Prévenir l’Alzheimer : un carburant alternatif pour le cerveau commercialisé

Un chercheur de l’Université de Sherbrooke a mis au point un traitement inusité pour les troubles cognitifs légers, précurseurs de la maladie d’Alzheimer : un breuvage à base de corps cétoniques.

28 janvier 2021

Problèmes de mémoire, jugement amoindri, affaiblissement des capacités de réflexion : on estime que près d’un Canadien de plus de 65 ans sur cinq éprouve ces symptômes caractéristiques d’un trouble cognitif léger (TCL). À moyen terme, environ 50 pour cent développent une forme ou une autre de trouble neurodégénératif, le plus souvent la maladie d’Alzheimer.

Une boisson révolutionnaire à base de cétones, des composés dérivés des acides gras, pourrait cependant freiner l’altération des capacités cognitives dont ces personnes sont victimes et améliorer significativement leur qualité de vie. C’est du moins ce que laisse entendre une étude parue en octobre dernier dans les pages de la revue savante Alzheimer’s & Dementia.

L’essai clinique piloté par Stephen Cunnane, professeur-chercheur à l’Université de Sherbrooke et au Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSSS de l’Estrie – CHUS, démontre que la prise quotidienne de ce breuvage durant six mois améliore trois des cinq domaines de la cognition, soit les fonctions exécutives, la mémoire et le langage, chez des personnes atteintes de TCL par rapport à un groupe contrôle.

« Avec le vieillissement, le cerveau capte moins bien le glucose, ce qui a pour effet d’affamer ses neurones. Heureusement, il fonctionne comme une voiture hybride et peut carburer aux corps cétoniques lorsque son carburant principal, le glucose, vient à manquer », explique le chercheur.

La boisson, un lait écrémé émulsifié à base de triglycérides de chaîne moyenne (TCM) développé en partenariat avec l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels de l’Université Laval, permet donc de combler en partie le déficit énergétique des neurones, retardant ainsi leur mort éventuelle.

Stephen Cunnane, professeur-chercheur à l’Université de Sherbrooke. Photo par CIUSSS de l’Estrie – CHUS.

Une première

Stephen Cunnane et ses collaborateurs avaient déjà démontré, lors de travaux antérieurs, que le cerveau métabolise très bien les cétones d’origine exogène. Cette étude, le fruit de plus de 15 ans de recherche sur le sujet, est la première à établir un lien entre leur consommation sur une base régulière et les TCL.

Ses 83 participants, tous atteints de TCL, ont été recrutés dans la région de l’Estrie. De ce nombre, 39 ont bu 250 ml par jour – 125 ml le matin et 125 ml le soir – de la boisson cétogène pendant six mois. Les 44 autres ont quant à eux ingurgité un placebo au goût similaire, mais dénué de TCM.

Les cobayes ont en outre reçu comme consigne de ne rien modifier à leur diète. En dépit des quelque 200 kcal supplémentaires ingérées sur une base quotidienne, ils n’ont pas pris de poids, ce qui laisse penser qu’ils ont ajusté leurs apports alimentaires en conséquence.

« Au final, les participants qui ont consommé la boisson ont comblé le tiers du déficit énergétique de leur cerveau en glucose. Grâce à la neuroimagerie, nous avons pu observer les cétones être utilisées en temps réel pendant environ trois heures à la suite de l’ingestion de la boisson », indique M. Cunnane, qui souhaite allonger cette durée lors de futures recherches.

Fait important : plusieurs participants se sont plaints de maux de ventre, de loin l’effet secondaire le plus fréquent associé à la prise de la boisson cétogène. Cela n’a toutefois pas empêché la multinationale Nestlé Health Science de s’intéresser au projet en le finançant en partie.

Ce partenariat, rendu possible par TransferTech Sherbrooke, a surtout pavé la voie à la commercialisation d’une boisson similaire à celle utilisée dans le cadre de la recherche. Ledit produit, BrainXpert, est offert depuis peu en Europe et devrait l’être au Canada au courant du premier trimestre de 2021, « dès que Santé Canada l’aura homologué », confirme M. Cunnane.

Back to the future

Cette étude comporte malgré tout plusieurs limites méthodologiques, notamment en ce qui a trait à la petite taille de l’échantillon et sa courte durée, souligne Serge Gauthier, directeur de l’unité de recherche sur la maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées du Centre de recherche et d’études sur le vieillissement de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas.

Néanmoins, ce dernier se dit encouragé par ses résultats. « Stephen remet en évidence l’importance du métabolisme cérébral dans l’apparition des TCL et de la maladie d’Alzheimer, un rôle que les experts connaissent depuis plusieurs décennies, mais qu’ils avaient délaissé au fil du temps », analyse le scientifique, qui n’a pas pris part aux travaux du professeur Cunnane.

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