Confinement : Obéir ou désobéir aux règles et demandes des autorités?
Il faut une crise sans précédent comme celle que nous traversons pour bien saisir la nécessité de respecter les lois, non seulement par obligation, mais d’abord parce que c’est justifié et raisonnable, voire salutaire pour soi-même et pour tous.
Depuis l’éclosion de la COVID-19 et suivant sa propagation fulgurante on a l’impression que beaucoup de Canadiens respectent scrupuleusement les exigences exceptionnelles de confinement et se plient aux mesures d’hygiène prescrites. En même temps, on s’aperçoit aussi que certains individus désobéissent délibérément — sans remords et sans états d’âme — aux recommandations prescrites par les gouvernements et les directions de santé publique. Chacun a pourtant entendu les mises en garde répétées sur les risques de contamination involontaire et les enjeux liés à ces mesures exceptionnelles.
Cette situation dérangeante — et parfois inquiétante — du non-respect des directives des autorités devrait nous amener à réfléchir à un concept central de l’autorité, non seulement du point de vue du droit mais également de celui de la science politique.
À quelle autorité obéirons-nous tous?
Qui peut légitimement exercer l’autorité? L’autorité fait partie de ces concepts fondamentaux qu’on retrouve dans plusieurs disciplines, notamment en philosophie politique mais également en éducation à la citoyenneté et en communication politique. La raison paraît simple: pour que la cohésion sociale puisse exister, l’instance qui exerce l’autorité doit être reconnue et acceptée de tous, et inversement, tous doivent sentir que cette autorité est fondée et légitime.
Les lois et les corps de police sont des instances de l’autorité que nul ne saurait ignorer. Or, on constate — et c’est particulièrement le cas dans des situations extrêmes — que si les autorités traditionnelles (les parents, les dirigeants, les patrons) ne réussissent pas à persuader de manière unanime toute la population, on trouvera d’autres figures d’autorité qui peuvent exercer cette même influence sur les individus en apparence récalcitrants. Autrement dit, il existe toujours des figures d’autorité reconnues, mais celles-ci ne sont pas toujours les mêmes pour tous. C’est pourquoi certains s’en remettront plutôt aux autorités religieuses, et d’autres aux membres de leur famille immédiate (les parents, les aînés) ou à leurs proches. Inversement, certaines personnes très âgées se fieront à leurs enfants pour savoir comment agir ou quoi penser.
C’est ce qu’explique une théorie célèbre en communication politique : le modèle de la « Two-Step Flow of Communication » ou, si l’on veut, la théorie de la communication à double étage, initialement formulée par Paul Lazarsfeld et Elihu Katz dans leur livre Influence personnelle : ce que les gens font des médias. En résumé, cette théorie affirme simplement que beaucoup d’individus font davantage confiance à leurs proches qu’ils côtoient quotidiennement plutôt qu’aux médias ou aux autorités. C’est pourquoi au Québec, dès le début de la crise, le Premier Ministre François Legault avait fait appel à de jeunes influenceurs présents sur les réseaux sociaux afin de cibler et de convaincre les adolescents et les jeunes adultes du bien-fondé des mesures exceptionnelles de confinement. Par ailleurs, le Gouvernement du Québec a également fait appel à des figures populaires connues plus âgées (comme Bernard Derome et Dominique Michel) sans doute pour relayer le même message à une autre tranche de la population. Toutes ces personnalités servaient alors de « relais » pour promouvoir « la bonne cause », dans un effort de persuasion basé sur la raison.
Quelques lumières sur l’autorité
Il existe une longue tradition de réflexion sur l’autorité. En philosophie politique, on se réfère habituellement à Montesquieu, l’auteur de De l’esprit des lois (1748), qui affirmait que la liberté consistait à pouvoir faire tout ce qui n’était pas interdit par les lois. Mais alors, pourquoi obéir aux lois si l’on renonce, ce faisant, à sa liberté individuelle?
Quelques années plus tard, dans son ouvrage sur Le Contrat social (1762), Jean-Jacques Rousseau expliquait que la sécurité de tous, garantie par l’autorité suprême de l’État, ne peut seulement exister et fonctionner que si tous les citoyens se soumettent aux lois. Ainsi, le « contrat social » apparaît comme un échange tacite où l’obéissance de chacun est négociée contre la protection de tous au moyen de règles généralisées et justifiées, censées préserver et cimenter le peuple.
Mais en ce siècle tourmenté où l’on entend plus souvent parler de désobéissance civile que d’obéissance civile, on tendrait presque à confondre le respect des règles avec la soumission, la servilité, l’effacement, le ploiement, le conformisme, et la compromission. Ce serait faire fausse route. Il faut une crise sans précédent comme celle que nous traversons pour bien saisir la nécessité de respecter les lois, non seulement par obligation, mais d’abord parce que c’est justifié et raisonnable, voire salutaire pour soi-même et pour tous. D’autres affirmeront que le confinement est la seule solution afin d’enrayer rapidement la propagation de la COVID-19. Il faut bien le reconnaître : quand aucun remède n’est au point, la prévention reste la seule solution possible, à condition de ne pas être déjà atteint du virus sans le savoir.
Que retenir?
D’abord que pour être acceptée, l’autorité doit sembler légitime, c’est-à-dire à la fois logique (ou rationnelle), bien fondée, raisonnable et équitable (c’est-à-dire la même pour tous). Car la désobéissance et les exceptions des uns créent chez les autres « bons citoyens » un sentiment d’injustice, d’iniquité; les exceptions dérangent car la majorité a l’impression que certaines personnes peuvent échapper aux contraintes qui sont, au départ, imposées à tous. Il va sans dire que les individus peuvent toujours accepter des exceptions qui seraient justifiées par le bon sens (par exemple pour les services essentiels). Autrement dit, l’obéissance de chacun garantira la sécurité de tous; au contraire, la désobéissance de quelques-uns risquerait d’entraîner l’effondrement de tous les efforts qui ont précédé.
Même dans Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry donnait l’occasion au personnage du roi d’une toute petite planète de formuler sa propre théorie de l’autorité et de la cohésion sociale, présentée solennellement à son seul sujet, le Petit Prince : « L’autorité repose d’abord sur la raison. Si tu ordonnes à ton peuple d’aller se jeter à la mer, il fera la révolution. J’ai le droit d’exiger l’obéissance parce que mes ordres sont raisonnables. »
Détenteur d’un doctorat en sociologie et d’un post-doctorat en communication politique, Yves Laberge est sociologue à l’Université d’Ottawa. Il est aussi membre chercheur régulier du Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté (Centr’ÉRE – UQAM) et membre du comité scientifique de sept revues universitaires, dont la revue Éducation relative à l’environnement.
Postes vedettes
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
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