Les universités s’attaquent à la crise de surdoses d’opioïdes qui secoue le Canada

Certaines stockent des trousses de naloxone pendant que d’autres privilégient la sensibilisation accrue du public.

08 mars 2017
Injections

le 14 avril dernier, l’administrateur en chef de la santé publique de la Colombie-Britannique a déclaré l’état d’urgence en santé publique à la suite du grand nombre de décès par surdose d’opioïdes enregistrés dans la province, un nombre qui n’a cessé d’augmenter depuis. En décembre, la police de Vancouver a signalé jusqu’à neuf décès de ce type en une seule nuit. Lors d’une conférence sur la crise des opioïdes, tenue à Ottawa en novembre, le ministre ontarien de la Santé, Eric Hoskins, a indiqué que les surdoses d’opioïdes constituent désormais la troisième cause de décès accidentels dans la province, provoquant environ 700 décès par an.

Aaron Orkin était présent à cette conférence. Médecin urgentiste au Sinai Health System, à Toronto, et chercheur à l’École de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto, le docteur Orkin étudie le phénomène de surdose d’opioïdes et la distribution de naloxone, un médicament susceptible de sauver la vie des victimes en bloquant les effets des opioïdes. « Les gens qui meurent à cause de surdose d’opioïdes ne meurent pas seuls, mais entourés d’amis ou de membres de la famille qui tiennent à eux, a souligné le docteur Orkin lors de la conférence. Les programmes de distribution de naloxone sont nés de ce constat. »

Devant la persistance de la crise des opioïdes, certaines universités ont commencé à distribuer des trousses de naloxone sur leur campus. L’Université de la Colombie-Britannique a été la première à stocker de telles trousses, dès mars 2016, à son Centre de santé étudiante. En janvier 2017, elle avait déjà distribué 11 trousses de naloxone en plus de former les destinataires à leur usage. L’Université de l’Alberta indique pour sa part en avoir distribué une dizaine depuis le début du trimestre d’automne. Chaque trousse contient trois fioles de l’antidote, trois seringues, des gants, un masque de réanimation et des tampons imbibés d’alcool.

« Ces trousses sont destinées aux personnes à haut risque, ou encore à leurs amis ou aux membres de leur famille. »

Marna Nelson, directrice par intérim des Services de santé étudiante à l’Université de la Colombie-Britannique, précise : « Ces trousses sont destinées aux personnes à haut risque, ou encore à leurs amis ou aux membres de leur famille. » Elle cite à titre d’exemple les utilisateurs d’opioïdes – en particulier le fentanyl – à des fins récréatives. Le personnel du Centre de santé étudiante de l’Université de la Colombie-Britannique distribue les trousses aux destinataires et les forme à leur usage, qu’il s’agisse d’étudiants, d’amis ou de membres de la famille. « Le but est de protéger nos étudiants », indique Mme Nelson. L’Université de la Colombie-Britannique a aussi commencé à former le personnel urgentiste de son campus à l’administration de ce médicament.

En général, les victimes de surdose perdent connaissance et cessent de respirer. Kelly Grindrod, professeure adjointe à l’École de pharmacie de l’Université de Waterloo, explique qu’au moment de son administration, la naloxone « ne s’attaque pas à l’opioïde qui a provoqué la surdose. Il le détache simplement des récepteurs d’opioïdes du cerveau, auxquels il se lie ensuite pour empêcher l’opioïde de s’y fixer à nouveau. » La naloxone agit en trois à cinq minutes, mais son action ne dure qu’une demiheure environ. La plupart des opioïdes sont conçus pour agir plus longtemps que cela, comme le précise Mme Grindrod; il est donc impératif que quiconque administre de la naloxone compose d’abord le 911.

Il s’agit de quelques-unes des données de base que Mme Grindrod inculque à ses étudiants en pharmacie. Selon elle, comme la vente libre du naloxone est relativement récente, de nombreux pharmaciens connaissent mal ce médicament. « Jusqu’au printemps dernier, la naloxone n’était utilisé que dans les hôpitaux, principalement dans les services de soins intensifs et d’urgence. La décision sans précédent de Santé Canada et de la ministre fédérale de la Santé d’en faire un médicament en vente libre, ce qui le rend bien plus accessible, a grandement facilité la mise sur pied de programmes de santé publique. » En Ontario, par exemple, toute personne possédant une carte d’assurance-maladie peut désormais obtenir gratuitement une trousse de naloxone dans la plupart des pharmacies.

Toutefois, d’après le docteur Orkin, de l’Université de Toronto, la distribution de naloxone ne pourra à elle seule résoudre la crise des opioïdes. Les universités doivent donc faire plus pour combattre cette crise, qu’il juge en partie imputable à l’échec des politiques publiques – en particulier celle qui a conduit les gouvernements à mettre fin à la distribution de l’oxycodone commercialisé sous la marque OxyContin pour le remplacer par une nouvelle formulation, commercialisée sous la marque OxyNEO.

« Malheureusement, cette politique censée protéger les gens a eu pour effet principal de les conduire à se tourner vers l’héroïne et le fentanyl, si bien que le nombre de décès est désormais en hausse, déplore le docteur Orkin. D’après moi, les politiques de ce type seraient plus efficaces si elles étaient élaborées avec le concours d’universitaires, plutôt que par un gouvernement agissant seul. »

Selon Benedikt Fischer, chercheur principal à l’Institut de recherche en santé mentale au Centre de toxicomanie et de santé mentale, il est « raisonnable » que les universités stockent de la naloxone, mais il est encore plus important qu’elles communiquent clairement que la naloxone n’est efficace que pour certaines surdoses. Il faut aussi « qu’elles contribuent à trouver pourquoi l’usage abusif des opioïdes est courant au sein de la population étudiante, et qu’elles mènent des campagnes d’information et de prévention efficaces auprès de cette population à risque. »

Kevin Friese, vice-doyen, Affaires étudiantes, santé et bien-être, à l’Université de l’Alberta, indique que son bureau a conçu et distribué des affiches sur le campus, ajoutant que les membres de l’Association des étudiants en pharmacie de l’établissement ont contribué de manière déterminante à faire passer le message sur la dangerosité des opioïdes. « Ils ont été très proactifs et se sont vraiment montrés soucieux d’informer l’ensemble des étudiants de la collectivité. »

Christine Adam, doyenne des affaires étudiantes à l’Université Thompson Rivers, signale que les quelques décès par surdose survenus dans leur communauté ont contribué à la sensibilisation aux risques de surdose et de décès liés au fentanyl. Cet établissement a par ailleurs mis sur pied une initiative appelée Substances Safe Spaces : des affiches apposées sur les portes ou les bureaux signalent aux étudiants que des membres du corps professoral ou du personnel sont bénévolement à leur disposition pour répondre à leurs questions sur le fentanyl, la manière de diagnostiquer les surdoses, ou encore les manières dont les toxicomanes peuvent se protéger et accéder à des ressources complémentaires.

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