Pouvons-nous dégager des apprentissages des suicides des personnes étudiantes dans les universités québécoises?

Les suicides parmi les personnes étudiantes à l’université sont un phénomène préoccupant, reflétant une détresse souvent invisible mais profondément enracinée dans les pressions académiques.

Cet article aborde des sujets sensibles liés à la santé mentale et aux tendances suicidaires. Si vous vous sentez vulnérable à ces thématiques, nous vous recommandons de ne pas poursuivre la lecture.

Si vous ou quelqu’un que vous connaissez pensez au suicide, appelez ou textez le 9-8-8. Du soutien est disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Selon l’Organisation mondiale de la santé publiées en 2024, environ 720 000 personnes se suicident chaque année, faisant du suicide la troisième cause de mortalité chez les jeunes adultes de 15-29 ans. Au Québec, le taux de suicide ajusté est de 12,0 pour 100 000 personnes dans l’ensemble de la population québécoise selon l’Institut national de santé publique du Québec. Les personnes étudiantes universitaires sont malheureusement également touchées. À cet effet, une enquête menée en 2019 par l’Union étudiante du Québec a mis en lumière la présence de pensées suicidaire chez 9 % des personnes interrogées. Afin de mieux comprendre les suicides des personnes étudiantes universitaires, nous avons analysé les décès par suicide de 2014 à 2021 à partir des rapports de coroners transmis par le Bureau du coroner du Québec à notre demande. Le Bureau du coroner avait retracé onze dossiers des cas de suicide dans les universités québécoises. Nous avons analysé les rapports des coroners à l’aide d’une grille afin de dégager plusieurs variables (l’âge, le sexe, la nationalité, le lieu du décès, le moyen de suicide utilisé, le programme d’études, et les antécédents médicaux des victimes).

Ce que révèlent les rapports de coroners

Le but de cet article n’est pas de partager l’ensemble des résultats, mais de rapporter quelques faits saillants. Les résultats montrent que 72,7 % des victimes étaient de sexe féminin et 81,8 % avaient entre 20 et 27 ans. La majorité des suicides (72,7 %) a eu lieu dans les résidences personnelles des victimes. Parmi les victimes, 81,8 % présentaient certains facteurs de risque tels que la dépression (36,4 %), des idées suicidaires (27,2 %), de l’anxiété (9,1 %) et de la violence conjugale (9,1 %), des problèmes financiers (38,4 %), de la solitude (27,2 %), l’utilisation de substances illicites (18,2 %) et la dépendance à l’alcool (9,1 %).

Il à noter que les problèmes académiques, notamment l’échec ou la mauvaise performance dans les études, étaient présents dans 50 % des cas. À ce sujet, certains rapports de coroners pointent la culture de performance qui est présente et bien enracinée dans certains programmes universitaires de même que certaines pratiques d’évaluation qui contribuent aux enjeux d’anxiété, de compétions et l’exclusion dans certains programmes.

Quelques mises en perspectives avec d’autres études

Ces résultats contrastent avec certaines études qui montrent une prévalence plus élevée des suicides chez les hommes dans la population générale. Cependant, dans le contexte universitaire québécois, la surreprésentation des femmes parmi les victimes pourrait s’expliquer par une plus grande proportion de personnes de sexe féminin inscrites dans les universités.

Par ailleurs, les défis académiques, identifiés comme un facteur clé dans 50 % des cas de suicide, ne sont pas uniques au Québec. Au Japon, une étude menée par Uchida et Uchida en 2017 a montré que les personnes étudiantes en difficulté académique étaient également plus susceptibles de se suicider. De même, des recherches au Royaume-Uni ont révélé que les interruptions d’études ou les échecs académiques augmentaient significativement le risque de suicide. Ces résultats montrent que les pressions académiques peuvent devenir des déclencheurs critiques des enjeux de santé mentale chez les personnes étudiantes.

Puissions-nous apprendre de ces tragédies

Loin d’être un simple chiffre qui s’ajoute aux statistiques, chaque suicide représente une vie écourtée, un potentiel perdu et des proches laissés dans l’incompréhension. Ces tragédies, qui semblent parfois se dérouler dans le silence, représentent des cris que nous devons tous entendre. Elles révèlent une souffrance cachée, souvent ignorée, qui se déroule parfois également au sein même de nos institutions académiques.

Les établissements d’enseignement supérieur doivent aller au-delà des simples mesures préventives. Ils doivent créer des environnements où chaque étudiant ou étudiante se sent vu, entendu et soutenu. Il ne s’agit pas seulement de fournir des ressources, mais de cultiver une culture de bienveillance et de solidarité sur les campus.

Pour une culture universitaire qui allie performance et bienveillance

La culture universitaire est historiquement orientée vers l’excellence et la performance. Cette culture de performance est assortie de valeurs, rituels et symboles (efficacité, excellence, valorisation du don de soi, etc.). Elle entraine de magnifiques réalisations et découvertes, mais génère également des enjeux multiples chez les personnes étudiantes et les membres du personnel (enjeux de santé mentale, de compétition, d’intimidation, etc.).

Il importe de mettre en œuvre des actions concrètes pour insuffler un peu plus de bienveillance dans cette culture, et ce, à chaque niveau du système : sensibiliser et outiller les personnes étudiantes aux enjeux de santé mentale, sensibiliser les membres du personnel à contribuer à instaurer une culture de bienveillance, former des membres du personnel à repérer ou soutenir les personnes étudiantes en détresse et à les accompagner vers les bons services, consolider et élargir l’offre de services en santé mentale de la prévention à l’intervention et à la postvention suite à un suicide, établir des corridors de services avec les établissements du réseau de la santé et des services sociaux, adopter des politiques et règlements institutionnels, etc.. Le Plan d’action sur la santé mentale étudiante en enseignement supérieur (2021-2026) du ministère de l’Enseignement supérieur encourage d’ailleurs les milieux d’enseignement supérieur à aller dans ce sens et à mettre en place, entre autres, des mesures de prévention et d’accompagnement visant à prévenir et à diminuer les risques suicidaires.

En tant que société, nous avons une responsabilité envers nos jeunes. Nous devons nous assurer que les universités demeurent des espaces où les personnes étudiantes peuvent non seulement apprendre, mais aussi s’épanouir, même au milieu des défis.

Ces onze vies perdues au Québec sont un rappel très brutal que derrière chaque dossier académique, il y a un être humain. Pour éviter que d’autres jeunes n’envisagent la mort comme la seule issue, nous devons écouter, comprendre et surtout, agir. La prévention des suicides constitue une responsabilité collective. Et vous, quelle petite action envisagez-vous mettre en œuvre?

Julie Lane, professeure agrégée à l’Université de Sherbrooke (UdeS) et codirectrice de l’Observatoire sur la santé mentale étudiante en enseignement supérieur (OSMÉES); Eric-Gustave Bizimana, doctorant à l’UDeS et auxiliaire de recherche à l’OSMÉES; Marie-Claude Laquerre, ombudsman des étudiantes et des étudiants à l’UdeS et Marylène Dionne, coordonnatrice administrative avec l’équipe de l’ombudsman de l’UdeS.

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