Crise en santé mentale : les universités se doivent de montrer l’exemple

Une approche holistique du bien-être sur le campus est nécessaire au changement.

06 novembre 2024

On s’étonne souvent lorsque je partage publiquement que la dépression, l’état de stress post-traumatique lié à l’enfance, les idées suicidaires et la consommation de substances ont fait partie de ma vie pendant plus de deux décennies, depuis mes 15 ans environ. Ce n’est pas vraiment l’image qu’on se fait d’un recteur.

Comme beaucoup d’autres, j’ai grandi dans une famille dysfonctionnelle et traumatisante. Mon père luttait contre ses propres démons, qu’il essayait sans succès de noyer dans l’alcool. Il était imprévisible, contrôlant, tyrannique et violent. Vivre auprès de lui était déstabilisant et souvent terrifiant. Nous étions constamment sur nos gardes, et ma santé mentale s’en est trouvé compromise.

Guérir des blessures de l’enfance, c’est long mais jamais impossible. Aujourd’hui, je célèbre presque 11 ans de sobriété et j’ai essentiellement laissé derrière moi la peur, la rage, la honte et la douleur constante qui m’habitaient et me hantaient.

Mon histoire n’a rien d’inhabituel. La société aime à penser que toutes les familles sont accueillantes, bienveillantes et sécuritaires, mais ce n’est pas le cas. Selon les données recueillies en 2018 par Statistique Canada, environ six personnes sur dix indiquent avoir subi de mauvais traitements (de différents types) pendant l’enfance, soit avant l’âge de 15 ans. Les traumatismes de l’enfance, souvent multigénérationnels, sont un fléau largement ignoré qui sous-tend une forte proportion des problèmes de santé mentale, de consommation et de suicide. Et la pandémie de COVID-19 n’a certainement rien arrangé.

Je suis bien placé pour savoir que les traumatismes subis durant l’enfance ont des effets persistants : ils affectent les pensées et comportements longtemps après le début de l’âge adulte, incluant bien sur les années universitaires. Pour nombre d’étudiantes et étudiants, les défis de la vie sur le campus, les traumatismes non résolus, l’anxiété et la dépression forment un cocktail explosif qui complique grandement la gestion du quotidien. Ajoutons-y la hausse des coûts du logement, de l’alimentation et l’instabilité générale de l’heure, et la situation peut rapidement devenir intenable.

Selon un récent rapport de l’Alliance canadienne des associations étudiantes, trente-deux pour cent des étudiantes et étudiants estiment avoir une santé mentale « mauvaise » ou « très mauvaise »; quarante-six pour cent ont rapporté des symptômes de dépression et trente-huit pour cent, des idées suicidaires. La performance académique et la qualité de vie en sont directement affectées.

Les universités peuvent faire partie de la solution. L’Université de la Colombie-Britannique a fait de la santé mentale et du bien-être une priorité, et a reconnu la nécessité de les intégrer à la vie sur le campus. Notre approche, vaste et inclusive, comprend des services de counseling dans les facultés et les résidences, des séances de thérapie de groupe et des programmes culturellement adaptés pour les étudiantes et étudiants autochtones. Puisque consommation de substances et problèmes de santé mentale vont souvent de pair, l’Université offre des ressources sur le campus pour en réduire les méfaits, notamment des formations pour l’administration de naloxone, des services de vérification du contenu exact des drogues et des groupes de soutien par les pairs axés sur le rétablissement.

Mais pour améliorer la santé mentale, il faut aussi s’attaquer aux grands enjeux socioéconomiques qui nuisent au bien-être. L’Université de la Colombie-Britannique s’efforce d’améliorer l’abordabilité, notamment en offrant plus de 15 000 places en résidence à un prix inférieur au marché, des initiatives de sécurité alimentaire, des services de garde à 10 $ par jour sur le campus, et des ressources éducatives libres pour réduire le coût des manuels.

Les universités ne pourront pas à elles seules régler un problème ancré dans des enjeux sociétaux complexes; mais elles ont la responsabilité de montrer l’exemple pour les générations futures. Plus que jamais, les universités et les établissements d’enseignement supérieur doivent promouvoir et prioriser un investissement important dans la santé mentale et le bien-être. Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent les y aider, et reconnaître que, tout comme pour l’apprentissage et l’acquisition des connaissances, il s’agit d’un investissement et non d’une dépense. En appuyant la santé mentale aujourd’hui, on améliore la résilience et la prospérité de la population canadienne à long terme.

Mon père aurait fêté ses 81 ans ce mois-ci. Malheureusement, il nous a quitté il y a bien des années, sans jamais admettre qu’il souffrait profondément – ni aux autres, ni à lui-même. Voilà les conséquences de la stigmatisation. Je pense souvent à lui avec amour et gratitude, malgré tout, et je me demande souvent si avec un peu d’aide, son destin aurait pu être bien différent.

J’ai eu la chance de ne pas suivre ses traces. L’éducation a toujours été ma bouée de sauvetage, et les études m’ont aidé à survivre, puis à remonter la pente. L’enseignement supérieur m’a apporté plus que je ne pourrai jamais lui rendre. Avec le temps, j’ai aussi trouvé la force de demander de l’aide, ce qui a tout changé. J’espère seulement que, grâce à l’investissement et aux efforts soutenus des universités et du gouvernement, les étudiantes et étudiants d’aujourd’hui trouveront à leur tour de l’espoir dans ces lieux de croissance intellectuelle, mais aussi de guérison, pour en ressortir entiers, libres et épanouis.

Benoit-Antoine Bacon est recteur et vice-chancelier de l’Université de la Colombie-Britannique, où il est aussi professeur au département de psychologie. En s’appuyant sur son propre vécu, il promeut à l’échelle nationale l’importance de discuter ouvertement de santé mentale et la consommation de substances.

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