Comment la pandémie pourrait changer l’enseignement universitaire

L’enseignement à distance permet en somme aux universités de réfléchir à la diversité de leurs populations étudiantes et de tenir compte de certains besoins spécifiques.

Depuis le début de la pandémie, l’éducation de millions d’étudiants universitaires à travers le monde est perturbée et les universités ont modifié considérablement leur fonctionnement pour respecter les mesures sanitaires adoptées par les gouvernements. Elles ont adapté leurs activités pédagogiques, entre autres en offrant l’enseignement à distance. Mais quels seront les impacts à plus long terme de ces nouvelles pratiques?

Le Centre d’études en gouvernance, que je dirige, mène actuellement une recherche sur le sujet avec l’Institut de la Francophonie pour la Gouvernance universitaire, un institut spécialisé de l’Agence universitaire de la Francophonie. Notre analyse s’appuie sur diverses sources dont des articles, des documents universitaires, des revues, des blogues, des séminaires, des enquêtes et des forums de discussion en ligne. Nous avons aussi recueilli plusieurs témoignages en format vidéo de hauts gestionnaires universitaires dans plusieurs parties du monde, qui présentent leur vécu de la gouvernance universitaire en temps de crise.

Nos résultats seront bientôt publiés sous la forme d’un cahier de recherche du Centre d’études en gouvernance et feront l’objet de webinaires de l’Agence universitaire de la Francophonie ayant pour thème : transformer l’Université en temps de crise.

Une transition forcée

Lors de l’éclosion de la pandémie, en l’espace d’une semaine, les universités ont dû se coordonner rapidement avec le personnel administratif, les professeurs, les étudiants et surtout les équipes techniques pour transférer les cours en ligne dans le but de clôturer leur année universitaire. Cela a obligé professeurs et étudiants à maîtriser rapidement l’utilisation des systèmes de gestion de l’apprentissage (tels que Moodle, Blackboard, Brightspace, Google Education et autres) et les logiciels de communication pour l’enseignement à distance (tels que Zoom, Adobe Connect, Skype et Teams) pour n’en citer que quelques-uns.

Les étudiants et le personnel universitaires ont dû procéder à des ajustements importants. Non seulement ont-ils dû apprendre à utiliser les outils d’enseignement en ligne, mais ils ont également dû s’adapter à de nouvelles méthodes de participation, d’interaction, de pratiques d’enseignement virtuelles et de communication entre étudiants et professeurs.

Cette situation a parfois provoqué des situations inusitées par exemple quand des étudiants ont découvert que les enseignements virtuels étaient offerts par un professeur décédé un an avant la pandémie, et ce, sans préavis. Cet exemple extraordinaire démontre le contexte souvent décousu dans lequel la transition vers le format virtuel s’est matérialisée.

Un impact sur la valeur des diplômes

Professeurs et étudiants ont été particulièrement bousculés par les nouveaux formats d’évaluation et d’enseignements. Le passage des évaluations et des examens finaux en format virtuel a sans doute soulevé les plus importants enjeux d’intégrité pédagogique entre les directions, les professeurs et les étudiants.

D’une part, les professeurs avaient très peu d’expérience dans la préparation des examens en ligne. Le format d’examen à livre ouvert et l’absence de contrôle auprès des étudiants pavaient la voie à d’avantage de tricherie qu’à l’habitude. D’autre part, les étudiants, principalement ceux ayant un accès limité à l’Internet, craignaient d’être désavantagés lors des évaluations en ligne.

La conjugaison de tous ces facteurs de stress a eu un impact inévitable sur la santé mentale des étudiants et du personnel académique. C’est pourquoi plusieurs universités ont tôt fait d’inclure des mesures adaptatives. Cette situation aura vraisemblablement un impact temporaire sur la valeur des diplômes. En revanche, cela aura ouvert la porte aux professeurs et aux établissements afin de repenser les modalités d’évaluation et d’intégrité académique à l’avenir.

La « fatigue Zoom » bien réelle

Dans la plupart des cas, la transition n’a pas été facile. Les étudiants ont souvent exprimé leur préférence pour les pratiques plus conventionnelles d’apprentissage en classe. Cette aversion générale pour le processus d’apprentissage en ligne a été illustrée par les nombreux étudiants qui ont décidé d’abandonner ou de reporter leur projet d’études universitaires et tout particulièrement les étudiants internationaux.

Même si le passage de l’apprentissage en personne à l’apprentissage en ligne a été un défi, les établissements universitaires y ont également trouvé plusieurs avantages. Le passage à l’apprentissage en ligne a démontré la polyvalence et la capacité d’adaptation parfois insoupçonnées du personnel administratif, des professeurs et des administrateurs de bibliothèque.

En outre, il a permis aux universités de sensibiliser les étudiants à l’accès aux divers systèmes de gestion de l’apprentissage en ligne dans l’enseignement universitaire. Le transfert des cours en ligne a montré la commodité de l’apprentissage à distance et a même convaincu certaines catégories d’étudiants (notamment des adultes, des travailleurs, des chômeurs) de réintégrer des programmes d’études universitaires.

Des réductions de coûts

Dans ce processus, les universités ont réalisé que l’apprentissage en ligne peut contribuer à la diversification de leur population étudiante. Principalement parce que les cours en ligne permettent à un plus grand nombre d’étudiants d’apprendre à moindre coût.

Les étudiants qui sont capables d’apprendre à distance de manière efficace n’ont pas à supporter les coûts du transport quotidien, du logement et des plans repas. En outre, l’apprentissage en ligne permet aux étudiants qui vivent hors campus de gagner du temps en n’ayant pas à se déplacer.

À court terme, cela favorise également les étudiants qui, auparavant, auraient pu reporter la poursuite de leurs études supérieures dans un établissement éloigné en raison des inconvénients de la distance. Ce mode d’enseignement permet en somme aux universités de réfléchir à la diversité de leurs populations étudiantes et de tenir compte de certains besoins spécifiques.

Au-delà des enjeux pédagogiques, certains y voient une occasion de réduction des coûts. Cela met une pression supplémentaire sur les universités pour qu’elles fassent de leur transition vers l’apprentissage à distance une réalité permanente, au moins en partie.

Des changements irréversibles?

Après avoir expérimenté une telle situation, il sera à peu près inévitable pour les universités de devoir réviser leurs mesures d’urgence en intégrant la formation en ligne et à distance comme mesures de mitigation des crises, faisant en sorte de normaliser cette option en anticipant les crises futures.

Il faudra aussi maintenir une approche critique face aux pressions soutenues par le secteur privé, dans lequel les sociétés de technologie éducative et autres grandes entreprises technologiques plaident pour un accroissement et une permanence de la transition de l’enseignement en ligne.

En somme, la COVID-19 a changé le monde et le monde universitaire n’y fait pas exception. Elle a modifié la façon dont les gens interagissent les uns avec les autres, la façon dont ils travaillent et aussi la façon dont ils apprennent. Ces changements seront-ils durables? Chose certaine, les universités prennent conscience du fait que les pratiques d’enseignement ne seront peut-être jamais totalement identiques au modèle précédent.

Eric Champagne est professeur agrégé à l’École d’études politique et directeur du Centre d’études en gouvernance à l’Université d’Ottawa et Aracelly Denise Granja est assistante de recherche à l’Université d’Ottawa.

Cet article a été publié à l’origine sur le site Web La Conversation. Lisez le texte original.

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