Immigration étudiante : Ottawa promet un meilleur encadrement 

Face à une hausse sans précédent du nombre d’étudiants internationaux et à des cas de fraude croissants, le gouvernement fédéral ajuste sa politique migratoire et resserre les règles du Programme des étudiants étrangers.

19 juin 2025
Ministre fédérale de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté Lena Diab. Photo courtoisie du Bureau de la ministre Lena Diab

Alors que le gouvernement fédéral s’apprête à revoir ses cibles d’immigration pour les prochaines années, les étudiantes et étudiants internationaux s’invitent au cœur des réflexions.  

Les consultations qui se tiendront cet été en vue de l’élaboration du plan triennal canadien en matière d’immigration serviront aussi à orienter les politiques fédérales touchant les étudiantes et étudiants internationaux, a fait savoir la ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Lena Metlege Diab. 

« Le système doit être équilibré en fonction du nombre de personnes présentes au pays – et la population étudiante internationale constitue assurément une grande part des résidentes et résidents temporaires », a-t-elle affirmé en entrevue.  

La ministre a précisé que les établissements d’enseignement postsecondaire, de même que les associations étudiantes, seront appelés à se prononcer dans le cadre de ces consultations, menées principalement avec les provinces, conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

Pour la ministre Diab, la réflexion entourant l’accueil des étudiantes et étudiants internationaux dépasse la seule gestion migratoire. 

« Il y a bien sûr une dimension humaine, mais aussi un enjeu économique », a-t-elle souligné. « De nombreuses provinces et régions comptent sur la présence étudiante étrangère pour soutenir leur développement, et cherchent à travailler de concert avec le gouvernement fédéral. Elles veulent s’assurer que ces jeunes sont bien encadrés. » 

Elle rappelle toutefois que cet équilibre doit aussi répondre aux attentes de la population canadienne : « Les citoyens souhaitent un système d’immigration qui soit durable à long terme. » 

Le 27 mai dernier, lors du discours du Trône prononcé par le roi Charles III, le gouvernement de Mark Carney a réitéré son intention de rétablir la confiance du public à l’égard du système d’immigration, en misant sur un meilleur contrôle des volumes. 

Dans cette optique, Ottawa prévoit d’instaurer des plafonds pour limiter le nombre d’étudiantes et d’étudiants internationaux, ainsi que celui des travailleuses et travailleurs temporaires, de manière à ce qu’ils ne représentent pas plus de 5 % de la population canadienne d’ici 2027. 

Tout en cherchant à réduire la pression sur les infrastructures et les services publics, le gouvernement entend poursuivre l’attraction de talents internationaux afin de stimuler la croissance économique. Une ambition déjà mise en avant dans la lettre de mandat du premier ministre, où Mark Carney s’engageait à ramener les niveaux globaux d’immigration à des seuils jugés viables. 

Une croissance démographique « sans precedent » 

Selon Mme Diab, le Canada a connu, au cours des deux dernières années, une poussée migratoire sans précédent. « Jamais je n’avais observé une hausse aussi marquée du nombre de personnes arrivant au pays — que ce soit pour étudier, travailler temporairement, obtenir l’asile ou accéder à la résidence permanente », a-t-elle déclaré. 

En 2023, Statistique Canada a rapporté que la population canadienne avait atteint 40 millions de personnes, à la suite d’une croissance sans précédent de 1,1 million l’année précédente, « en majeure partie des [immigrantes et] immigrants permanents et temporaires ». À la mi-juin 2025, la population du pays était estimée à 41,7 millions de personnes. 

Entrée au Cabinet à la suite des élections du 25 avril, Mme Diab reconnaît que cette forte croissance démographique exerce une pression importante sur certains secteurs, notamment le logement :« Il nous fallait impérativement revoir notre approche. C’est pourquoi le Plan des niveaux d’immigration présenté l’an dernier prévoit une réduction graduelle du nombre d’admissions, tant temporaires que permanentes, pour les prochaines années. » 

Selon des données d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) de 2024, le nombre d’étudiantes et d’étudiants internationaux au pays a presque doublé en cinq ans, passant de 567 000 à plus d’un million de personnes. Entre 2022 et 2023 seulement, la hausse s’est portée à plus de 200 000 personnes, représentant, selon le ministère, « la plus forte augmentation annuelle » de l’histoire du Programme des étudiants étrangers. 

En septembre dernier, le ministère a annoncé une baisse du nombre de permis d’études octroyés, soit une réduction de 10 % par rapport à la cible de 2024 (485 000), c’est-à-dire un plafond de 437 000 permis pour 2025. 

La Nouvelle Écosse est une « province de l’éducation » 

Avant son entrée sur la scène politique fédérale à titre de députée d’Halifax-Ouest pour le Parti libéral lors des élections de 2021, la ministre Diab a représenté pendant près de huit ans une circonscription d’Halifax à l’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse. Lors de son mandat, elle a notamment été ministre de l’Immigration pour le gouvernement libéral néo-écossais; à l’époque, la situation en matière d’immigration étudiante était « tout à fait opposée » à celle d’aujourd’hui, rappelle-t-elle. 

« Je voulais attirer les étudiantes et étudiants, les inciter à venir, étudier et rester ici », se souvient celle qui a aussi été ministre de l’Enseignement supérieur vers la fin de sa carrière en politique provinciale. « Dans les provinces plutôt petites, comme la mienne, nous devions composer avec un déficit et nous avions vraiment besoin de la communauté étudiante, pour tout plein de raisons. » 

Elle a qualifié la Nouvelle-Écosse — où l’on trouve un peu plus d’un million de personnes et 10 universités — de « province de l’éducation », tant pour le reste du pays que pour les étudiantes et étudiants internationaux. 

Toutefois, la ministre, avocate de formation et titulaire d’une maîtrise en administration publique de l’Université Dalhousie à Halifax, a affirmé qu’au cours des dernières années, beaucoup d’étudiantes et étudiants internationaux « se sont fait exploiter » au Canada. 

La lutte contre la fraude est une priorité 

« Il y a eu beaucoup de problèmes dans le système de visa quant aux demandes étudiantes et aux formalités administratives, et c’est pourquoi mon prédécesseur [Marc Miller] a dû faire le nécessaire pour assurer l’intégrité du Programme des étudiants étrangers », a expliqué la ministre. 

Des pratiques douteuses ont été révélées en 2023 et 2024, notamment l’utilisation de lettres d’acceptation falsifiées par des consultants en immigration mal intentionnés. Ces documents, présentés comme émis par des établissements canadiens, servaient à obtenir des permis sans que les candidats aient réellement été admis. 

Pour renforcer l’intégrité du système, Ottawa oblige depuis le 1er décembre les établissements d’enseignement désignés (EED) à vérifier chaque lettre d’acceptation jointe à une demande. Ces institutions doivent aussi produire des rapports prouvant que les étudiantes et étudiants internationaux poursuivent effectivement leurs études. 

À peine un mois après l’entrée en vigueur de cette mesure, le système avait déjà permis d’identifier 1 813 lettres d’acceptation potentiellement frauduleuses, sur un total de 60 887 demandes examinées. 

La ministre Diab évoque un climat préoccupant : certains établissements privés ont profité de la situation pour recruter agressivement à l’étranger, exiger des frais de scolarité élevés, puis offrir des services éducatifs bien en deçà des attentes, voire inexistants. Ces pratiques ont été dénoncées dès janvier par les gouvernements de l’Ontario et de la Colombie-Britannique, qui ont promis de sévir contre ce que la ministre ontarienne Jill Dunlop a qualifié de « mauvais acteurs ». 

Dans la foulée, de nouvelles règles ont été annoncées en novembre par l’ancien ministre de l’Immigration. Les étudiantes et étudiants internationaux qui souhaitent changer d’établissement doivent désormais faire une nouvelle demande de permis d’études, et attendre qu’elle soit approuvée avant de procéder au transfert. En parallèle, les établissements qui ne respectent pas leurs obligations de vérification ou qui omettent de transmettre les rapports exigés risquent des sanctions pouvant aller jusqu’à une interdiction temporaire d’accueil, pour une durée maximale d’un an. 

« Ces ajustements visent à restaurer la confiance dans le système », affirme Mme Diab. « Ils doivent permettre aux Canadiennes et Canadiens, mais aussi aux étudiants étrangers, de se sentir en sécurité et protégés contre les abus. » 

Difficultés accrues, revenus inférieurs 

En parallèle, le gouvernement fédéral a adopté en 2024 de nouvelles exigences financières qui compliquent l’accès aux études au Canada. Le seuil minimal à démontrer pour le coût de la vie — hors frais de scolarité et de déplacement — a plus que doublé, passant de 10 000 à 20 635 dollars. 

Le ministère a également mis fin au Volet direct pour les études, un programme lancé en 2018 pour accélérer le traitement des demandes provenant de 14 pays, dont l’Inde, la Chine, le Brésil et le Pakistan. 

Ces restrictions ont eu des répercussions directes sur les revenus des universités canadiennes, qui dépendent en partie des droits de scolarité versés par les étudiantes et étudiants internationaux. Lorsqu’on lui demande si le gouvernement fédéral pourrait soutenir financièrement les établissements, la ministre rappelle que l’éducation postsecondaire relève des compétences provinciales. En 2023, les transferts provinciaux représentaient à peine plus du tiers du financement total des établissements, selon Statistique Canada. 

Mme Diab précise néanmoins qu’elle siège au Comité permanent de la science et de la recherche de la Chambre des communes, qui a recommandé en décembre dernier une réforme du Fonds de soutien à la recherche. L’objectif : mieux appuyer les établissements de petite et moyenne taille, notamment les collèges, dans la prise en charge des coûts indirects liés à la recherche. 

Malgré les tensions entourant la gestion de l’immigration étudiante, Lena Metlege Diab se veut rassurante. Elle réaffirme la valeur de la contribution des étudiantes et étudiants internationaux au tissu social et universitaire du pays. 

« J’ai souvent été surnommée “la mère” par certains d’entre eux, parce que j’ai toujours défendu leur cause avec passion, surtout en Nouvelle-Écosse », confie-t-elle. 

« Le Canada reste un pays accueillant, conclut-elle. Nous voulons que ces jeunes vivent ici une expérience enrichissante, à la hauteur de leurs attentes. »