Regard sur la solitude et ses effets dévastateurs
Des chercheurs de nombreuses disciplines s’intéressent aux lourdes conséquences de la solitude sur la société.
Ce texte est un sommaire de l’article « Loneliness: the silent killer ».
On dit qu’elle tue en silence parce que ses effets ne sont pas immédiatement visibles et qu’on en parle peu. Pourtant, nous en avons presque tous souffert à un moment ou à un autre. Elle détruit les gens lentement, mais sûrement. Ce mal furtif, c’est la solitude.
Même si on sait depuis longtemps que la solitude est une cause de détresse psychologique, ce n’est qu’au cours de la dernière décennie que les chercheurs ont commencé à mesurer ses effets sur la santé physique – et le constat est accablant. En 2015, la professeure de psychologie Julianne Holt-Lunstad, de l’Université Brigham Young, a réalisé une méta-analyse de 70 études, qui révèle que le risque de mort prématurée associé au manque de liens sociaux équivaut à celui de fumer 15 cigarettes par jour, et qu’il dépasse même certains facteurs liés au mode de vie, comme l’obésité et la sédentarité. D’autres études récentes ont également permis de lier la solitude et l’isolement social à de multiples problèmes de santé, comme les infarctus, les AVC, la toxicomanie, l’alcoolisme, l’anxiété et la dépression.
Quelle est la prévalence de cette souffrance? Selon un rapport de 2014, environ la moitié des Canadiens de plus de 80 ans disent souffrir de solitude. Et ce sentiment ne se limite pas aux personnes âgées. Un sondage mené en 2016 auprès de 44 000 étudiants au pays a révélé que les deux tiers d’entre eux s’étaient sentis « très seuls » au moins une fois au cours des 12 mois précédents.
Le point de vue selon lequel la solitude est un enjeu de santé publique qui mérite une attention nationale et auquel l’État doit consacrer des fonds est largement accepté au Royaume-Uni. En janvier 2018, le gouvernement britannique est même allé jusqu’à nommer une ministre de la Solitude dans le cadre d’une stratégie de plusieurs millions de dollars visant à réduire le nombre de visites aux urgences et dans les cabinets médicaux causées par la solitude. Les médecins sont maintenant encouragés à « prescrire » des activités, comme la participation à un cours de cuisine, à un club de marche ou à un groupe d’art.
De nombreuses personnes soutiennent cette démarche. « Nous rendons un immense service à la société en abordant ouvertement le sujet », affirme Ami Rokach, psychologue clinicien et membre contractuel du corps professoral de l’Université York. M. Rokach se souvient qu’au moment où il a commencé à étudier la solitude dans les années 1980, ses collègues ne prenaient pas la chose au sérieux. « Ils ne comprenaient pas pourquoi ça m’intéressait. Ils se demandaient si ça me touchait personnellement. »
Les mentalités ont évolué depuis, si bien qu’aujourd’hui, la solitude intéresse des chercheurs de plusieurs disciplines, dont la sociologie, les neurosciences, la psychologie et la gérontologie. Malgré tout, selon M. Rokach, pour les gens qui souffrent de solitude, la honte demeure palpable. « Il s’agit d’un sentiment tenace. Les gens préféreraient admettre qu’ils sont schizophrènes plutôt que d’avouer se sentir seuls. »
M. Rokach croit que cette honte découle de l’idée voulant que la solitude soit synonyme d’échec personnel. Toutefois, les chercheurs sont d’avis que le sentiment de solitude n’est pas un défaut de la personnalité ni un signe de faiblesse, mais plutôt un mécanisme de défense, comme la faim ou la soif, qui nous pousse à rechercher la compagnie de nos semblables.
Pourquoi certaines personnes sont-elles plus susceptibles que d’autres de souffrir de solitude? La question demeure. Pour Andrew Wister, directeur du Centre de recherche en gérontologie de l’Université Simon Fraser, la complexité du sujet le rend difficile à étudier. C’est d’ailleurs ce qui expliquerait pourquoi tant de chercheurs canadiens étudient l’isolement social, surtout chez les personnes âgées, plutôt que de s’attaquer de front au concept de solitude.
Selon M. Wister, les types de solitude sont non seulement nombreux, mais leurs causes varient également d’un groupe à l’autre. Chez les adultes d’un certain âge, les déclencheurs sont souvent liés à la pauvreté ou à la marginalisation. Pour les personnes âgées, les problèmes physiques, comme la perte de mobilité ou les troubles cognitifs, sont aussi des facteurs de risque.
Chez les jeunes, toutefois, « la solitude est souvent le fruit de déceptions relationnelles », explique M. Wister. Facebook pourrait exacerber le problème, surtout chez ceux qui substituent les relations virtuelles aux contacts humains. La plateforme peut aussi créer l’illusion d’avoir beaucoup d’amis, alors qu’en réalité, bon nombre de ces relations sont très superficielles. Elle est également susceptible d’engendrer un sentiment d’échec chez les utilisateurs dont les amis étalent une vie en apparence beaucoup plus intéressante et trépidante que la leur.
David McConnell, chercheur à la Faculté de médecine de réadaptation de l’Université de l’Alberta, croit que l’incidence de la solitude et de l’isolement social au Canada progresse en raison du déclin du « capital social », un terme qui désigne les réseaux relationnels qui permettent à la société de fonctionner efficacement. « De nos jours, les gens sont moins susceptibles de compter sur le soutien de leurs voisins, ils se désintéressent du bénévolat et ont largement déserté les églises. »
M. McConnell souligne que la solitude a ceci d’insidieux qu’elle engendre un stress qui « diminue nos capacités à réguler nous-mêmes nos réactions émotionnelles ». Les personnes souffrant de solitude ont non seulement tendance à faire volte-face, mais aussi à se méprendre sur les intentions d’autrui et à se percevoir comme des victimes dans leurs tentatives ratées de tisser des liens. Autrement dit, la solitude peut pousser ceux qui en souffrent à se saboter eux-mêmes.
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