Environ 2 000 étudiants autochtones fréquentaient une université québécoise en 2019, d’après le rapport « L’action des universités québécoises pour, par et avec les Premiers Peuples » du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI) lancé en février. Cette proportion représente seulement 1 pour cent de l’ensemble des étudiants universitaires de la province, tandis qu’en 2016, les Autochtones représentaient 2,3 pour cent de la population du Québec, selon Statistique Canada. Cinq ans après la publication du rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, les quatre universités francophones du Québec accueillant le plus d’étudiants misent sur différentes initiatives pour améliorer leurs bilans de recrutement et de rétention des étudiants autochtones.
Pour financer ces mesures, les universités peuvent bénéficier de financement de la part du ministère de l’Enseignement supérieur. Le responsable des relations de presse du ministère, Bryan St-Louis, souligne que le programme de Soutien aux membres des communautés autochtones dispose d’une enveloppe d’environ 2,1 millions de dollars pour « favoriser la réussite et le développement socioculturel des étudiants universitaires des communautés autochtones ».
Différents plans d’action et mesures
L’Université Laval est l’une des universités québécoises accueillant le plus d’étudiants autochtones de la province, soit environ 400. En décembre dernier, elle a dévoilé le plan « L’Université Laval en action avec les Premiers Peuples », qui vise à améliorer ses relations avec les étudiants des Premiers Peuples ainsi qu’à favoriser leur intégration et leur rétention. Le plan d’action, qui s’inscrit dans la planification stratégique 2017-2022, a comme principaux objectifs « d’entretenir des partenariats solides et durables avec les Premières Nations et les Inuit et de développer la formation leur étant destinée dans une perspective de réconciliation ».
Moins de 24 heures plus tard, l’Université de Montréal (U de M) lançait à son tour son plan d’action « Place aux Premiers Peuples », qui devrait s’achever en 2023. L’initiative comporte huit objectifs déclinés en 110 mesures. Au programme pour les quelques 60 étudiants autochtones qui fréquentent annuellement l’établissement : un accès équitable à l’enseignement supérieur; un milieu d’étude et de travail attractif, inspirant, inclusif et sans discrimination; des mesures afin d’assurer leur rétention et une meilleure collaboration avec les communautés. Une évaluation des impacts et du développement du plan d’action aura lieu annuellement, la dernière devant mener à la mise sur pied d’un nouveau plan pour la période 2023-2026.
Quant à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), elle accueillait environ 90 étudiants autochtones en 2019. Pour leur assurer une expérience universitaire agréable et sécuritaire, l’établissement propose entre autres de l’accompagnement et du soutien offert par une conseillère à l’accueil et à l’intégration des Services à la vie étudiante, de nombreuses bourses et un espace réservé. Ce dernier, le local Niska, permet aux étudiants issus des Premiers Peuples de « se regrouper pour échanger et se soutenir dans leurs études ».
La collaboration au centre de l’action
L’adjointe au vice-recteur aux études et aux affaires étudiantes et conseillère principale à la réconciliation et à l’éducation autochtone de l’Université Laval, Michèle Audette, explique que la Ville de Québec a un important historique de collaboration avec les Premiers Peuples. « Depuis des siècles, c’est un carrefour d’échanges et de rassemblements. Je le sens aujourd’hui, notamment au sein de l’Université, où on a plusieurs nations et des gens de plusieurs horizons […] On a par exemple une collaboration importante avec la nation Huron-Wendat », souligne celle qui a notamment été sous-ministre associée au Secrétariat à la condition féminine et présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada et qui est d’origine innue.
Dans l’optique d’entretenir cette collaboration, deux comités – le Comité d’appui à la formation autochtone dans une perspective de réconciliation et le Comité de mise en œuvre – seront constitués afin de permettre une application « optimale » du plan d’action de l’Université Laval. Ces groupes seront formés de membres autochtones « de divers horizons » ainsi que de membres de la communauté universitaire.
Des groupes pour et par les autochtones
L’une des principales mesures comprises dans le plan de l’Université Laval concerne la mise sur pied d’un Cercle des Premiers Peuples, qui aiderait notamment à « la reconnaissance culturelle, l’intégration à Québec, l’hébergement, l’aide aux devoirs, le soutien psychologique, la recherche de bourses ou le soutien administratif » des étudiants autochtones. L’embauche d’un coordonnateur chargé d’assurer le bon fonctionnement du groupe est planifiée pour la rentrée 2021-2022.
Le Cercle des Premières Nations de l’UQAM a été le premier rassemblement francophone voué aux étudiants autochtones au Québec à voir le jour en 1990, après la crise d’Oka.
Le vivre ensemble entre étudiants autochtones et allochtones est également une priorité pour cet établissement. Pour favoriser la cohabitation, le plan propose par exemple que les étudiants faisant partie du Cercle des Premiers Peuples organisent des sessions de « sensibilisation culturelle » destinées à la communauté universitaire. Une offre de cours en langue autochtone est aussi en développement, tandis qu’un cours d’introduction aux peuples et aux réalités autochtones devrait être offert aux étudiants à partir de la prochaine rentrée.
Le Cercle des Premières Nations de l’UQAM a été le premier rassemblement francophone voué aux étudiants autochtones au Québec à voir le jour en 1990, après la crise d’Oka. Le groupe est composé d’étudiants autochtones et allochtones et a comme but de rassembler « toute personne intéressée par la culture et les réalités que vivent les Premiers Peuples ». Si l’objectif principal du Cercle est de promouvoir la culture autochtone, il cherche également à favoriser l’intégration universitaire et urbaine des étudiants issus des Premiers Peuples.
Les étudiants autochtones de l’UQAM organisent également le Cercle d’étude de la communauté étudiante autochtone, qui invite les étudiants autochtones de l’U de M à se joindre à ceux de l’UQAM pour des sessions d’étude en ligne tous les mercredis depuis le 3 février. Ces rencontres permettent aux participants d’étudier, mais également d’échanger entre eux sur de nombreux sujets.
Des démarches exhaustives
Si le plan d’action de l’Université de Montréal paraît volumineux avec ses 33 pages, c’est que l’équipe derrière sa conception est consciente de la tâche à accomplir. « Le gros plan qui vient d’être annoncé, c’est parce qu’on reconnaît que le défi est grand et que le recrutement et la rétention des étudiants autochtones n’est pas une chose facile », souligne la conseillère principale aux relations avec les Premiers Peuples à l’U de M, Caroline Gélinas, qui est d’origine mohawke. La conception de l’initiative, amorcée peu après le dépôt du rapport de la Commission en 2015, a donc requis plusieurs étapes afin d’assurer une prise en charge complète.
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« Tout d’abord, il y a eu un diagnostic qui a été fait sur les questions qui touchent au plan d’action et dans une perspective d’ÉDI (équité, diversité, inclusion). Au niveau du diagnostic, ç’a été précédé d’une phase de consultation importante auprès des communautés », relate sa collègue conseillère spéciale et secrétaire générale associée à l’équité, à la diversité, à l’inclusion et aux relations avec les Premiers Peuples, Marie-Claude Rigaud. Également professeure à la Faculté de droit de l’établissement, elle précise que les personnes autochtones ont été consultées, ont participé à l’élaboration du plan et feront partie intégrante de sa mise en œuvre.
La sensibilisation de la communauté universitaire est un élément clé du plan d’action. Il est par exemple prévu de sensibiliser les professeurs de l’établissement à la pertinence d’ajouter des éléments relatifs aux différentes cultures autochtones lors de la révision et de l’évaluation des programmes.
Dans une volonté d’adapter l’offre de service de l’établissement aux étudiants autochtones, l’U de M effectuera des enquêtes au sujet des besoins spécifiques de ceux-ci. Un sondage est notamment prévu afin d’identifier les facteurs de réussite chez les étudiants autochtones.
Nombre d’étudiants autochtones par université au Québec,
selon le BCI
Université Nombre d’étudiants École de technologie supérieure (ETS) 8 (2019)
École nationale d’administration publique (ENAP) Une trentaine (2018)
HEC Montréal 5 (2019) Institut national de recherche scientifique (INRS) 0 (2019) Polytechnique Montréal Une dizaine (2019) Université Bishop’s Une trentaine (2019) Université Concordia 183 (2017-2018) Université Laval 400 (2019) Université McGill 325 (2017) Université de Montréal Une quarantaine (2019) Université de Sherbrooke 84 (2018) Université du Québec à Chicoutimi 470 (2019) Université du Québec à Montréal 87 (2017) Université du Québec à Rimouski 18 (2019) Université du Québec à Trois-Rivières Quelques dizaines par année
Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue 180 (2017-2018) Université du Québec en Outaouais Pas de statistiques disponibles Université TELUQ Une centaine au cours des trois dernières années
L’enjeu géographique
Parmi les défis liés au recrutement et à la rétention des étudiants autochtones à l’U de M, deux ressortent particulièrement du lot : la localisation géographique de l’établissement et la langue d’enseignement. « C’est sûr qu’il y a des défis de taille pour les universités qui opèrent en milieu citadin. Il y a la question de la proximité, de la familiarité », explique Mme Rigaud.
« Habituellement, les universités qui sont plus proches géographiquement ont des occasions d’établir des relations de longue date avec les communautés, d’établir des relations de confiance à partir du primaire, de l’école secondaire, des études collégiales pour familiariser les étudiants avec l’idée de poursuivre des études universitaires et de s’associer avec une université spécifique. »
« La géographie est un facteur. Elle représente un défi pour les étudiants autochtones francophones, particulièrement. »
Abondant dans le même sens, Mme Gélinas soutient que « la géographie est un facteur. Elle représente un défi pour les étudiants autochtones francophones, particulièrement ». En plus d’être de langue française, l’U de M ne bénéficie pas de la même reconnaissance que les établissements du réseau des universités du Québec, puisque contrairement à ce dernier, elle ne compte pas de pavillons dans plusieurs régions de la province.
La francisation des étudiants autochtones est aussi un enjeu important pour l’U de M. C’est pourquoi la mise sur pied d’un programme de francisation est prévue à l’ordre du jour. « Ces programmes permettent à des étudiants d’accéder à des études [supérieures] alors qu’auparavant, c’était inconcevable de croire qu’ils pourraient fréquenter l’Université, souligne-t-elle. Les programmes de francisation jouent vraiment un rôle très important et l’Université le sait. »
Des partenariats en recherche
Dans son plan d’action, l’Université Laval indique vouloir développer des partenariats avec les communautés et les organisations autochtones œuvrant en éducation dans le but de « maximiser les chances de succès des jeunes autochtones, entre autres dans le difficile passage de la vie dans les communautés éloignées de Québec à la vie d’étudiant en milieu universitaire ». L’établissement de Québec souhaite également collaborer davantage avec les communautés des Premiers Peuples sur le plan de la recherche. Pour ce faire, il est prévu de créer de nouvelles chaires de recherche et de leadership en enseignement et de mettre sur pied des projets de recherche collaborative et de « recherche-action ».
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À l’U de M, des gestes seront également posés afin d’inclure davantage de représentants des Premiers Peuples au secteur de la recherche. On planifie entre autres de créer deux nouvelles chaires de recherche dont les titulaires seraient issus des peuples autochtones. D’ailleurs, l’une devrait porter sur un sujet « jugé prioritaire par les milieux
autochtones ».
De son côté, l’UQAM compte sur le Groupe de recherche interdisciplinaire sur les affirmations autochtones contemporaines (GRIAAC), qui est formé de chercheurs, professeurs et étudiants s’intéressant aux réalités autochtones. Le groupe a comme objectif de « renforcer, développer et diffuser les recherches autochtones à l’UQAM tout en favorisant la participation des étudiants autochtones aux projets développés et menés par des professeurs de l’UQAM et plus largement de Montréal.»
Un accueil personnalisé
D’une année à l’autre, l’Université de Sherbrooke (U de S) compte environ 40 étudiants autochtones. Pour assurer la rétention et la réussite de ceux-ci, l’établissement de l’Estrie offre plusieurs mesures spécifiques et propose un suivi personnalisé.
L’Université offre par exemple du tutorat spécialisé, où des étudiants de première année et des étudiants de deuxième ou troisième année sont jumelés, différents services en adaptation scolaire, du mentorat, un salon étudiant exclusif aux étudiants autochtones et des conférences sur des sujets relatifs aux Premiers Peuples. Les étudiants qui le désirent peuvent également bénéficier d’un allégement d’horaire tout en conservant un statut d’étudiant à temps plein. À chaque automne, un souper d’accueil est aussi organisé afin que les étudiants admis rencontrent leurs pairs de deuxième et troisième année.
« Si on compare avec d’autres universités, il y a relativement peu d’étudiants autochtones à l’U de S. Comme ce sont des petits groupes, on est plus à même de miser sur un accompagnement. »
« On est en mesure d’offrir un accueil personnalisé. Si on compare avec d’autres universités, il y a relativement peu d’étudiants autochtones à l’U de S, souligne la vice-rectrice aux études de l’établissement, Christine Hudon. Comme ce sont des petits groupes, on est plus à même de miser sur un accompagnement. »
Mme Hudon insiste que l’U de S ne veut pas seulement accueillir des étudiants issus des Premiers Peuples, mais surtout être prête à les recevoir et à leur proposer un milieu qui corresponde à leurs attentes. La vice-rectrice aux études précise également que les initiatives de l’établissement ne concernent pas strictement les étudiants autochtones.
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« C’est un exercice qui est destiné à l’ensemble de notre communauté. Pour rendre le milieu agréable et sécuritaire, il faut aussi que le personnel et les autres étudiants connaissent bien les réalités autochtones. Il y a vraiment un intérêt sur le campus, que ce soit en ce qui concerne les événements, les spectacles, les conférences organisés. »
L’Université de Sherbrooke travaille également sur un nouveau plan d’action, qui devrait permettre d’ajouter des mesures ou d’en bonifier certaines. Cette initiative est coprésidée par la vice-rectrice et Suzie O’Bomsawin, membre du Grand Conseil de la Nation Waban-Aki, tandis que des étudiants autochtones participent aussi au processus.
Contactée afin de donner son point de vue sur l’inclusion des étudiants autochtones à l’université, l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador n’avait pas donné suite à nos demandes d’entrevue au moment de publier. Dans un plan d’action publié en septembre, l’Assemblée a toutefois émis des recommandations en lien avec le milieu de l’éducation.
L’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue est en fait précurseur aux grandes universités mentionnées dans votre article. L’UQAT accueille les étudiants autochtones et inuit depuis les années 90 et ce, à travers divers programmes d’éducation. L’équipe en place au Campus de Val-d’Or a su développer et surtout partager avec les autres universités, ses « bons coups » en matière d’accompagnement des étudiants dont la langue d’étude est souvent sa 2e ou 3e langue. Considérant ce qui précède, le peu d’intérêt que vous accordez à cette université me fait sourciller.