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À mon avis

Pandémie : les femmes font moins de recherche que les hommes

Les mères ressentent la pression de devoir à la fois travailler et assumer la plupart des tâches parentales.

par MEGAN FREDERICKSON | 20 MAI 20

Cet article a été publié à l’origine sur le site Web La Conversation. Lisez le texte original.

Avant la pandémie, je me sentais souvent comme le chat dans « Le chat dans le chapeau ». Je tenais une tasse, du lait, un gâteau et un petit bateau jouet, tout en rebondissant sur un ballon.

Je suis professeure dans une université et chercheuse. J’ai un laboratoire, des bourses et des étudiants diplômés. J’écris des articles universitaires, j’enseigne et je suis en train d’écrire un livre.

Je suis aussi une maman. Alors, je fais la cuisine, du ménage et je prends soin de mon enfant.

Avant la pandémie, j’en avais déjà plein les bras et je me demandais ce qui finirait par me faire perdre pied. Jamais je n’aurais pensé que ce serait un virus, encore moins un virus que je n’ai pas contracté.

Depuis 62 jours, je passe mes journées chez moi avec mon merveilleux conjoint et notre adorable fils de six ans. Je dirais que j’ai travaillé de la maison, sauf que c’est très difficile de faire de la recherche avec un enfant de six ans dans les pattes, à moins de l’installer devant un écran. Je sais, j’ai de la chance d’avoir encore un emploi et une famille en bonne santé, mais la Covid-19 fait des ravages.

Je trouve ironique que ce soit un virus qui ait quasiment mis sur pause mon travail de recherche, étant donné que j’étudie les microbes, même s’il s’agit de « bons » microbes qui profitent à leur hôte.

Les mères à bout de souffle

De nombreuses mères universitaires que je connais – et certains pères aussi – ressentent une grande pression, et nous ne sommes pas les seules. Les écoles et les services de garde étant fermés dans bien des endroits, beaucoup de parents ont du mal à travailler de la maison avec efficacité.

Mais c’est peut-être plus difficile pour les femmes, surtout si elles sont les principales responsables de l’éducation des enfants, de l’enseignement à domicile ou d’autres soins pendant cette pandémie.

Même si les femmes se partagent la charge des enfants à parts égales avec un conjoint (comme c’est le cas chez moi), nous demeurons en concurrence avec de nombreux hommes qui ont beaucoup moins de tâches domestiques. Une étude scientifique a révélé qu’il y a quatre fois plus d’hommes que de femmes qui vivent avec un conjoint qui ne travaille qu’à temps partiel ou pas du tout. Et ça, c’était avant que des femmes perdent leur emploi en plus grand nombre que les hommes à cause de la Covid-19.

Analysons les données

La scientifique en moi se demandait si je pouvais mesurer les effets de la pandémie sur la productivité des chercheurs hommes et femmes. Il est peut-être encore trop tôt pour les constater, car la recherche et l’évaluation par les pairs prennent généralement des mois, voire des années. Mais un nombre croissant de scientifiques téléchargent leurs manuscrits soumis ou en cours de rédaction sur des serveurs de prépublication (plateformes pour les articles qui n’ont pas encore fait l’objet d’une évaluation par les pairs), ce qui signifie qu’il pourrait être possible d’analyser l’effet de la pandémie sur la productivité en recherche en temps réel.

En tant que femme dans les STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques), je suis particulièrement intéressée par les incidences de la pandémie sur ces domaines. J’ai téléchargé les données de soumission d’arXiv et de bioRxiv. Ces deux serveurs de prépublication couvrent largement la biologie, les mathématiques, la physique et l’informatique. J’ai ensuite déduit le sexe des auteurs de l’étude à l’aide d’un progiciel. Bien qu’elles ne soient pas parfaites, des approches de ce type sont souvent utilisées pour mesurer les préjugés sexistes dans les grands ensembles de données.

J’ai constaté que le nombre d’études en prépublication faites par des hommes augmente actuellement plus vite que celles effectuées par des femmes. Ainsi, les femmes progressent moins, en moyenne, que les hommes dans leurs recherches pendant la pandémie.

Conclusions préliminaires

Certaines disparités entre les sexes sont modestes, de l’ordre d’un ou de deux pour cent. Évidemment, le sexe est loin d’être la seule variable qui influence la productivité de la recherche pendant la pandémie.

Mon analyse est publiée sur GitHub – n’ayant pas été évaluée par des pairs, elle n’est que préliminaire.

J’ai envisagé d’en faire un manuscrit officiel, mais je ne peux me permettre de consacrer du temps à un projet parallèle. Et d’ici à ce que j’aie de nouveau du temps libre en plus de m’occuper de mon fils, quelqu’un m’aura probablement devancée.

Il y a de fortes chances que ce soit un homme.

Des solutions ?

Un journaliste de Nature m’a demandé si j’entrevoyais une solution, et honnêtement, je n’ai pas su quoi répondre. Je crois fermement que la décision de rouvrir les écoles et les garderies doit être fondée sur la science, et nous ignorons pour l’instant si les enfants sont d’importants vecteurs de la Covid-19.

Il est notoire que les disparités entre hommes et femmes dans le domaine des soins aux enfants et du travail domestique sont lentes à changer et qu’elles survivront presque certainement à cette pandémie. Comme l’a écrit récemment une journaliste du New York Times, de nombreux « hommes sont d’accord avec l’égalité des sexes, mais ils ne passent toujours pas l’aspirateur ».

Il incombe aux universités et aux organismes de financement de s’occuper des effets sexospécifiques de la pandémie sur la recherche universitaire. L’Université de Harvard a offert de l’argent pour des gardiennes à ses professeurs qui ont des enfants, mais la garde d’enfant n’est pas vraiment compatible avec la distanciation physique.

Les universités pourraient traiter la pandémie comme une sorte de congé parental pour leurs employés parents de jeunes enfants, mais il arrive que les hommes bénéficient plus que les femmes de ce type de politique favorable à la famille. Je ne sais pas quoi recommander d’autre et je doute qu’il existe des solutions faciles.

Pour l’instant, je vais faire de mon mieux pour remonter sur mon ballon et voir si je peux continuer à jongler. Je demeurerai consciente de ma chance, car quelques articles en moins, ce n’est rien comparé aux vies et aux moyens de subsistance perdus à cause de la Covid-19. Mais une partie de moi se demandera toujours quelles découvertes des femmes scientifiques auraient pu faire sans cette pandémie et à quel point cela aura freiné les avancées durement acquises par les femmes dans le domaine des STIM.

Megan Frederickson est professeure associée d’écologie et biologie à l’Université de Toronto.

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