Une étude de Statistique Canada révèle que le harcèlement est un problème dans le milieu universitaire

La majorité des harceleurs sont des hommes, tandis que les femmes autochtones ou handicapées sont les plus à risque d’être ciblées.

13 août 2021
Businesswoman standing and meeting

Selon une étude récente de Statistique Canada, le harcèlement est beaucoup plus courant en milieu universitaire que dans bon nombre d’autres secteurs.

À la fois 34 % des femmes et 22 % des hommes travaillant dans des établissements postsecondaires ont déclaré avoir vécu une forme de harcèlement au cours des 12 mois précédents, indique l’étude. Ces conclusions sont basées sur les résultats d’un sondage mené en 2019 auprès d’environ 27 000 professeurs, chercheurs, chercheurs postdoctoraux, doctorants et enseignants au niveau collégial, à temps plein et partiel.

En comparaison, un sondage de 2016 révélait que 19 % des femmes et 13 % des hommes dans tous les secteurs de l’économie déclaraient avoir été victimes de harcèlement durant l’année précédente.

L’étude menée par Darcy Hango, sociologue de formation relève que « très peu de recherche » sur le sujet avait été effectuée jusqu’alors dans le milieu postsecondaire.

Les données témoignant de l’omniprésence du harcèlement dans les corridors universitaires ne surprennent pas Lise Gotell, professeure au Département d’études féministes et de genre de l’Université de l’Alberta. « C’est malheureusement chose courante », affirme-t-elle. Mais il est tout de même important d’avoir la preuve que le problème est pire dans le secteur postsecondaire.

Les résultats de l’étude démontrent que le harcèlement au travail est « un phénomène fortement lié au genre », explique Mme Gotell, qui fait remarquer que la majorité des harceleurs sont des hommes. Elle indique également que les pourcentages de femmes handicapées et de femmes autochtones victimes de harcèlement sont « terriblement élevés » : 52 % et 45 %, respectivement.

M. Hango s’est penché sur cinq types de harcèlement, soit l’humiliation, la violence verbale, le harcèlement sexuel et l’attention de nature sexuelle. Il explique que plusieurs caractéristiques des établissements postsecondaires favorisent le harcèlement : la structure d’autorité hiérarchique, le haut degré d’interaction entre les professeurs et les étudiants et le grand nombre de jeunes adultes qui fréquentent ces établissements et qui sont plus susceptibles d’être ciblés.

Les deux tiers des chercheurs postdoctoraux et des doctorants qui ont déclaré avoir subi du harcèlement ont indiqué que leur harceleur était en position d’autorité, comme un professeur agissant à titre de superviseur.


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Amy Conwell, présidente de la section locale 3902 du Syndicat canadien de la fonction publique, qui représente des chercheurs postdoctoraux, des étudiants aux cycles supérieurs et d’autres travailleurs contractuels à l’Université de Toronto, explique que le problème de harcèlement est si important que sa section locale a insisté pour inclure les conflits survenant dans le cadre d’une supervision universitaire dans ses champs de compétence. Si un étudiant aux cycles supérieurs membre de la section locale soumet une plainte, les représentants syndicaux peuvent aborder le problème directement avec le vice-recteur aux ressources humaines et à l’équité de l’Université.

Mme Conwell affirme cependant que les doctorants sont réticents à entamer des démarches officielles. « Une dynamique de pouvoir s’installe quand on travaille pour la personne qui décidera de l’obtention du diplôme pour lequel on a consacré tant d’efforts pendant une période cruciale dans sa vie, et qu’on espère de cette personne des lettres de recommandation qui nous ouvriront des portes dans des domaines extrêmement compétitifs, où il est très difficile de trouver du travail. Et c’est sans compter les craintes de représailles. »

M. Hango s’est aussi penché sur les conséquences du harcèlement sur le milieu secteur postsecondaire dans son ensemble. Les personnes ciblées indiquent souvent éprouver une moins grande satisfaction au travail, de même que des effets sur leur santé physique et mentale. Au niveau des établissements, le harcèlement peut nuire à la productivité et augmenter le taux d’absentéisme ainsi que le roulement de personnel.

Comme les données datent d’avant la pandémie, M. Hango soupçonne que le harcèlement en personne pourrait avoir diminué depuis le printemps 2020, moment où la plupart des établissements postsecondaires du pays ont suspendu les cours en présentiel.

Cette hypothèse concorde avec ce que Ian Rakita a pu observer en tant que président de l’Association des professeurs de l’Université Concordia et professeur agrégé au Département de finances de l’établissement. M. Rakita indique que son association, qui regroupe un millier de membres, avait vu le nombre de plaintes augmenter à la suite du mouvement #MoiAussi, mais que le coronavirus est venu changer la donne. « Les signalements ont beaucoup diminué. Il y en a toujours, mais ils peuvent porter sur des évènements antérieurs à la pandémie », précise-t-il.

M. Hango pense que le problème pourrait s’être déplacé en ligne depuis le passage au télétravail, évoquant une hausse probable des cas de cyberintimidation.

Mme Gotell est du même avis. Elle estime que des changements s’imposent pour lutter contre les dynamiques de pouvoir dans les établissements postsecondaires, comme une hausse de la surveillance. Une meilleure formation pourrait aussi contribuer à mieux informer les professeurs, les étudiants aux cycles supérieurs et les chercheurs au sujet des politiques et des mécanismes pour lutter contre le harcèlement dans leur établissement. « Selon moi, le harcèlement et l’intimidation ne vont pas disparaître simplement parce que la COVID-19 a réduit nos interactions en personne, affirme-t-elle. Malheureusement, ils ne feront que prendre de nouvelles formes. »

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