Vaincre la difficulté à formuler des questions de recherche

Un extrait du livre Encadrer aux cycles supérieurs: étapes, problèmes et interventions du professeur Christian Bégin.

21 novembre 2018

Fort de ses 20 ans à donner des ateliers de formation et des conférences sur l’encadrement aux cycles supérieurs, Christian Bégin, psychologue et professeur au Département de didactique de l’Université du Québec à Montréal, a couché sur papier de nombreux trucs destinés aux directeurs de recherche. Son livre Encadrer aux cycles supérieurs : étapes, problèmes et interventions, publié aux Presses de l’Université du Québec, vise à outiller les professeurs afin qu’ils puissent relever les différents défis inhérents au processus de formation et d’accompagnement d’étudiants à la maîtrise et au doctorat. Voici un extrait de ce qu’on trouve dans l’ouvrage de 440 pages :


J’aborde cet aspect [la difficulté de formuler des questions de recherche] de façon précise, même si le processus de détermination d’une question de recherche se fait habituellement dans une dynamique d’alternance entre les lectures et le questionnement qui se précise de plus en plus au fil de la démarche. Ce processus est d’ailleurs souvent décrit de cette façon dans les ouvrages portant sur la méthodologie de la recherche.

C’est un processus qui présente un défi important, parce que beaucoup d’étudiants n’ont jamais appris à analyser la matière ou les contenus à apprendre sous forme de questions et pour lesquelles ils devaient ensuite procéder à une démarche de recherche pour y répondre.

L’incapacité à formuler des questions

Certains étudiants ne parviennent pas à formuler une ou des questions à l’égard du sujet qui les intéresse. Ce qu’ils tirent de leur lecture constitue des constats et des affirmations qui ne les amènent jamais à vouloir aller plus loin dans leur compréhension de ce qui est écrit. Tel phénomène est causé par tel aspect, telle variable joue tel rôle, telle analyse donne tel résultat. Pour eux, l’exploration d’un phénomène consiste à faire des constats et trouver des réponses. Ils ne pensent pas « questionner » ces constats pour savoir pourquoi tel phénomène serait causé par tel aspect. Ils sont intéressés par les « réponses » concernant un sujet : « Je veux comprendre le développement de telle maladie »; « Je veux connaître tel mécanisme », « Je veux étudier tel phénomène ».

C’est la compréhension du phénomène ou la connaissance d’un mécanisme qui les intéresse au départ. Ils recherchent alors des « réponses » dans les lectures. S’ils veulent « comprendre » ou « connaître » en quoi ça consiste, quoi faire, comment intervenir, comment modifier les choses, etc., ils découvrent alors plusieurs raisons pour l’expliquer. Par exemple, si le sujet qui les intéresse vise un phénomène social et qu’ils veulent essayer de comprendre « comment ce phénomène social se développe » en approfondissant leur connaissance du sujet par les lectures, ils trouveront éventuellement un certain nombre de « réponses ». Ils trouveront alors que plusieurs facteurs sont en jeu, mais ne se poseront pas d’autres questions, et leurs questions seront résolues.

On voit apparaître cette difficulté à partir des réflexions qu’ils produisent (ou pas) à l’égard des lectures qu’ils ont à faire. L’absence de pistes à explorer, d’aspects intéressants qui pourraient être approfondis ou encore l’absence de formulation de questions précises par rapport à ce qu’ils notent est souvent un bon indice que les étudiants n’ont pas de questionnement.

On peut alors les aider à apprendre à se questionner en leur posant des questions sur ce qu’ils ont lu, afin de montrer que derrière les « réponses » qu’ils ont pu obtenir, se cachent peut-être d’autres questions. On peut faire participer l’étudiant en lui demandant d’exprimer à voix haute ce qui lui vient comme idée, et comment il établit les liens entre les éléments qu’on évoque. Pour que l’étudiant puisse développer sa capa­cité à trouver des questions de recherche, il faut qu’il soit amené à le faire le plus souvent possible, particulièrement au début du processus. Plus il formulera des questions par rapport aux contenus de ses lectures, plus il développera cette approche pour analyser les situations, plutôt que de considérer qu’il s’agit simplement de faits et de « vérités ».

On peut aussi décrire la façon avec laquelle on « trouve » soi-même des questions qu’on peut leur proposer. Il s’agit d’exprimer à voix haute les réflexions et les liens qu’on peut faire et comment on en vient à se poser une question ou à déterminer un élément qui peut faire l’objet d’une recherche. Parfois, cette formulation de nos propres questions peut déclencher chez lui un intérêt pour un aspect auquel il n’avait pas pensé.

Un questionnement qui définit trop d’objets

Personnellement, c’est probablement la situation la plus fréquente que j’ai rencontrée. C’est une situation un peu paradoxale, parce que la question s’exprime à partir d’une situation réelle très concrète et peut sembler claire et précise à l’étudiant, mais la question elle-même ne permet pas de préciser des objets à étudier.

Contrairement à la difficulté précédente, les étudiants formulent des questions, mais celles-ci ont tendance à prendre la forme des « pourquoi » des jeunes enfants dans une séquence sans fin. Leur question n’aide pas à déterminer un aspect particulier à approfondir par rapport à leur sujet d’origine, mais chaque élément de réponse à une question devient la source d’un nouvel objet d’étude. Pourquoi cette situation ? Parce que telle variable ou tel facteur serait en jeu… Pourquoi ce facteur est-il en jeu ? Les écrits disent que c’est en raison du contexte… Pourquoi ce contexte fait-il cet effet ? Parce qu’il a certaines caractéristiques… Pourquoi a-t-il ces caractéristiques ? Chaque question menant à d’autres lectures, qui mènent à d’autres « réponses », qui mènent à d’autres questions… Comme les jeunes enfants, ils superposent des pourquoi auxquels ils font eux-mêmes la recherche de réponses, mais ces nouvelles réponses les dirigent vers de nouveaux pourquoi.

L’étudiant parvient à définir des aspects qui peuvent être pertinents, mais il perd de vue l’idée de départ. S’il tente d’y revenir, il en revient à son questionnement du début. Il sait reconnaître un certain nombre de facteurs impliqués dans la situation ou le sujet qui l’intéresse, mais il ne sait pas comment mettre en lien ces facteurs avec son objet et il cherche plutôt à définir ou à approfondir chacun des facteurs.

Le rôle du directeur de recherche est alors très important. Il doit aider l’étudiant à analyser la situation pour en faire ressortir les éléments qui pourront être étudiés. Le questionnement et les échanges avec l’étudiant doivent se faire tôt pour l’amener à comprendre comment on peut circonscrire, dans un sujet, les pistes à explorer pour le préciser et en arriver à un sujet qui puisse être étudié.

Habituellement, dans les ouvrages méthodologiques portant sur le processus de recherche (qui traitent notamment de la façon de « préciser » le sujet), on évoque bien l’importance de se documenter sur le sujet en général, pour trouver des pistes à explorer de façon plus précise. L’expérience que j’ai, particulièrement avec les étudiants à la maîtrise, est que ce processus peut rarement se faire de façon complètement autonome sans l’aide du directeur de recherche. On peut le concevoir au doctorat, mais là aussi l’accompagnement du directeur est facilitant pour éviter que l’étudiant ne dépense du temps et de l’énergie à chercher des pistes qu’il ne trouve pas.

Une façon de procéder pour le faire sortir de cette séquence de questions consiste à lui demander de cerner le facteur, la condition, le contexte, le concept qui fait l’objet de sa préoccupation. Il ne s’agit pas de déterminer tout de suite une question, mais de commencer par définir quelles sont les composantes de cet objet, de ce contexte, afin de faire ressortir un ou quelques éléments qui sont à approfondir. Il ne s’agit pas de poser la question « pourquoi », mais « qu’est-ce qui explique », « qu’est-ce qui manque », « qu’est-ce qui influence », etc. L’usage du schéma comme moyen d’illustrer les relations entre les éléments et d’illustrer ce qui peut faire défaut sur le plan des relations entre ces éléments aide parfois aussi à faire ressortir un sujet ou une question d’intérêt. Personnellement, je procède le plus souvent moi-même à la structuration du schéma de ce que l’étudiant me dit ou m’explique, pour éviter qu’il n’ait à gérer les deux tâches en même temps, soit de m’exprimer sa pensée et de tenter de la transposer dans un mode graphique.

Ce travail avec l’étudiant a le grand avantage de l’amener à faire lui-même la réflexion pour délimiter les aspects qui l’intéressent. Il s’approprie donc plus rapidement et plus profondément le sujet qu’il délimite, mais c’est une démarche qui demande un certain temps.

L’attente des « bonnes » réponses

Beaucoup d’étudiants vont considérer notre point de vue comme étant « la vérité », et ils peuvent adopter une approche passive dans l’attente que nous leur indiquions ce qu’ils doivent penser et comment ils doivent interpréter les choses. À cet égard, les étudiants sont très nombreux à considérer nos questions comme étant des « tests », ou encore qu’il y a une bonne réponse derrière la question. Même si la démarche vise à connaître leur opinion, à les amener à faire des hypothèses ou encore à exprimer les interprétations qu’ils peuvent avoir, s’ils pensent qu’il y a une « bonne » réponse, ils vont tenter de la trouver ou dirons qu’ils ne savent pas, plutôt que d’exprimer leur avis.

J’ai réalisé que souvent, les commentaires ou les précisions qu’on peut apporter diminuent les initiatives de l’étudiant et la liberté qu’il se donne de remettre en question le processus à suivre. Il risque de laisser de côté son questionnement en attendant que vous lui fournissiez les réponses.

Je suggère de lui demander de justifier, d’expliquer ou de donner l’origine de sa réflexion avant d’indiquer ce que vous en pensez. On peut être tenté de réagir tout de suite et de donner notre avis, ou encore de faire connaître notre opinion avant de demander la sienne. Évidemment, si vous voulez accélérer le processus, vous aurez avantage à adopter une approche plus directive parce que cette démarche requiert parfois un certain temps avec des étudiants. C’est une façon d’aborder les choses que l’étudiant gagne toutefois à acquérir pour être plus autonome, lorsqu’il devra diriger lui-même le processus, une fois son diplôme obtenu.

Christian Bégin (2018). Encadrer aux cycles supérieurs : étapes, problèmes et interventions, Québec (Québec), Presses de l’Université du Québec. Extrait reproduit avec autorisation.

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