Jean-Marc Narbonne : Traverser l’époque avec philosophie
À travers son travail sur la philosophie antique et son engagement pour la démocratie, Jean-Marc Narbonne met en lumière l'importance de la pensée critique et du débat civique pour mieux comprendre et affronter les défis du monde contemporain.

Professeur de philosophie à l’Université Laval, Jean-Marc Narbonne s’applique depuis des années à questionner la pensée grecque et son influence dans le monde moderne. Intarissable sur le concept de démocratie, il apporte une perspective historique bienvenue face aux aléas politiques d’aujourd’hui. Et explique pourquoi remonter aux textes des Pères de l’antiquité peut offrir un puissant remède d’autodéfense intellectuelle pour mieux appréhender notre époque.
Son goût pour la chose publique, le philosophe québécois le cultive depuis longtemps. Jeune étudiant, il s’inscrit d’abord en sciences politiques à l’université avant de bifurquer vers la philosophie « par intérêt pour les sources de notre civilisation ». La recherche de la vérité constitue le fondement de son engagement intellectuel, une quête qu’il compare à une saine obstination. « Le vrai est difficile à établir, concède-t-il, mais on peut s’en approcher ».
Traducteur émérite de Plotin
C’est un long périple, tel un Ulysse des temps modernes, qui le mène à Paris pour son doctorat, puis à Munich en postdoctorat. En Europe, il se spécialise en philosophie antique, se frotte au néoplatonisme et se fait connaître en traduisant Plotin. De retour au Québec, au début des années 1990, il commence à enseigner à la Faculté de philosophie de l’Université Laval, devient professeur adjoint en philosophie antique avant d’occuper le poste de doyen de 1995 à 2002. Il fonde aussi la collection Zêtêsis aux Presses de l’Université Laval axée sur l’histoire de la philosophie mais aussi sur des thèmes plus actuels.
Son caractère de tête chercheuse l’assoit à une place très spéciale dans le paysage philosophique. « Jean-Marc est un helléniste au sens strict du terme, qui a connu à un moment donné un allumage démocratique », témoigne son ami Olivier Contensou, dont il a dirigé la thèse de doctorat. Les deux philosophes citent facilement Aristote ou Platon au détour d’une phrase, comme si leurs textes n’avaient pas vieilli et qu’ils continuaient à nous donner des clés d’intelligibilité du monde. « La réflexion philosophique est toujours, en partie, une réflexion historique », rappelle M. Narbonne. Si certaines questions traversent les âges – celles du juste et du bien, par exemple – les textes vont être compris différemment selon les époques à laquelle on les lit, partage le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en Antiquité Critique et Modernité Émergente.
Sur le péril de la démocratie
Faut-il certaines prédispositions pour (bien) philosopher ? Une probité intellectuelle, une capacité à se tenir loin des courants idéologiques du moment, de la pensée dominante, énumère le professeur. « Un bon philosophe sait reconnaitre quand il se trompe, pose les bonnes questions et réajuste son raisonnement pour aboutir à la meilleure proposition possible », ajoute-t-il. C’est la définition de la pensée critique, en somme, un concept qu’il étudie chez les Grecs et dont il scrute les influences contemporaines. « Les Grecs nous rappellent que la délibération commune est fructueuse et que l’on est plus intelligents à trois qu’à deux, et à deux que seul, cite M. Narbonne. Être capable de remettre en jeu des idées, de les examiner et de leur faire subir un test de validité ; c’est une mentalité fondamentale, [qui relève] de la tradition grecque ».
Il s’emballe à l’évocation de son sujet de prédilection – la démocratie – « un mode de vie » caractérisé par le franc-parler, poursuit-il, dont on prend « le pli » presque inconsciemment quand on y vit, avec toutefois des limites aussi. « À Athènes, on pouvait critiquer n’importe qui, n’importe quel politicien, n’importe quelle activité, mais pas la démocratie elle-même ». Citant Protagoras, le chercheur précise que le système démocratique repose sur une acceptation généralisée de la légitimité de ses règles. « C’est la logique derrière la vie en commun, elle implique un pacte initial – le respect de la justice qui nous gouverne tous – et ce pacte ne peut être rompu ». Si, d’aventure, le représentant du peuple se transformait en tyran ? Ce serait « l’horreur absolue », rétorque le professeur. Contre cela, les textes antiques évoquent le recours à l’ostracisme à Athènes, poursuit-il, pratique visant à écarter un individu ou un groupe disposant d’une puissance trop grande pour éviter qu’il ne devienne un tyran. Lui préfère rester philosophe face aux bouleversements contemporains : « Vous savez, l’histoire n’est pas finie, on vit un épisode pas facile, ce serait difficile de le nier, mais nous n’avons pas la fin de l’histoire encore. »
Vulgarisation et collaboration
Aujourd’hui, alors qu’il n’a plus rien à prouver sur le plan académique après plus de trois décennies d’enseignement à Laval, de multiples récompenses dont une Médaille d’or des prix Impacts du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada en 2024, c’est au grand public qu’il cherche à transmettre la passion du débat civique. Après des webséries, un compte Instagram ou encore un film documentaire sur les sophistes, il aspire désormais à rédiger un livre « grand public » sur le concept de démocratie, encouragé par ses proches dans l’exercice.
Ce spécialiste de la Grèce antique est également apprécié pour sa capacité à créer des ponts entre les institutions et les chercheurs. L’un des derniers en date : un grand projet international avec plus d’une trentaine de cochercheurs et de cochercheuses et de collaborateurs et collaboratrices de plusieurs universités au Québec, au Brésil, en France et en Allemagne intitulé « Étranger.es, exclu.es et dissident.es en démocratie : histoire et perspectives », et auquel a participé le cégep Édouard-Montpetit à l’instigation du professeur-chercheur en philosophie, Marc Lamontagne… un ancien étudiant de M. Narbonne. Ce cégep bénéficie aussi d’un partenariat avec la Chaire UNESCO des fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique, fondée par Josiane Boulad-Ayoub…ancienne professeure de M. Narbonne.
« Grâce à ces collaborations, une relation s’est établie entre le cégep et l’université, entre professeurs et anciens élèves», se réjouit Marc Lamontagne. Si la vocation du philosophe est justement de former les esprits, celle de Jean-Marc Narbonne l’a poussé à conjuguer transmission des savoirs et formation citoyenne. «La vie démocratique, c’est une vie complexe où les solutions ne sont pas toutes simples, qui nécessite une éducation, conclut-il. Pour moi, la démocratie, c’est une question de dignité humaine. »
Postes vedettes
- Éducation - Professeure adjointe ou professeur adjoint (didactique de l’activité physique et sportive, santé et bien-être - poste francophone)Université d'Ottawa
- Architecture - Professeur adjoint / professeure adjointeUniversité McGill
- Génie - Professeure ou professeur (systèmes intelligents et systèmes cyberphysiques)Université Laval
- Éducation - Professeure adjointe ou professeur adjoint (autochtone, programme anglophone)Université d'Ottawa
- Médecine - Professeure adjointe / agrégée ou professeur adjoint / agrégé (génétique humaine, génomique, droit et politiques)Université McGill
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