres. Nous nous demandions bien ce que nous pouvions en faire. […] Maintenant, notre spécimen fait 1,8 mètre. Le vilain petit canard s’est transformé en magnifique cygne. »

Les jardins botaniques sont depuis longtemps considérés comme des lieux d’exposition de plantes exotiques ou décoratives. Toutefois, l’histoire du pin de Wollemi démontre leur rôle essentiel dans la protection de la biodiversité face aux défis des changements climatiques et de la destruction des habitats, ainsi que dans la sensibilisation du public à l’importance de la biodiversité. Plus qu’un objet de fascination, le pin de Wollemi du jardin de l’Université Memorial sert d’outil d’enseignement auprès des groupes d’écoliers qui s’intéressent à la nature et à sa préservation.

Dans les jardins botaniques en général, « on observe un changement important : les jardins de l’ère victorienne où l’on exposait des curiosités et que l’on visitait pour le plaisir sont devenus des institutions culturelles modernes offrant à la collectivité des services uniques et importants, explique Abby Meyer, directrice générale de Botanic Gardens Conservation International U.S., une organisation de référence qui compte des jardins universitaires canadiens parmi ses membres. Les enjeux environnementaux ont gagné en importance. Beaucoup de jardins sont devenus des chefs de file en matière de formation botanique, d’horticulture, de recherche et de conservation. »

Il n’existe aucune définition normalisée du « jardin botanique ». Toutefois, ces lieux sont reconnus pour étiqueter leurs plantes, être ouverts au public et offrir une forme de programme scientifique ou éducatif. L’arboretum se distingue du jardin botanique, car il se consacre à la collecte et à l’exposition des plantes ligneuses (arbres et arbustes).

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En tant qu’établissements d’enseignement et d’apprentissage, les universités semblent toutes désignées pour accueillir les jardins botaniques. Les premiers sont d’ailleurs nés dans les universités italiennes du XVIe siècle. Ils servaient à l’étude des plantes médicinales, avant l’émergence de la pharmacologie moderne. De nos jours, pour rendre honneur à leurs ancêtres, plusieurs jardins botaniques universitaires canadiens réservent une zone à ce type de culture, ainsi qu’aux plantes utilisées par les peuples autochtones pour se soigner et se nourrir. L’Université Queen’s à Kingston, en Ontario, a vu naître l’un des premiers jardins botaniques au Canada. Entreprise en 1861 par la Botanical Society of Canada pour l’étude de la botanique, l’aventure n’a duré que quelques années.

Actuellement, les universités canadiennes comptent moins d’une douzaine de jardins botaniques et d’arboretums, ce qui confirme leur rareté au Canada comparativement aux États-Unis et à l’Europe. Le Jardin botanique de l’Université de la Colombie-Britannique est le plus ancien. « Botany John » Davidson, botaniste provincial, l’a fondé en 1916 sur le campus de Point Grey dans le cadre de son mandat d’étudier la flore indigène provinciale. Le jardin est maintenant reconnu internationalement pour son catalogue de 50 000 plantes issues de 5 000 types distincts. Il possède aussi la plus grande collecte de plantes asiatiques au pays. « Nous sommes très chanceux d’avoir cet écosystème et ce climat uniques qui nous permettent de cultiver des plantes des régions tempérées du monde entier », explique Patrick Lewis, directeur du jardin.

La plupart des autres jardins botaniques universitaires canadiens sont aussi nés d’un désir de créer un laboratoire vivant pour soutenir l’apprentissage et la recherche. Créé en 1959 sur une terre donnée, le Jardin botanique de l’Université de l’Alberta, abritant 2 500 types de plantes différents, faisait partie du département de botanique. Le Jardin botanique de l’Université Memorial, qui possède aussi 2 500 types de plantes, a été fondé par le département de biologie en 1971 dans un coin du Pippy Park de St. John’s. Pour préparer le site, il a fallu extraire de vieilles voitures du bassin Oxen, d’une superficie de quatre hectares. Un couple de balbuzards pêcheurs y élève maintenant ses petits. L’arboretum du jardin Patterson de l’Université de la Saskatchewan a été aménagé sur une terre de l’Université en 1966. Il faisait partie des sites utilisés par le gouvernement fédéral pour tester la résistance et l’adaptabilité des arbres, arbustes et plantes grimpantes au climat des Prairies. Lorsque le gouvernement a cessé ses travaux de recherche en 2001, le jardin Patterson a repris le flambeau.

Ces jardins nordiques suscitent une certaine fierté. Les gens qui y travaillent repoussent les limites de ce qui peut être cultivé dans leur zone de rusticité, un système numéroté permettant de classer les plantes selon les climats qu’elles peuvent tolérer. « Je suis encore surprise que certains végétaux poussent ici », précise Ruby Swanson, directrice générale du jardin de l’Université de l’Alberta. M. Boland, de l’Université Memorial, s’étonne aussi : « Je commande toujours des semences un peu limites pour notre zone. Parfois, je suis agréablement surpris de voir que les plantes poussent bien pendant trois ou quatre ans, puis soudainement, mère Nature décide de nous donner un hiver digne de notre zone 5 pour nous mettre à l’épreuve. »

Tous les jardins botaniques universitaires déploient des efforts et réservent de l’espace à la conservation des plantes indigènes, surtout celles qui sont considérées comme menacées. La plupart, sinon tous, tiennent un index seminum (« liste de semences » en latin), un catalogue de semences documentées offertes gratuitement en échange aux autres jardins botaniques du monde entier. En plus d’être un moyen convivial d’élargir les collections, ce système essentiel permet de garantir la survie des espèces et des variétés.

Parce qu’il cultive des arbres indigènes menacés de l’Ontario, en partie pour créer des semences à distribuer, l’arboretum de l’Université de Guelph est plus qu’un « zoo d’arbres », explique sa directrice, Shelley Hunt. « Le but ultime est de réimplanter ces arbres dans le paysage. » C’est ce que l’arboretum a récemment fait en fournissant des semences de frêne bleu à des pépinières qui réparent les dégâts causés par l’agrile du frêne, qui décime actuellement les populations de frênes d’Amérique du Nord. Bien que rare, le frêne bleu semble mieux résister à l’insecte que les autres types de frêne, ce qui démontre à quel point il est important de conserver autant d’expressions génétiques d’une espèce que possible.

Les semences les plus précieuses sont recueillies dans la nature et identifiées selon l’endroit où elles ont été trouvées. L’Université de la Colombie-Britannique possède le seul jardin botanique qui, grâce à un don quinquennal anonyme, dispose des fonds nécessaires pour procéder à des identifications à l’étranger – dans son cas, la collecte et la conservation de plantes endémiques menacées dans les montagnes du nord du Vietnam. En partenariat avec l’Académie des sciences et technologies du Vietnam, les chercheurs utilisent un drone créé à l’Université de Sherbrooke, non seulement pour survoler la forêt, mais aussi pour prélever des échantillons de plantes dans ce centre de biodiversité.

« La nature est tellement foisonnante là-bas qu’on pourrait y retourner chaque année pendant 20 ans et continuer d’y faire des découvertes », précise Douglas Justice, directeur adjoint responsable de l’horticulture et des collections du jardin botanique qui a participé aux expéditions. Mais il s’agit aussi d’une course contre la montre. Les populations locales continuent d’abattre des arbres pour leurs besoins quotidiens, par exemple pour la construction ou le carburant, et sur la route, on voit beaucoup de motocyclistes transporter des scies à chaîne. La destruction des habitats causée par le développement humain est un problème mondial.


La plupart des jardins botaniques universitaires accordent une attention spéciale au volet recherche de leur mission. Ils soutiennent les chercheurs de leur propre campus et d’ailleurs. Ce printemps, le jardin botanique de l’Université de l’Alberta a accueilli des chercheurs s’intéressant aux plants de canola et à l’alimentation des mésanges. Il a aussi servi de toile de fond à des travaux de recherche visant à améliorer la santé des enfants par l’exercice physique dans la nature. Le Jardin botanique Harriet Irving de l’Université Acadia fait partie de ceux qui réservent un coin à l’expérimentation. Les professeurs y étudient la multiplication des plantes indigènes de la Forêt acadienne à partir de semences de la banque du jardin. Le Jardin botanique Roger-Van den Hende de l’Université Laval figure parmi ceux qui offrent des installations de recherche et du soutien au secteur privé.

Luise Hermanutz, professeure de biologie à l’Université Memorial, décrit le jardin botanique de son université comme « essentiel » à un projet provincial de près de 20 ans. L’initiative vise à rétablir les populations de plusieurs plantes menacées spécifiques de la toundra calcaire de la péninsule nord de Terre-Neuve, un paysage balayé par le vent. L’activité humaine, dont les carrières de gravier, y a fait des dégâts. En plus de cultiver un saule de cette région, le personnel du jardin botanique recueille et congèle les semences de minuscules plantes à fleurs rares nommées brayas de Fernald et de Long que les chercheurs comme Mme Hermanutz tentent de reproduire.

« En gros, ces jardins sont là pour nous protéger des catastrophes, mais aussi pour ces projets très importants, souligne-t-elle. Nous recevons beaucoup de soutien du jardin botanique. »

À une époque où l’apprentissage par l’expérience gagne en importance, les jardins botaniques permettent aux étudiants et aux professeurs de mettre la main à la pâte. Dans son enseignement, Mme Hermanutz parle des arbres de la taïga du jardin de l’Université Memorial : « Les étudiants adorent aller au jardin. » De la biologie aux beaux-arts, plus de 30 cours de premier cycle de l’Université de Guelph intègrent l’arboretum. Les étudiants de l’Université Laval fréquentent le jardin botanique pour des cours sur la photographie, l’entomologie, la biologie et les maladies végétales.

Les universités exploitent aussi les effets apaisants de ces lieux en les intégrant à des stratégies de santé mentale. Au dernier trimestre, plus d’une centaine d’étudiants ont fait la queue dans une serre de l’Université Acadia pour assister à un atelier d’empotage de plantes grasses axé sur le bien-être. Dans le cadre d’une activité hebdomadaire consacrée au bien-être, l’Université Memorial offre un programme populaire de « pleine conscience par les plantes ». Les étudiants peuvent y participer sans devoir s’y inscrire au préalable. Cette collaboration entre le jardin botanique et le centre de bien-être étudiant leur permet de s’initier à la pleine conscience en empotant des plantes qu’ils peuvent ensuite rapporter chez eux. Le jardin fournit des végétaux faciles à entretenir, sans arrosage régulier nécessaire. « Je recommande le programme à de nombreux étudiants, dit Kelly Neville, coordonnatrice au bien-être étudiant. Nous l’intégrons au plan de traitement des étudiants qui pourraient en bénéficier. »

Ces programmes mettent en valeur la pertinence des jardins botaniques sur les campus, considérant que la plupart d’entre eux se situent loin des bâtiments principaux. Les jardins permettent aussi de tisser des liens entre les collectivités locales. « Nous venons au jardin une ou deux fois par semaine. Ses nombreux végétaux font sa beauté », explique Princeton Lim, médecin de Vancouver qui se promène souvent au jardin botanique de l’Université de la Colombie-Britannique en compagnie de son épouse.

Le jardin botanique de l’Université de l’Alberta offre un programme éducatif dont profitent 17 000 écoliers chaque année. Le programme roule au maximum de sa capacité. De plus, l’ouverture attendue de son jardin Aga Khan, construit grâce à un don de 25 millions de dollars du leader spirituel des musulmans ismaéliens, devrait plus que doubler l’achalandage, le faisant passer de 75 000 à 160 000 visiteurs par année. Le jardin de 48 000 mètres carrés respectera les traditions : cours d’eau, bassins-miroirs, éclairage filtré, motifs géométriques et parfums exquis – presque toutes les plantes seront odorantes. « Nous n’avons rien de comparable en Amérique du Nord. C’est spectaculaire », s’exclame Mme Swanson. L’Université espère une ouverture officielle en 2019, même si la construction devrait prendre fin cette année.

Tous ces visiteurs constitueront une importante source de revenus. Les prix d’entrée (l’accès à certains jardins est gratuit), la location des installations pour les mariages et les conférences, les ateliers éducatifs, les dons et les ventes de la boutique de cadeaux sont des sources de revenus typiques pour la plupart des jardins botaniques qui ne peuvent compter uniquement sur le budget universitaire. Les gestionnaires doivent donc faire preuve de créativité. En décembre dernier, le jardin botanique de l’Université Memorial a attiré 14 000 visiteurs lors de son festival des lumières. Pour l’Halloween, des plantes toxiques ont été exposées. Une soirée « Game of Gnomes » a aussi été organisée. Les visiteurs devaient explorer le jardin à la recherche de maisons de gnomes fabriquées à la main.

À l’Université de la Colombie-Britannique, un projet de stages sur le terrain pour le développement durable accueille des entreprises locales pour des ateliers visant à renforcer l’esprit d’équipe. Du haut d’une passerelle située à 20 mètres du sol, les participants ont une vue panoramique du jardin et apprennent l’importance de vivre en équilibre avec la nature. « Tout est interrelié, explique Dr Lim, qui a emmené un groupe de collègues médecins à l’atelier l’été dernier. Maintenant, quand je me fais un café ou que je prends une douche, je pense aux répercussions sur le reste de l’écosystème. »

Ces mots sont doux à l’oreille de M. Lewis, de l’Université de la Colombie-Britannique, qui soutient que les jardins botaniques doivent non seulement protéger la flore, mais aussi favoriser les changements sociaux nécessaires pour favoriser la survie des espèces végétales de toutes sortes. Pour ce faire, ils doivent maintenir des relations avec l’extérieur et lutter contre l’idée qu’ils ne sont que de « dispendieuses collections d’objets ».

Le jardin « a toujours accompli sa tâche, mais nous sommes maintenant beaucoup plus conscients du besoin de sensibiliser les gens à ce que nous faisons, souligne M. Lewis. Quand les magnolias sont en fleurs, le jardin est une véritable oasis pour l’âme, mais surtout une oasis pour les plantes qui, de nos jours, sont en grand danger. »

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