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À mon avis

Remonter en selle après plus de 20 ans à titre d’administrateur

Pourrais-je vraiment revenir là où avait débuté ma carrière universitaire? Il serait malhonnête de prétendre que je n’entretenais aucun doute, surtout du côté de l’enseignement.

par DANIEL WOOLF | 10 JUIN 22

Comme le dit une vieille blague, les administrateurs universitaires chevronnés ne prennent jamais leur retraite : ils perdent leurs facultés! Que fait-on après 10 ans à la direction d’une université? Il y a certainement des portes qui s’ouvrent dans le secteur privé, et plus particulièrement au sein de conseils d’administration d’entreprises. Il y a aussi des postes de cadre dans le milieu universitaire – plusieurs anciens recteurs d’universités canadiennes ont connu une deuxième carrière dans d’autres établissements, des groupes de promotion d’intérêts (p. ex., le regroupement U15) ou de grands organismes de recherche au pays (p. ex., la Fondation canadienne pour l’innovation). Certains ont été sollicités pour des postes aux États-Unis, où nos compatriotes semblent bien s’épanouir (l’inverse semble moins réussir à nos voisins du Sud, malheureusement pour eux et leurs établissements respectifs).

Au début de 2018, mon deuxième mandat de cinq ans à titre de recteur de l’Université Queen’s tirait à sa fin. C’était un travail très difficile, mais il m’a beaucoup plu et m’a fait faire plusieurs fois le tour du monde. J’ai eu la chance de devenir recteur de l’établissement où j’avais fait mes études de premier cycle, dans les années 1970, et un postdoctorat de deux ans, au milieu des années 1980. Cependant, après une décennie de réunions, de déplacements continuels et de travail dans le feu de l’action (ces 10 années ont été précédées par 12 autres à titre de doyen ou de vice-doyen auprès de trois autres établissements), l’heure était au changement. J’ai terminé mon mandat en me disant que je prendrais deux ans de congé pour réfléchir à la dernière étape de ma carrière.

Or, en quittant pour la dernière fois mon bureau de recteur, à la mi-juin 2019, j’avais une assez bonne idée de ce que je voulais faire et de ce que je ne voulais pas faire. J’ai très rapidement refusé de poser ma candidature pour d’autres postes de cadre universitaire à temps plein, et les conseils d’administration d’entreprise ne m’intéressaient pas du tout. J’avais planifié deux projets d’écriture, qui ont rapidement été mis de côté.

Lors d’une réception tenue à ma dernière année comme recteur, je suis tombé sur un ancien collègue dirigeant de quelques années mon aîné, un leader et un confrère humaniste que je tenais en haute estime. Après une dizaine d’années comme recteur, il avait lui aussi dit adieu au rythme effréné imposé par ces fonctions, pris congé et décidé de terminer sa carrière dans les salles de classe et les bibliothèques, et il paraissait heureux. J’avais toujours planifié remonter en selle à la fin du chapitre administratif de ma carrière, un peu comme Cincinnatus retournant à ses sillons. L’exemple de mon confrère m’a beaucoup rassuré au moment où je me préparais moi aussi à la vita contemplativa (je vous laisse trouver la référence).

Heureusement, mon retour ne se ferait pas tout à fait à froid. Au fil de mes 22 années hors du corps professoral, je m’étais efforcé d’enseigner de temps à autre (un cauchemar de gestion d’agendas pour toute une série d’adjoints et de responsables de bureau), et j’avais poursuivi modestement mes activités de recherche et de rédaction. J’avais même supervisé quelques étudiants aux cycles supérieurs. Mais pourrais-je vraiment revenir là où avait débuté ma carrière universitaire? Il serait malhonnête de prétendre que je n’entretenais aucun doute, surtout du côté de l’enseignement. J’y reviendrai.

Quoique formidable, mon congé n’a pas été de tout repos. J’avais rapidement délaissé deux projets que je pensais mener à bien, mais au début de septembre 2019, je m’affairais à échafauder au moins trois grands projets de recherche, dont une série de livres. À la fin de mon congé, j’étais administrateur auprès de trois organismes à but non lucratif et d’un organisme provincial. La pandémie de COVID-19 avait déjà frappé, et je remerciais ma bonne étoile d’avoir tiré ma révérence à temps pour ne pas avoir à diriger ni à enseigner dans le chaos du printemps 2020.

Lorsque ma première année de congé s’est terminée, tout allait bien, et mon retour à la recherche s’était fait sans anicroche, même que j’avais soumis deux nouveaux articles à des revues. Cependant, je savais qu’il me restait du pain sur la planche : dans 12 mois, je serais de retour dans mon département, à enseigner à un groupe complet de personnes dont j’avais eu les parents comme étudiants avant de quitter l’enseignement à temps plein. Je devais monter de nouveaux cours (dont un cours magistral dans mon sous-domaine original, l’Angleterre des Tudor et des Stuart, que je n’avais pas donné depuis une vingtaine d’années) et deux séminaires.

Je n’étais pas effrayé par le travail, ni par les étudiants, ni par les montagnes de lectures à faire pour bâtir plusieurs cours à partir de zéro. Non, c’étaient les technologies qui me faisaient un peu peur – et je ne parle pas que de la perspective d’enseigner à distance si la pandémie ne se résorbait pas avant septembre 2021, mais bien de l’accumulation de technologies : plateformes d’apprentissage, PowerPoint, etc. Quand j’étais cadre, j’avais le luxe de pouvoir compter sur des gens pour m’aider. J’ai compris assez vite que mes nombreux acétates, soigneusement confectionnés et classés dans les années 1980 et 1990, ne me seraient d’aucun secours.

On m’a heureusement tendu la main. Mon excellent directeur de département a discuté plusieurs fois avec moi des matières que j’aimerais enseigner et des cours qui seraient les plus utiles au département. (Je précise que le fonds central de l’université couvre mon salaire jusqu’à ma retraite, après quoi je ne serai pas remplacé. C’est donc dire que je ne serai pas un fardeau financier… du moins pour mon département!) Plusieurs autres collègues, dont des directeurs des études de premier cycle et des études supérieures, m’ont conseillé sur des questions telles que les charges de lecture et la longueur des dissertations aux différents niveaux. J’ai eu tôt fait de constater qu’il existait un écart considérable entre ce qu’on me recommandait et les travaux de 15 à 25 pages que je faisais rédiger dans les années 1990. Ce changement reflète autant l’évolution de l’enseignement de l’écriture qu’un déclin des compétences en rédaction des étudiants (une réalité indéniable).

Je suis particulièrement reconnaissant envers les employés du département et de l’Université, surtout en ce qui concerne les fameuses technologies de l’information. L’an dernier, ils ont répondu avec patience et diligence à d’innombrables questions, qui portaient principalement sur nos différentes plateformes d’administration de cours (une pour l’enseignement, une pour l’inscription des notes, une pour la création de cours, etc.), mais aussi sur les paragraphes modèles à intégrer aux plans de cours, par exemple. Si ma première année s’est si bien déroulée, c’est en grande partie grâce à eux, et à notre directeur des études de premier cycle, qui a aussi été de bon conseil avec une ou deux affaires potentiellement épineuses concernant des étudiants.

Et l’enseignement, dans tout cela? Dans l’ensemble, les choses se sont plutôt bien passées pour une première fois, en dépit des allers-retours entre enseignement à distance et enseignement en personne imposés par la crise sanitaire. Comme recteur, je m’étais intéressé aux changements pédagogiques, et je savais que je ne devais pas me borner à enseigner exactement comme dans les années 1980 et 1990, mais entre la connaissance théorique d’une méthode et sa mise en application dans une classe, il y a un pas. Au bout d’un an, j’ai de toute évidence encore un peu de rattrapage à faire.

Cela dit, au crépuscule d’une carrière, une part de risque est permise. J’ai tenté une approche un peu plus expérimentale qu’au début de ma vie universitaire, j’ai donné à mes cours une touche de légèreté. Là où 25 ans auparavant, j’aurais opté pour un séminaire de trois heures dans le pur style socratique (et répondu à mes propres questions après de fréquents silences), je me suis senti plus libre de combiner exposés, discussions et travaux en groupe. Dans le cas d’un cours magistral que je donnais l’hiver à un groupe de taille moyenne, j’ai eu de bons résultats en divisant les étudiants en groupes assistés par un tuteur pour la deuxième des deux séances de 80 minutes par semaine (j’avais le luxe d’être assisté de trois auxiliaires), et ce, malgré le retour en présentiel décrété au beau milieu du trimestre. À l’automne, dans le cadre d’un séminaire destiné aux étudiants à la maîtrise et aux finissants du premier cycle, j’ai organisé une simulation qui a récolté un franc succès, et les absences étaient toujours rares.

Le plus difficile fut un « séminaire essentiel » d’historiographie (un sujet impopulaire et rarement facile pour les étudiants), un cours de deuxième année étalé sur deux sessions. Les capacités variaient énormément entre les étudiants les plus forts et ceux qui peinaient à lire, à écrire ou à prendre la parole… ou simplement à sortir du lit pour un cours donné les lundis à 8 h 30. J’apporterai assurément des changements à tous ces cours (somme toute, les commentaires des étudiants étaient bienveillants et très éclairants), et il se trouve que j’aurai à peu près la même liste l’an prochain.

J’ai toutefois eu droit à quelques surprises. Je ne m’attendais pas à devoir prendre autant de « mesures d’adaptation » et tenir compte de si nombreuses particularités chez les étudiants, ni à ce que le tout soit surveillé par des bureaux extérieurs à mon département. À titre de recteur, j’étais tout à fait sensible aux problèmes de santé mentale des étudiants (et je le demeure), mais j’ai parfois trouvé que l’on accordait une latitude quelque peu excessive pour des motifs plus ou moins sérieux. L’absentéisme posait des problèmes dans deux de mes trois cours, même lorsque des points étaient accordés pour la participation. J’ai aussi été frappé de voir à quel point les étudiants préféraient communiquer par courriel ou par Zoom plutôt que de se présenter au bureau du professeur (bien que j’aie beaucoup aimé bavarder avec ceux qui sont venus me voir); peut-être ont-ils été conditionnés par la période 2020-2021, où à peu près tout se faisait en ligne.

Comme je l’ai dit plus tôt, le calibre moyen d’écriture me semble vraiment avoir chuté pendant mon hiatus de 20 ans. Dans l’évaluation de mon cours de deuxième année, quelqu’un s’est plaint de l’attention que j’accordais à l’écriture par rapport aux « idées ». Qu’à cela ne tienne, je persiste et signe. Dans la version de l’an prochain, j’insisterai encore plus sur ce point, mais j’en expliquerai mieux l’importance dans le plan de cours. Si vos réflexions sur l’apport de Gibbon ou de Thucydide à la discipline historique m’intéressent, il demeure que vos futurs employeurs attacheront beaucoup plus d’importance à votre capacité d’organiser, d’exprimer et de défendre des arguments dans un langage clair.

Tout bien considéré, mon retour à l’enseignement s’est bien déroulé, et j’ai hâte de voir ce que la prochaine année universitaire me réserve; avec un peu de chance, et si le coronavirus le veut bien, l’enseignement virtuel et les masques seront choses du passé. Je trouve merveilleux de faire de nouveau partie d’un département, d’avoir une masse critique d’étudiants et de baigner réellement dans plusieurs projets de recherche. Bref, je me rappelle pourquoi, autrefois, j’avais voulu devenir universitaire. Peut-être a-t-on posé à tort l’impossibilité du retour…

De 2009 à 2019, Daniel Woolf a été le 20e recteur et vice-chancelier de l’Université Queen’s. Il est aujourd’hui professeur d’histoire et recteur émérite de cet établissement.

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