IA : le nouveau ministre fédéral veut remettre les universités au centre du jeu
Evan Solomon détaille sa vision et le rôle central que joueront les universités dans la transformation technologique du pays.
Evan Solomon a été nommé à la tête du tout nouveau ministère canadien de l’Intelligence artificielle et de l’Innovation numérique en mai. Ancien journaliste et entrepreneur, il a été élu dans la circonscription de Toronto-Centre aux élections d’avril. Dans cet entretien, M. Solomon discute du rôle des universités dans la nouvelle stratégie d’intelligence artificielle (IA) du gouvernement fédéral. L’entretien a été condensé et modifié par souci de concision et de clarté.
AU : Quel rôle prévoyez-vous pour les universités canadiennes dans la stratégie d’IA du pays?
Evan Solomon : Les universités et l’enseignement supérieur y joueront un rôle absolument essentiel.
Notre travail s’appuie sur le principe de l’universalité de l’IA. Nous devons donc appuyer cette technologie transformatrice qui évolue rapidement et qui a des répercussions à l’échelle du pays.
Dans le cadre de mon mandat, je dois notamment m’assurer que tout le monde, peu importe le secteur, en profitera. Il faudra renforcer la confiance, ce qui supposera de veiller à la protection de la vie privée et des données. Il faudra aussi avoir une main-d’œuvre qualifiée et bien formée à l’utilisation de ces outils. Les établissements d’enseignement supérieur – collèges, universités et écoles de métiers spécialisés – doivent tous contribuer à ce chantier pour que chaque personne puisse tirer parti de l’IA.
Cette technologie transforme tous les aspects des programmes d’études. Dans les universités qui proposent des programmes d’études en sciences de la santé, l’IA a d’énormes répercussions sur les interventions chirurgicales et les diagnostics. En génie, l’IA a tout changé, des matériaux de construction à l’urbanisme.
La technologie évolue au rythme de l’innovation; la culture et la société évoluent, quant à elle, dépendamment de la confiance. Et pour bâtir la confiance, il faut se doter d’une main-d’œuvre qui comprend le fonctionnement de ces outils, et prévoir les lois nécessaires pour les encadrer.
Le Groupe de travail sur la stratégie en matière d’IA est composé de plusieurs universitaires et parties prenantes du milieu de la recherche. Le ministère investit massivement dans la recherche par l’intermédiaire des trois excellents laboratoires nationaux : l’Institut Vecteur à Toronto, Mila à Montréal et Amii (Institut de l’intelligence artificielle de l’Alberta) à Edmonton. Il travaille par ailleurs étroitement avec l’Alliance de recherche numérique du Canada. Le ministère met sur pied un programme d’infrastructure de calcul souveraine, soit un superordinateur de pointe de propriété canadienne qui sera hébergé dans des universités, puisqu’il visera à renforcer la capacité des chercheuses et chercheurs à demeurer à l’avant-garde dans leur domaine.
L’IA a essentiellement été inventée par des scientifiques émérites du Canada. Je pense à Geoffrey Hinton, à Yoshua Bengio et à Rich Sutton. Nos instituts universitaires ont mis au point l’IA, et nous devons préserver la longueur d’avance du Canada.
Pour ce faire, il faudra miser sur l’attraction des talents et le soutien à la recherche. Le pays dispose de pôles d’innovation de calibre mondial et d’une stratégie pancanadienne en matière d’IA qui joue un rôle majeur pour appuyer les travaux de recherche.
Les universités, l’éducation, le talent, l’acquisition de compétences et la formation jouent un rôle primordial pour faire en sorte que l’adoption de l’IA dans tous les secteurs profite à tout le monde, et non juste à une poignée de personnes privilégiées.
Vous positionnez le Canada comme un chef de file de l’IA. Doit-il ce statut principalement ou partiellement aux universités?
Voilà une source de fierté : les travaux de recherche universitaire et exploratoire réalisés au pays ont donné lieu à l’IA. Les pionniers de l’IA se trouvent au Canada, et sont encore associés à des universités canadiennes. Geoffrey Hinton collabore avec l’Institut Vecteur. M. Hinton a remporté les prix Turing et Nobel. Yoshua Bengio, qui travaille à Mila, a reçu le prix Turing. Il a enseigné à des étudiantes et étudiants de partout dans le monde, et il fait encore partie de l’Université de Montréal. Rich Sutton enseigne encore; il est associé à Amii. Le Canada est une figure de proue. Et ce ne sont pas de vaines allégations : il s’est imposé comme un pionnier.
Mais le leadership n’est pas un droit acquis, et on doit se battre pour le conserver. La stratégie en matière d’IA doit non seulement le protéger, mais y investir, parce que la concurrence dans le domaine s’intensifie considérablement. Nous devons donc attirer plus de talents – pour renforcer le corps professoral, le milieu de la recherche et la population étudiante – et faire en sorte qu’ils resteront au Canada.
Par ailleurs, l’IA pousse les universités à repenser la manière dont elles se perçoivent. Elles ne sont plus que des lieux de recherche universitaire strictement: elles sont devenues, avec ça, le noyau d’un écosystème. Elles accueillent des accélérateurs. Bon nombre de membres du corps professoral démarrent des entreprises dans la foulée de leurs activités de recherche, puisque l’IA leur donne les outils nécessaires. Nous sommes à l’ère de l’entrepreneuriat. Il n’a jamais été aussi facile, grâce à l’IA, de passer des idées à l’action et d’ainsi fonder des entreprises.
L’un des meilleurs exemples d’un tel écosystème, c’est l’Université de Waterloo. On y retrouve l’Institut de l’informatique quantique, OpenText, le Laboratoire d’innovation et l’Université sur le même campus, ce qui donne lieu à des échanges d’idées et à des collaborations de recherche remarquables.
Bien que l’IA remettra en question les méthodes pédagogiques et le contenu des cours – et il s’agira d’importants bouleversements – les universités reconnaissent tout de même les occasions de taille qui se présenteront, grâce à l’IA.
À l’Université de Toronto, Ajay Agrawal, professeur à l’École de gestion Rotman, a fondé le Laboratoire de destruction créative, qui a financé le démarrage de plusieurs entreprises.
On réimagine les universités qui, autrefois des lieux de recherche strictement, s’imposent désormais comme des catalyseurs pour les entreprises en démarrage et les zones d’innovation. Voilà pourquoi le Groupe de travail sur la stratégie en matière d’IA compte parmi ses membres des responsables de programmes : ces personnes font déjà le travail, et nous montrent comment nous y prendre.
Vous êtes la première personne à assumer le titre de ministre de l’Intelligence artificielle et de l’Innovation numérique. Pourquoi Mark Carney a-t-il créé ce nouveau portefeuille?
Il a reconnu que nous nous trouvions à une époque charnière, marquée par un réalignement politique et une révolution technologique, et que l’IA n’est plus qu’un élément su secteur industriel. Il s’agit d’un enjeu en soi sur lequel un ministère doit se pencher à temps plein.
Pour que tout le monde profite de l’IA, nous devons bâtir une infrastructure souveraine – tant les centres de données que les outils infonuagiques –, qui nous apportera un sentiment de sécurité. Nous devons par ailleurs en stimuler l’adoption, et ce, d’une manière sécuritaire qui protège nos valeurs et les respecte, et, parce qu’il faut bien participer au commerce mondial, qui dissémine nos valeurs. Il y a lieu de s’assurer que l’IA est mise à profit d’une manière productive et fiable qui profite à tout le monde. Voilà ce que M. Carney m’a demandé, et je m’emploie à accomplir cette mission.
C’est sa proposition pour bâtir un Canada fort, protéger les Canadiennes et Canadiens des forces négatives et donner aux personnes les moyens d’assurer la prospérité future du pays qui sous-tend la mission entière du ministère, lequel doit réaliser ce travail auprès d’une toute nouvelle industrie.
En tant que journaliste, vous vous êtes toujours intéressé à la technologie. À ce titre, quelles sont vos préoccupations à l’égard de l’IA?
Toute nouvelle technologie d’une telle ampleur et d’une telle portée, qui s’accompagne d’occasions de taille, présente forcément certains risques. Notre travail consiste à faire en sorte que les occasions l’emportent nettement sur les risques.
Il faut donc s’assurer d’avoir des gens d’affaires qui démarrent leurs entreprises, les développent et les font croître au pays, et qui feront du Canada, grâce à cette technologie, une terre d’accueil des sièges sociaux.
Ce que je redoute, c’est que la technologie ne profite qu’à une poignée de personnes, et non à tout le monde. Je redoute qu’au lieu d’être fondées ici, les entreprises soient établies ailleurs. Ce sont des questions que nous devons aborder, et il n’est pas facile d’y répondre.
Nous devrons entreprendre ensemble un long cheminement pour bâtir un pays qui met à contribution ces outils de manière réfléchie.
Vous souciez-vous de l’authenticité en ce qui concerne l’IA, par exemple des arnaques en ligne et de la reproduction des voix et des images?
Quand nous proposerons une loi, elle visera principalement à protéger la vie privée et les données de la population. Il y sera question de la gestion de l’hypertrucage. Elle abordera également le traitement de l’information liée aux enfants. Voilà un aspect de la question. Le ministère du Patrimoine canadien prépare un projet de loi sur les préjudices en ligne, qui traitera en partie de cet enjeu. Et le ministère de la Justice a promis de déposer une loi encadrant les images hyper truquées non consensuelles. Autrement dit, trois ministères s’emploieront à régler cet enjeu pour que la population canadienne se sente en sécurité.
Postes vedettes
- Études culturelles - Professeure ou professeurInstitut national de la recherche scientifique (INRS)
- Sociologie - Professeure adjointe ou professeur adjoint (féminismes, genres et sexualités dans les mondes noirs, africains et caribéens)Université de Montréal
- Architecture - Professeure adjointe ou professeur adjoint (humanités environnementales et design)Université McGill
- Aménagement - Professeure adjointe / agrégée ou professeur adjoint / agrégé (design d’intérieur)Université de Montréal
- Sciences de la terre et de l'environnement - Professeure adjointe ou professeur adjoint (hydrogéologie ou hydrologie)Université d'Ottawa
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