Professeur émérite et historien des idées à l’Université McGill, Marc Angenot a bonifié ce qui, au départ était une conférence sur le religieux au Québec, afin de proposer un impressionnant tour d’horizon sur la foi, la piété et les croyances au Québec. Ce livre (En quoi sommes-nous encore pieux ?) est l’occasion de réfléchir en toute connaissance de cause aux nombreux concepts de sécularisation, laïcité, pratiques et signes religieux.
D’emblée, M. Angenot puise dans différentes disciplines les notions pour comprendre la prise de distance, parfois apparente, d’une partie des sociétés occidentales face au religieux. À l’inverse, l’auteur se penchera aussi sur le phénomène de la persistance du religieux dans toutes ses dimensions, apparentes ou subtilement cachées. Il ne s’agit pas ici d’aligner les opinions du genre « Moi je pense que… », mais bien d’analyser ce phénomène complexe en convoquant de nombreux penseurs méconnus.
Plusieurs questions de départ sont lancées pertinemment, à savoir « à quoi croient les incroyants? » ou encore « qu’est-ce qui reste quand les humains en société ne croient plus? ». Quelques concepts de base, souvent perçus comme étant « à géométrie variable », sont d’abord définis et articulés comme les différentes formes de sécularisation, l’anomie, le désenchantement du monde. Ainsi, le professeur note en guise d’illustration de la sécularisation que depuis plus d’un siècle, l’enseignement, la gestion de la santé publique et les activités caritatives sont passés des mains des institutions religieuses à celles du secteur privé, ou de l’État. D’autres manifestations — et mutations — du religieux sont examinées, comme les religions séculières (ou les religions politiques comme le marxisme-léninisme) ou, de façon plus optimiste, les mouvements inverses, comme un hypothétique « réenchantement du monde ».
Plusieurs passages méritent d’être cités, car l’auteur a un sens indéniable de la formule. Dans la section centrale, M. Angenot parle « d’une coupure récente majeure dans le temps historique », voire même de la « désagrégation du croyable » pour expliquer que désormais beaucoup de citoyens ne croiront plus en rien. Mais est-ce vraiment le cas? Sources à l’appui, l’auteur rappelle qu’il existe 2000 groupes religieux au Québec seulement, ce qui illustre la prolifération de « religions à la carte » convenant à de petits groupes. Non seulement sous forme de sectes, mais sous plusieurs autres formes, ces regroupements visent à défendre une cause ou à permettre à ses membres de s’identifier à un mouvement, qu’il s’agisse du New Age ou de tout autre mouvement social pouvant être considéré comme parareligieux. Actuellement, des mouvements écologistes ou environnementalistes peuvent parfois être compris comme étant quasi-religieux, dans la mesure où ceux-ci sont millénaristes, sacralisent la Terre et annoncent une forme prochaine d’apocalypse d’ici l’an 2100. Pour M. Angenot, ces mouvements verts ne sont pas forcément dénués de sens ni de pertinence sociale, mais il en montre les parallèles avec les formes religieuses plus classiques des siècles précédents.
Érudition, pertinence, clarté, concision, transdisciplinarité : En quoi sommes-nous encore pieux ? est un véritable modèle d’exposé savant qui instruira le non-initié voulant comprendre notre présent commun, voire même, notre avenir à tous. Chose rare : après en avoir terminé la lecture, on aurait envie de le relire. Auteur efficace et grand pédagogue, Marc Angenot nous livre ici une belle démonstration de ce que les sciences humaines et sociales peuvent apporter de meilleur pour nous aider à mieux comprendre notre monde et ses paradoxes apparents.