Décrocher une bourse Rhodes (2e partie) : le processus d’entrevue et bien au-delà

L’objectif du comité d’entrevue est de vous déstabiliser en vous posant diverses questions qui vous feront sortir de votre zone de confort.

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Lire la première partie : Décrocher une bourse Rhodes : la préparation de la demande


Félicitations! Votre demande écrite a été retenue et vous passez à la prochaine étape du processus. À quoi faut-il s’attendre et comment se préparer?

Pouvez-vous décrire le processus d’entrevue?

Constance Bourguignon : Douze candidats sont invités à participer au processus d’entrevue, qui comprend deux parties. La première consiste en une réception d’une heure, qui a habituellement lieu un jeudi de la fin novembre. Les candidats y font connaissance et rencontrent les huit membres du comité de sélection ainsi que certains de leurs conjoints. La pression est à son comble, mais les conversations et rencontres sont très stimulantes. Les membres du comité s’efforcent de parler avec tous les candidats. S’ensuivent des entrevues individuelles de 45 minutes avec six des candidats le vendredi après-midi et les six autres le samedi matin. Les membres du comité posent tour à tour une ou deux questions, en français ou en anglais, selon la langue principale du candidat. Le but est de déstabiliser les candidats en les interrogeant sur leurs connaissances, leurs croyances, leurs opinions, leurs raisonnements, leurs valeurs, leur conscience, leur leadership, etc. Je crois que personne ne sort de son entrevue très confiant. Pour compenser, notre groupe de candidats est sorti au restaurant le vendredi soir, ce qui a rendu le processus beaucoup plus amusant et enrichissant, et ô combien moins stressant! Les membres du comité délibèrent ensuite le samedi après-midi, puis informent tous les candidats de leur décision par téléphone, parfois dès le samedi soir, en commençant par les boursiers.

Virginie Simoneau-Gilbert : Pour les francophones qui font une demande au Québec, l’entrevue se fait en français et en anglais, ce que j’ai trouvé très angoissant. On m’a posé une ou deux questions en français, quelques questions en anglais, puis d’autres questions en français, et ainsi de suite, pendant 45 minutes. Ce fut toute une épreuve, car je n’avais jamais étudié à temps plein en anglais avant d’arriver à Oxford. Durant l’entrevue, j’avais continuellement l’impression de faire de la traduction : je pensais en français, puis je formulais une réponse en anglais fortement « collée » au français.

Combien de temps avez-vous consacré à la préparation de votre entrevue?

Mme Bourguignon : Après avoir reçu le courriel m’annonçant que j’aurais une entrevue en novembre, j’ai participé à une entrevue et à une réception de pratique organisées par mon université pour un groupe de finalistes inscrits à divers concours de bourses. J’ai aussi préparé des réponses à d’éventuelles questions et dressé une liste des points importants à communiquer en m’appuyant sur des rapports d’entrevue d’anciens finalistes. Encore une fois, les ressources accessibles aux candidats peuvent varier d’une université à l’autre. Pour être franche, j’ai passé une bonne partie de mon temps de préparation à me demander quelle tenue j’allais mettre pour l’occasion! J’allais assez souvent en classe en portant les vêtements avec lesquels j’avais dormi. Rien dans ma garde-robe n’avait vraiment une allure professionnelle. De plus, j’ai eu du mal à trouver une tenue qui représenterait mon identité de genre, ma classe et ma personnalité tout en répondant à ce que je croyais être les attentes envers moi.

En tout, j’ai passé des dizaines d’heures à me préparer. Ce qui est bien, c’est qu’une fois que vous effectuez le processus de sélection des bourses Rhodes, il est beaucoup plus facile de vous préparer à d’autres programmes d’études supérieures, bourses et emplois. Non seulement vous pouvez réutiliser votre lettre de motivation, votre curriculum vitæ et vos lettres de recommandation, mais vous avez déjà beaucoup réfléchi à vos expériences et au rôle auquel vous aspirez au sein de la société. De plus, vous possédez probablement désormais un blazer!

Mme Simoneau-Gilbert : Après avoir présenté mon dossier de demande et obtenu l’appui de mon université, j’ai reçu une invitation aux entrevues de novembre, comme Constance. Malheureusement, mon université n’a pas organisé de réception ou d’entrevue de pratique. J’ai donc communiqué avec un boursier Rhodes de 2019 bien connu d’amis proches. Il m’a donné quelques conseils de préparation et une idée générale du déroulement de la réception et de l’entrevue. Pour me préparer à l’entrevue, j’ai surtout lu mon curriculum vitæ et réfléchi à mes activités sociales et politiques. Pourquoi ai-je participé à ce projet? Que représentait-il pour moi à ce moment de ma vie? Quelles leçons en ai-je tirées? Voilà le type de questions auxquelles j’ai essayé de répondre pour me mettre dans le bain. J’ai aussi préparé des réponses à quelques questions possibles, même si l’entrevue nous réserve toujours des questions surprenantes et inattendues que je n’aurais pas pu prévoir!

En résumé, il vous faudra plusieurs jours de préparation, mais vous vous sentirez sûrement fier une fois que vous l’aurez fait. La réception et l’entrevue vous déstabiliseront et vous feront sortir de votre zone de confort. Vous serez donc plutôt heureux d’y avoir survécu.

Si vous pouviez changer une chose de votre entrevue, quelle serait-elle?

Mme Bourguignon : Encore aujourd’hui, 17 mois après l’entrevue, je regrette encore au moins trois de mes réponses! J’ai pataugé péniblement en tentant de répondre à une question très large sur la politique canadienne, et mes deux réponses suivantes se sont avérées tout aussi catastrophiques. L’une d’elles portait sur mon livre préféré écrit avant le XXe siècle (j’ai étudié la littérature au premier cycle, ce qui explique la question), mais j’y ai répondu de manière totalement impersonnelle. On m’a aussi demandé une solution à un enjeu social sur lequel j’avais travaillé. Là, j’ai raté l’occasion de faire valoir un point important. Cela dit, je crois qu’il est impossible d’être prêt à toutes les questions et de ne pas être nerveux. Il faut simplement l’accepter, comprendre que les membres du comité de sélection s’y attendent et ne pas s’en vouloir par la suite.

Mme Simoneau-Gilbert : Je suis plutôt insatisfaite de quelques-unes de mes réponses moi aussi. J’aurais pu défendre ou justifier un peu mieux plusieurs de mes réponses ou éviter facilement les pièges tendus par les membres du comité. Par exemple, lorsqu’ils m’ont interrogée sur mon auteur anglophone préféré, j’ai nommé Mary Shelley et Emily Dickinson. Je regrette encore de ne pas avoir donné de réponse plus intéressante basée sur une analyse littéraire profonde. J’aurais aussi préféré ne pas être aussi stressée par l’aspect bilingue de l’entrevue. J’aimerais retourner dans le passé et me dire de me détendre, de profiter de l’expérience et de ne pas être si dure envers moi-même.

Qu’avez-vous préféré de l’entrevue?

Mme Bourguignon : Quand je suis arrivée sur place, le comité parlait encore au candidat précédent. J’ai donc attendu seule dans la salle de conférence. J’avais le cœur au bord des lèvres. Il fallait que je me distraie. J’ai pris un bout de papier et un crayon qui traînaient sur la table et j’ai dessiné un ornithorynque, l’un de mes animaux préférés. Le résultat était très mignon. Cela m’a aidée à me calmer. Malheureusement, les membres du comité ne m’ont pas posé de questions sur ma nausée ni sur mon ornithorynque. J’ai donc gardé le dessin pour moi, mais je le conserve encore précieusement. Blague à part, j’ai vraiment aimé rencontrer des candidats extraordinaires, les entendre me parler de leur travail et développer une belle camaraderie avec eux. L’expérience en aurait valu le coup ne serait-ce que pour cela. Je me suis aussi sentie vraiment fière d’avoir la chance de défendre le rôle de l’enseignement et des enseignants dans la construction d’un monde meilleur.

Mme Simoneau-Gilbert : J’ai particulièrement aimé pouvoir défendre l’importance de la protection des animaux auprès des membres du comité. Cela m’a permis de souligner la nécessité de repenser nos relations avec les animaux, pour des raisons à la fois éthiques et environnementales. J’ai répondu avec confiance à ces questions même si elles avaient pour but de me déstabiliser. Elles m’ont rappelé les raisons pour lesquelles j’ai choisi la protection des animaux comme engagement politique premier. J’ai aussi été ravie de rencontrer les autres finalistes, qui sont tous très impressionnants. Malheureusement, je n’ai pas pu participer au souper collectif, car j’avais déjà quelque chose à l’horaire, mais je me sens quand même bien chanceuse et reconnaissante d’avoir fait la connaissance d’autant de personnes incroyables. Je suis convaincue qu’un avenir très brillant les attend.

La décision

Les entrevues sont terminées et vous attendez impatiemment l’appel fatidique. Le téléphone sonne enfin. Votre cœur s’arrête quand on vous annonce la nouvelle qui changera votre vie : vous avez décroché une bourse Rhodes! Après des mois de travail, vous avez enfin réalisé votre rêve. Mais qu’est-ce qui vous attend?

Qu’arrive-t-il entre cet appel téléphonique et la rentrée d’automne à Oxford?

Mme Bourguignon : Décrocher une bourse Rhodes ne garantit pas votre admission à un programme à l’Université d’Oxford. Il faut donc présenter une demande d’admission au programme que vous avez choisi pour la première année, et à au moins un autre programme en cas de refus. Après la présentation d’une demande de bourse Rhodes, l’essentiel du travail est heureusement souvent derrière vous. Ensuite, je me souviens surtout des nombreuses présentations! Par courriel, par vidéoconférence ou en personne, on vous présente à l’équipe de Rhodes Canada et de la Rhodes House d’Oxford, ainsi qu’à des dizaines de boursiers à diverses étapes de leur parcours et issus de divers milieux avec qui vous avez quelque chose en commun. Parallèlement, vous rencontrez des gens de votre programme d’études et de votre faculté. Un conseil : achetez-vous un carnet de notes si vous avez de la difficulté à mémoriser les noms! Une fois officiellement admis, vous devez ensuite faire une demande de visa au Royaume-Uni et planifier votre déménagement. Finalement, vous participez au week-end de départ, lors duquel les boursiers canadiens se rencontrent à Ottawa ou à Toronto pour mieux faire connaissance et s’envoler vers Oxford ensemble, quand il n’y a pas de pandémie.

Mme Simoneau-Gilbert : En raison de la COVID-19, tout s’est déroulé en ligne, y compris le souper de départ et la plupart des rencontres avec les personnes partageant les mêmes intérêts que moi. Cela dit, j’ai eu la chance cet automne de faire de l’aviron sur la Tamise avec d’autres camarades et de participer à un souper de bienvenue avec distanciation physique organisé pour mon programme d’études. Je suis heureuse d’avoir un peu goûté à la vie de boursière et d’universitaire à Oxford, juste avant le deuxième confinement.

Comment est la vie de boursière Rhodes?

Mme Simoneau-Gilbert : Je suis allée à la Rhodes House d’Oxford pour étudier à quelques reprises, mais, sinon, toutes les activités organisées par la Fondation Rhodes ont eu lieu sur Zoom, même le souper de départ. De façon plus générale, je dirais qu’être boursière Rhodes, c’est faire partie d’une communauté incroyablement large et bienveillante. J’ai senti un profond appui du personnel de la Rhodes House lorsque je suis arrivée à Oxford et lorsque j’ai décidé de présenter une nouvelle demande d’admission au doctorat en philosophie. Je m’estime vraiment privilégiée et reconnaissante que ce groupe de personnes hors du commun fasse partie de ma vie.

Comment s’est déroulée votre première année d’études supérieures?

Mme Bourguignon : Je me suis sentie un peu comme dans Le Monstre à La Ronde : j’ai été secouée assez fortement et j’ai eu l’impression que tout pouvait s’écrouler n’importe quand, mais l’expérience est restée plutôt passionnante. J’ai décidé de ne pas fréquenter Oxford en personne pour des raisons de santé et pour rester près de ma famille. L’année a donc été très différente de ce à quoi je m’attendais. Néanmoins, j’ai rencontré des collègues formidables et j’ai beaucoup appris de mes professeurs, mes cours et mes projets.

Mme Simoneau-Gilbert : J’ai aussi eu une année de montagnes russes! L’automne a été atroce. Je me suis vraiment demandé pourquoi je faisais ce baccalauréat spécialisé en philosophie, politique et économie. Je doutais sans cesse de mes choix universitaires et de ma valeur. De plus, vivre dans un pays étranger en confinement et loin de ma famille et de mes amis a véritablement été pénible. Je suis plus joyeuse et motivée maintenant que je sais que je commencerai un doctorat en philosophie en octobre. Je vais pouvoir me concentrer sur les questions philosophiques qui m’intéressent. En fait, j’assiste déjà à des séminaires de philosophie aux cycles supérieurs! Je crois aussi que mon échec scolaire de l’année dernière m’a permis de grandir en tant que personne.

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