La réconciliation avec les Premières Nations passe par l’université

Les universités québécoises s’efforcent depuis quelques années d’améliorer leur accueil des étudiants autochtones, mais surtout de reconnaître leurs savoirs et de les inclure dans leurs programmes et activités.

12 novembre 2020

Au Québec, la mort de Joyce Echaquan, une femme atikamekw, dans des conditions troublantes dans un hôpital de Joliette a relancé le débat sur la discrimination envers les Autochtones. Dans une vidéo filmée par Mme Echaquan peu avant son décès, on entend des membres du personnel de l’institution y aller de propos racistes et dégradants à son encontre.

Hugo Asselin, directeur de l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, s’attriste de voir ce genre de situation se répéter et constate que les Québécois et les membres des Premières Nations se connaissent encore très mal. « En général, on entend parler des Autochtones seulement sous l’angle des conflits, des drames ou des problèmes sociaux, déplore-t-il. Donc, on ne connaît pas beaucoup leur culture et leurs savoirs. L’université est bien positionnée pour générer un dialogue enrichissant entre les deux communautés. »

Le Centre des Premières Nations Nikanite de l’UQAC, auparavant le Centre d’études amérindiennes, offre des programmes et des services aux étudiants autochtones qui cheminent à l’université. Photo de UQAC.

Favoriser l’accès et la réussite

De nombreux obstacles entravent l’accès des Autochtones aux universités. L’aide financière offerte par le gouvernement fédéral et les conseils de bande reste souvent insuffisante, surtout lorsque ces étudiants doivent s’exiler pour étudier. C’est d’autant plus difficile qu’ils sont généralement plus âgés que la moyenne des étudiants et que plusieurs assument des responsabilités familiales. La pénurie de logements qui sévit dans plusieurs villes québécoises leur complique également la vie. Certains retirent leur demande d’admission, faute de pouvoir se loger.

« Plusieurs d’entre eux vivent aussi un puissant choc culturel en déménageant dans un milieu très urbain comme Montréal et se sentent isolés, privés du soutien de leur famille et de leur communauté, ce qui peut même mener à des problèmes de santé mentale », concède Manon Tremblay. Elle-même d’ascendance crie, elle occupe depuis novembre 2019 le poste de directrice principale des directions autochtones à l’Université Concordia.

Cet établissement s’est doté en avril 2019 d’un plan d’action ambitieux pour rééquilibrer ses relations avec les communautés et peuples des Premières Nations. Elle a déjà accordé un plus grand rôle aux Autochtones dans sa gouvernance et poursuit son travail pour décoloniser ses programmes, améliorer ses mesures d’accompagnement, appuyer les employés autochtones ou encore aligner la recherche sur les attentes des peuples autochtones. « Je supervise et participe activement à la réalisation de ce plan, avec le concours d’un conseil directeur entièrement constitué de membres des Premières Nations », explique Mme Tremblay.

Les curriculums et les manières d’enseigner et de faire de la recherche à l’université peuvent d’ailleurs rendre plus difficile la réussite des étudiants autochtones. « Les méthodes scientifiques de l’université peuvent différer des formes autochtones de production de la connaissance, souligne M. Asselin. Ces étudiants ne veulent pas tourner le dos à leurs approches traditionnelles et vivent un conflit de valeurs. » Il ajoute que ces établissements gagneraient à améliorer la reconnaissance des acquis des Autochtones. Ceux-ci peuvent détenir des compétences et des savoirs liés à leur domaine d’étude qui sont issus de longues années de pratique, mais qui ne sont pas sanctionnés par des diplômes.

Intégrer les réalités autochtones

Le 29 septembre, un jour après la mort de Joyce Echaquan, l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) a publié son Plan d’action sur le racisme systémique et la discrimination. Le document invite différents secteurs de la société, comme celui de l’éducation, à poser des gestes concrets pour améliorer les relations avec les peuples autochtones. L’APNQL énumère quatre recommandations pour notamment améliorer les programmes universitaires et ajouter des volets sur les vérités historiques et actuelles sur le génocide des Autochtones. L’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue a immédiatement annoncé son appui « sans réserve » à ce Plan d’action tandis que le recteur de l’Université de Montréal a signalé son soutien via Twitter.

 

Plus récemment, le Conseil en Éducation des Premières Nations (CEPN), appuyé par une vingtaine d’universitaires signataires, s’est adressé au premier ministre François Legault pour réclamer une meilleure formation des futurs enseignants face aux réalités et à l’histoire des communautés autochtones du Québec. Le CEPN a appuyé les recommandations du Plan d’action, notamment celle portant sur l’importance « d’inclure, en collaboration [avec] les autorités autochtones et les différents corps professionnels, un volet sur les Premières Nations et les Inuit du Québec dans les parcours de formations collégiales et universitaires menant à une pratique professionnelle ».

Lieu de rencontre

« En général, ils parlent d’abord une langue ancestrale et le français ou l’anglais constitue leur deuxième langue, donc ils peuvent avoir besoin de soutien sur ce plan », ajoute Francis Verreault-Paul, chef des relations avec les Premières Nations au Centre Nikanite de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) depuis janvier dernier.

M. Verreault-Paul est issu de la communauté innue de Mashteuiatsh, sur la rive ouest du Pekuakami (lac Saint-Jean), où il a étudié jusqu’en secondaire 3. Ce détenteur d’un baccalauréat en psychologie de l’Université McGill souligne l’importance de l’aide psychosociale. Le Centre Nikanite en offre par exemple sous la forme de cercles de partage, auxquels participent des étudiants, mais aussi des aînés autochtones. « On doit adapter l’accompagnement en fonction de leur culture », insiste M. Verreault-Paul. L’UQAC compte environ 470 étudiants autochtones, dont un tiers à son pavillon de Sept-Îles.

L’ouverture des universités aux Autochtones ne doit par ailleurs pas se cantonner à la question de l’accès, croit Carole Lévesque, professeure titulaire à l’Institut national de la recherche scientifique et responsable du réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones DIALOG. « On compte déjà un bon nombre d’Autochtones dans ces institutions, mais ils sont éparpillés entre plusieurs secteurs, souvent dans des programmes de certificats liés à leur emploi, rappelle-t-elle. Il faut dépasser ce stade et créer des conditions pour avoir plus de chercheurs universitaires autochtones. »

Le réseau DIALOG vise la coconstruction et la mobilisation des connaissances. Ses membres sont des chercheurs, des étudiants ou leaders et des intervenants et intellectuels autochtones. « Notre dénominateur commun n’est pas la recherche universitaire, mais la connaissance, souligne Mme Lévesque. Nous souhaitons que les savoirs autochtones rencontrent les savoirs scientifiques et que les peuples des Premières Nations reprennent leur place au cœur des enjeux de la société. »

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