Alors qu’octobre marque le mois de l’histoire LGBTQ, deux chercheuses reviennent sur leur rapport La violence sexuelle subie par les universitaires du Québec issus des minorités sexuelles et de genre et les pratiques de prévention et d’intervention, rendu public au printemps dernier. Celui-ci découle de l’Enquête Sexualité, Sécurité et Interactions en Milieu universitaire (ESSIMU), que la professeure Geneviève Paquette de l’Université Sherbrooke avait piloté au niveau local en 2016. « Lorsqu’il est venu le temps d’exploiter ces données, c’était clair qu’il y avait quelque chose à faire par rapport aux communautés LGBTQ+ », raconte la psychoéducatrice. Celle-ci, qui s’intéresse à la violence sexuelle, a donc recruté Alexa Martin-Storey, professeure au même département, spécialiste des questions de genre et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la stigmatisation et le développement social.
L’utilisation secondaire de l’ESSIMU a d’abord mené à la publication de deux articles exploitant les données quantitatives. Le premier a montré que ces communautés vivaient davantage de violence sexuelle (47 % des étudiant.e.s universitaires qui s’identifiaient comme personne transgenre ou non binaire avaient subi du harcèlement sexuel, et 21 %, des contacts sexuels non désirés). Le deuxième a démontré que ces groupes minoritaires vivaient plus de symptômes post-traumatiques. « On a alors voulu explorer les récits récoltés dans le cadre d’ESSIMU », explique Mme Paquette.
La violence sexuelle « se définit comme un acte sexuel commis par une personne envers une autre personne sans le consentement libre et éclairé de la victime ou à l’endroit d’une personne incapable de consentir ou de refuser l’acte sexuel », décrit le rapport. ESSIMU divise la violence sexuelle en trois catégories : le harcèlement sexuel, les comportements sexuels non désirés, et la coercition sexuelle.
Raconter le vécu des victimes
La recherche avait deux objectifs : documenter les expériences de violence sexuelle en milieu universitaire subies par ces étudiant.e.s grâce à une analyse thématique des récits, et relever les mesures de prévention mises en place en milieu universitaire et les meilleures pratiques.
Les chercheuses ont analysé 223 récits de personnes fréquentant les six universités participantes à l’ESSIMU en plus de sonder 33 milieux d’enseignement supérieur au Québec sur leurs pratiques. « Ce n’est pas un échantillon représentatif, tient à préciser Mme Paquette, mais ça donne un premier portrait plus sensible et qualitatif du quotidien de ces personnes ». Sa collègue ajoute que « les études quantitatives ne nous renseignent pas sur les mécanismes et les types de vulnérabilité ». L’analyse des récits a ainsi permis de mieux connaître les formes que prenaient les violences sexuelles, et la façon dont les étudiant.e.s comprennent le risque et font des liens entre leur identité et leurs expériences de violence sexuelle.
Violence et homophobie/transphobie
Le rapport révèle tout d’abord un chevauchement entre les violences sexuelles et l’homophobie/la transphobie. Or, les personnes touchées expliquent la plupart des violences par un manque d’éducation. « Elles sont habituées de composer avec le fait qu’elles soient différentes et que ça pose toute sorte de problèmes dans leur insertion sociale », confie la professeure Paquette. Si le discours populaire laisse entendre que les personnes issues de minorités sexuelles et de genre sont trop sensibles, les chercheuses constatent plutôt que celles-ci doivent constamment s’adapter et font preuve d’une grande résilience.
Les formes de violence sexuelles vécues sont donc spécifiques à ces communautés minoritaires, et sont souvent mal connues dans les universités et les collèges. « Ils se font souvent déplacarder sans leur consentement », donne comme exemple Mme Paquette.
Peu de programmes spécifiques
Les chercheuses ont recensé, parmi les 19 programmes de prévention de la violence sexuelle qui s’adressent aux étudiant.e.s des campus, 13 qui proposaient des contenus adaptés ou pouvant être adaptés pour être inclusifs.
Très peu de programmes d’intervention s’adressent spécifiquement à cette population, et les intervenants sont aussi encore trop peu formés aux réalités des personnes LGBTQ+ en lien avec la violence sexuelle. « Les personnes sont ʺtannéesʺ d’expliquer et d’éduquer les intervenants. Le milieu universitaire et collégial doit former ses intervenants », souligne Mme Paquette.
Prévention et inclusion
Le rapport émet plusieurs recommandations autour de six axes : ajustement des politiques institutionnelles; environnement inclusif et sécuritaire; prévention et sensibilisation; éducation et formation; ainsi qu’intervention et recherche.
Parmi les recommandations, les chercheuses prônent l’inclusion de ces personnes dans les comités de suivi des politiques. « Les écouter reste la meilleure façon de voir où sont les problèmes », souligne Mme Paquette. Les auteures recommandent également l’utilisation de matériel pédagogique qui inclut ces communautés, de même que l’usage d’un langage épicène. « C’est important pour les minorités sexuelles et de genre, mais aussi parce que les violences ne sont pas toujours faites par les hommes cis et reçus par les femmes cis. Tout le monde est potentiellement vulnérable », note la professeure Martin-Storey.
À l’Université de Sherbrooke, le rapport a été bien reçu, et une politique sur la violence sexuelle a été élaborée en collaboration avec les personnes des organisations concernées. « Ça se travaille depuis un certain temps », relate Geneviève Paquette.
Les établissements d’enseignement supérieur ont toutefois encore beaucoup de travail à faire. À titre d’exemple, ce n’est que depuis récemment que le milieu universitaire permet l’utilisation du prénom d’usage. D’autres améliorations pratiques doivent être mises en œuvre, comme l’aménagement physique de vestiaires ou de toilettes non genrées. Parce qu’offrir un espace sécuritaire est bénéfique pour tous les étudiants, pas seulement pour les personnes des communautés LGBTQ+.