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« Au lieu de publier un autre article, mobilisons-nous », propose l’universitaire et militante Cindy Blackstock

La chercheuse se prononce sur les bénéfices du mariage entre recherche et militantisme.
par BECKY RYNOR
13 AVRIL 23

« Au lieu de publier un autre article, mobilisons-nous », propose l’universitaire et militante Cindy Blackstock

La chercheuse se prononce sur les bénéfices du mariage entre recherche et militantisme.

par BECKY RYNOR | 13 AVRIL 23

Cindy Blackstock, chercheuse et militante pour la cause des enfants, estime que le milieu universitaire a besoin de « beaucoup plus de personnes qui ne craignent pas de s’attirer des ennuis ».

Selon cette professeure à l’École de service social de l’Université McGill, « la recherche et le militantisme devraient aller de pair. La liberté académique nous donne des outils uniques pour combattre la discrimination ».

Mme Blackstock n’a pas peur de se mettre dans le pétrin. On pourrait même dire qu’elle cherche les ennuis. Reconnue sur la scène nationale et internationale pour son travail de défense des droits des enfants autochtones, elle est aussi cofondatrice et directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations.

En 2007, cet organisme, alors dirigé par Mme Blackstock, et l’Assemblée des Premières Nations ont déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne contre le gouvernement fédéral, au motif que celui-ci sous-finançait les services d’aide à l’enfance dans les réserves. En 2016, le Tribunal canadien des droits de la personne a donné raison à la partie plaignante et a fini par ordonner à Ottawa d’indemniser les enfants concernés et leur famille.

« Exprimons-nous de manière à nous faire comprendre du plus grand nombre. Soyons à l’écoute des expériences vécues et joignons-nous à la communauté. »

Bien que la négociation du règlement soit en cours, on peut s’attendre à ce que cette décision déterminante signifie des milliards de dollars pour les enfants et les familles des Premières Nations. L’affaire a également mis en lumière le caractère discriminatoire des lacunes dans les services de santé, d’éducation et autres fournis par l’État aux enfants autochtones habitant les réserves.

« Nous sommes particulièrement bien placé.e.s pour mener ce genre de démarche militante », souligne Mme Blackstock, qui exhorte les universitaires à délaisser les « pratiques habituelles et obsolètes de la transmission du savoir », comme présenter une affiche ou donner une conférence lors d’un colloque. Un travail qui lui paraît important, mais insuffisant.

« Ne vous contentez pas de publier un autre article, 85 % d’entre eux ne sont pas lus, estime-t-elle. Au lieu de cela, mobilisons-nous. Exprimons-nous de manière à nous faire comprendre du plus grand nombre. Soyons à l’écoute des expériences vécues et joignons-nous à la communauté. »

Membre de la Première Nation Gitxsan, en Colombie-Britannique, Mme Blackstock raconte avoir toujours eu une approche « très atypique » du travail universitaire.

Enfant, elle a parcouru avec sa famille au gré des saisons des feux tout le nord de la province, car son père travaillait en foresterie. Elle était déterminée à aller à l’université surtout parce que « tout le monde m’imaginait échouer ».

« Petite fille, j’ai entendu parler d’un endroit appelé université et je voulais absolument fréquenter l’Université de la Colombie-Britannique, se souvient-elle. C’est aussi simple que cela. Ensuite, je suis allée chercher trois diplômes de cycles supérieurs, non pas pour accumuler des titres, mais pour nourrir mon esprit. »

Mme Blackstock est entrée à l’Université de la Colombie-Britannique, où elle a obtenu un baccalauréat ès arts. Deux maîtrises ont suivi, soit une en gestion de l’Université McGill et une en jurisprudence des politiques et du droit de l’enfance de l’Université Loyola, à Chicago, puis un doctorat en travail social de l’Université de Toronto.

N’ayant jamais cherché à obtenir une permanence ou être promue, ni à « étoffer son CV », elle voit dans son travail universitaire « non pas une fin en soi, mais un moyen de servir le public, et plus particulièrement les enfants des Premières Nations ». Si elle a entrepris une maîtrise en jurisprudence, c’était en fait pour mieux connaître les subtilités en matière des droits de la personne du dossier qu’elle a contribué à monter. Ces jours-ci, la chercheuse continue de s’intéresser à la théorie autochtone ainsi qu’à l’analyse et à l’élimination des inégalités structurelles dont sont victimes les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations.

Engagement reconnu

Lauréate de la Médaille d’or des prix Impact 2022, la plus haute distinction accordée par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), Mme Blackstock reconnaît que le financement du CRSH a été « absolument essentiel » à son travail qui transcendent de multiples disciplines.

« Je ne me suis pas hissée au sommet d’une discipline en particulier, précise-t-elle. Il n’y a pas de mal à le faire, mais j’aimerais qu’il y ait plus de touche-à-tout comme moi. »

La chercheuse croit cependant qu’il devrait y avoir plus de financement pour l’application de la recherche en sciences humaines et sociales. « Nous avons, vis-à-vis du public, le devoir de mettre en pratique le fruit de nos travaux. »

« Notre plaidoyer contre le gouvernement du Canada en ce qui a trait aux services à l’enfance des Premières Nations s’appuie sur plus d’un siècle de documents crédibles et clairs établissant l’iniquité de ces services publics et ses conséquences parfois mortelles sur les enfants », soutient-elle. Les données qu’elle a recueillies avec ses collègues, en partie grâce au financement du CRSH, sont venues étayer l’argumentaire de son organisme dans cette affaire.

En 2022, elle est devenue la toute première chancelière de l’Université de l’EMNO (École de médecine du Nord de l’Ontario), la première université indépendante canadienne consacrée à la médecine. « Son courage moral, sa persévérance et son intégrité cadrent parfaitement avec nos valeurs et notre mandat distinctif en matière de responsabilité sociale », fait valoir Sarita Verma, rectrice, vice-chancelière, doyenne et présidente-directrice générale de l’établissement.

« Elle est pour nous la chancelière rêvée, poursuit-elle. En regardant son travail auprès de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et ses démarches juridiques et militantes, on a toutes les raisons de croire que ses réflexions en inspireront d’autres. C’est une femme qui sait faire avancer les choses. »

Mme Blackstock explique qu’elle s’est jointe à l’Université de l’EMNO, principalement destinée aux populations autochtones, francophones, rurales et éloignées du Nord de l’Ontario, « pour aider un peu les médecins à rendre les soins accessibles [dans cette région] ».

Elle invite d’ailleurs les universités du pays à en faire davantage pour enseigner aux étudiant.e.s comment porter une cause et rester engagé.e.s pendant leur carrière.

« Il y a beaucoup d’activistes dans les classes de travail social et de droit, mais on ne les outille pas, et on ne leur parle pas du courage à déployer, se désole-t-elle. Le milieu nuit aux jeunes universitaires, en ce sens que l’importance attachée à l’étoffement du CV, à la permanence et aux promotions les amène à faire toutes sortes de choses auxquelles il manque un fil directeur. »

Rédigé par
Becky Rynor
Établie à Ottawa, Becky Rynor est une rédactrice et une journaliste qui se spécialise dans la couverture des enjeux des secteurs de l'environnement, des arts, de la santé et du droit. 
COMMENTAIRES
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  1. jasmin, pierre / 17 avril 2023 à 16:07

    Quel article inspirant, chère Becky Rynor! Bravo au courage et à la détermination de Cindy Blackstock.
    Pierre Jasmin
    secrétaire des Artistes pour la Paix
    professeur titulaire à la retraite de la Faculté des Arts UQAM