Le monde de l’après-COVID-19 aura besoin de diplômés en beaux-arts

Les programmes de beaux-arts sont et resteront des incubateurs essentiels pour les créateurs de demain.

09 juillet 2020

Comme le premier ministre Justin Trudeau l’a mentionné lors de son point de presse du 15 avril : « En ces moments anxiogènes, les artistes continuent à nous faire réfléchir, à nous faire rêver et à mettre un peu de soleil dans nos quotidiens. » Il a raison. Les arts sont importants, en particulier durant une pandémie. La COVID-19 a d’ailleurs prouvé qu’ils sont une nécessité sociale, car la créativité est toujours porteuse d’espoir.

Mais où et comment forme-t-on les artistes? Dans les écoles primaires et secondaires, bien sûr, mais surtout dans les nombreux établissements postsecondaires du Canada qui offrent les programmes de beaux-arts essentiels à la formation d’une nouvelle génération de créateurs.

Une formation en beaux-arts, que ce soit en musique, en théâtre, en danse, en création littéraire, en arts visuels ou en histoire de l’art et arts visuels, n’est pas toujours bien perçue. L’utilité sociale et la viabilité financière des arts sont souvent sous-estimées. Cette perception est pour le moins erronée : le secteur culturel canadien génère plus de 700 000 emplois et des retombées économiques directes de près de 60 milliards de dollars.

En écrivant des romans, en sculptant, en créant de l’art numérique et en composant de la musique, nos étudiants acquièrent des compétences transférables qui s’avéreront essentielles en temps d’incertitude. L’innovation et la faculté d’adaptation font partie intégrante d’une formation en beaux-arts. Le milieu artistique a d’ailleurs été l’un des premiers à se tourner vers le numérique après la vague d’annulations de spectacles, de concerts, de lectures, d’expositions et d’événements et conférences du secteur culturel.

Ici, à la Faculté des beaux-arts de l’Université de Victoria, nous enseignons à nos étudiants à aiguiser leur sens critique et leur créativité, à résoudre des problèmes et à s’adapter rapidement au changement. Et dans bien des cas, cet apprentissage se fait devant un public. Lorsqu’on joue dans une pièce de théâtre et qu’une panne soudaine du système sonore se produit ou qu’on oublie la prochaine réplique, il faut pouvoir réagir rapidement, malgré la pression. Le spectacle, de toute évidence, doit continuer.

Avec la fin abrupte du dernier trimestre, la plupart des étudiants n’ont pas pu terminer leurs projets de création comme prévu. J’ai été ravie, mais non étonnée, de voir nos étudiants finissants s’adapter à la pandémie en enregistrant leurs récitals ou en présentant leurs expositions en ligne. Certains ont contribué à revoir la fonction de nos équipements, par exemple en utilisant nos machines à coudre pour fabriquer des masques, et nos imprimantes 3D pour faire des visières dans le cadre d’une initiative de l’Université de Victoria.

Pour bâtir une organisation ou une entreprise, il faut une combinaison d’efforts individuels et de travail d’équipe. L’apprentissage du piano ou de n’importe quel autre instrument exige de la volonté et de la discipline. Faire partie d’un orchestre, d’un ensemble de jazz ou d’une chorale cultive la capacité d’écoute, et procure une forme de satisfaction unique aux réalisations collectives. La poésie est porteuse d’émotions et d’idées. Elle repose sur la précision et le pouvoir des mots, et prépare admirablement aux carrières où les communications doivent être écrites de façon méticuleuse et réfléchie.

Illustration by Paul

Entrepreneurs créatifs

Des emplois attendent-ils les diplômés en beaux-arts? Peut-être. Comme c’était le cas avant la pandémie. Certains de nos diplômés travailleront dans le secteur des arts, et d’autres suivront une autre voie. Tous, cependant, auront été bien outillés par leur formation, car nous apprenons aux étudiants à être des entrepreneurs créatifs et à générer leurs propres occasions. Nous leur enseignons l’importance de la pensée créative qui s’avère tout aussi essentielle en ce moment que pour l’avenir.

Je me dis souvent que la Faculté des beaux-arts devrait être rebaptisée Faculté de l’engagement social. Comme ils le font depuis des millénaires, les artistes continueront de répondre aux catastrophes sociales par des performances, des peintures, des films, des récits et des activités muséologiques nous invitant à réfléchir entre autres aux répercussions personnelles et collectives de la pandémie actuelle. De nombreux étudiants en beaux-arts ont déjà des idées plein la tête.

La recherche et les activités d’engagement social créatives et liées aux Autochtones que mènent actuellement bon nombre d’étudiants en beaux-arts promettent de tisser des alliances interculturelles et de décoloniser les établissements universitaires. Leurs œuvres, en plus de mettre en lumière les répercussions de la pandémie chez les populations issues de la diversité, contribueront à éliminer le racisme systémique.

Les diplômés en beaux-arts nous transmettront non seulement de nouveaux modes de création artistique en ligne, mais ils nous aideront aussi à explorer le potentiel d’un recours accru aux technologies interactives dans la société grâce à leurs compétences en design et à leur inventivité. La diffusion en continu de spectacles, de concerts et d’expositions deviendra-t-elle la norme? Il est trop tôt pour le dire, mais les artistes de la génération COVID-19 y seront bien préparés.

Alors que nous devrons attendre septembre pour savoir ce qu’il adviendra des études postsecondaires en beaux-arts (assisterons-nous à la naissance d’orchestres en ligne ou de pièces de théâtre sur Zoom?), nous ne découvrirons que plus tard l’ingéniosité artistique dont les étudiants d’aujourd’hui feront preuve dans le monde de l’après-COVID-19. Je suis persuadée que les écoles de beaux-arts du pays resteront des incubateurs essentiels pour les créateurs de demain, dans le milieu des arts et ailleurs.

Allana Lindgren est doyenne par intérim de la Faculté des beaux-arts de l’Université de Victoria.

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