« Le nord est encore perdant » : les contrecoups de la fermeture du programme de formation des sages-femmes de l’Université Laurentienne
« Si ce programme n’avait pas été offert dans […] le Nord de l’Ontario, nous ne serions pas devenues sages-femmes », dit une diplômée.
Le 12 avril, la petite communauté soudée du programme de formation des sages-femmes de l’Université Laurentienne a appris avec stupéfaction que la direction de l’établissement dissolvait son programme, ainsi que près de 70 autres, en anglais et en français, et éliminait environ 100 postes de professeur afin de rétablir sa situation financière. La nouvelle a surpris non seulement par l’ampleur des compressions, mais aussi parce que le programme de formation des sages-femmes roulait toujours au maximum de sa capacité et recevait annuellement un million de dollars du gouvernement provincial.
Selon les professeures, les étudiantes et les diplômées, il jouait également un rôle indispensable pour la prestation de services de santé essentiels dans une région de la province souvent négligée. La plupart des sages-femmes du Nord de l’Ontario proviennent de la région et ont fréquenté l’Université Laurentienne, selon Kirsty Bourret, ancienne professeure.
Au dire de Mme Bourret, les professeures et étudiantes s’inquiètent de la possibilité que plus aucun programme bilingue de formation des sages-femmes ne soit offert dans le nord de la province, même si Ross Romano, ministre ontarien des Collèges et Universités, a affirmé plusieurs semaines après les compressions que le maintien de cette formation dans la région était une priorité pour son gouvernement.
Les étudiantes actuelles pourront poursuivre leurs études à l’Université McMaster ou à l’Université Ryerson, qui offrent également la formation en anglais. Toutefois, les anciens professeurs « ne peuvent pas faire le pied de grue » en attendant qu’un autre programme soit mis sur pied dans le nord. « Nous avons tous besoin de travailler […] et les deux autres universités acceptent les étudiantes, mais ne recrutent pas de nouveaux professeurs », explique Mme Bourret. Celle-ci est chercheuse auxiliaire au centre de recherche en maïeutique de l’Université McMaster et entamera bientôt des travaux de recherche postdoctoraux. Au lieu d’enseigner, elle se concentrera donc sur la recherche. « Je vais étendre mon expertise en recherche et si je trouve un meilleur emploi ailleurs dans le monde, je partirai, tout simplement, déclare-t-elle. Cela m’attriste vraiment, mais je dois passer à autre chose. »
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Kim Cloutier Holtz comprend la nécessité des soins offerts par les sages-femmes dans le Nord de l’Ontario. Née et ayant grandi dans la région, elle a étudié à l’Université Laurentienne. En tant que sage-femme praticienne à New Liskeard, une ville située à environ deux heures de route au nord de North Bay, elle voit le travail que font les diplômées dans la région. « Les sages-femmes de Timmins, de Hearst, de Kenora, de Thunder Bay, de Sudbury, de North Bay, bref, du Nord de l’Ontario proviennent de l’Université Laurentienne », affirme-t-elle.
En tant que francophone, Mme Cloutier Holtz a choisi de fréquenter l’Université Laurentienne parce qu’elle souhaitait étudier dans sa langue, près de chez elle. Le seul autre programme francophone de formation des sages-femmes au Canada n’est pas une option pour les Franco-Ontariennes; il est offert à l’Université du Québec à Trois-Rivières et ses diplômées ne peuvent travailler qu’au Québec. « Bon nombre de mes collègues et moi ne serions pas devenues sages-femmes si le programme n’avait pas été offert à Sudbury, dans le Nord de l’Ontario, près de notre collectivité », précise-t-elle.
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Pour diverses raisons, il est difficile pour les Ontariens du nord d’aller étudier dans le sud, et il est très peu probable qu’une diplômée du sud décide de venir vivre et travailler à Timmins, à Cochrane ou à Iroquois Falls, selon Mme Cloutier Holtz. Les répercussions seront énormes dans le Nord de l’Ontario — « une région où les services sont déjà limités » — si aucun programme de sages-femmes n’est rétabli.
Chantal Longobardi, qui a travaillé comme doula en Alberta avant de déménager à Sudbury avec sa jeune famille, devait décrocher son diplôme de sage-femme dans un an. Déterminée à l’obtenir, elle est loin d’être heureuse de devoir le faire ailleurs qu’à l’Université Laurentienne. Elle explique que la communauté du programme est petite, tout comme l’université elle-même. « Nous nous connaissons toutes. Les compressions ont donc beaucoup de répercussions », dit-elle.
L’année n’a pas été facile pour les étudiantes. Au début de la pandémie, les stages ont été suspendus. Ils ont ensuite repris avec des mesures préventives additionnelles. Toutefois, pour obtenir leur diplôme à temps, Mme Longobardi et les autres membres de la cohorte ont dû enchaîner les stages. Elle a donc dû passer plusieurs semaines loin de ses deux enfants, sans pouvoir les visiter en raison des restrictions sanitaires liées à la COVID-19. De plus, les étudiantes n’ont pas pu se soutenir entre elles en personne et se retrouvent maintenant séparées à la fin de cette année difficile.
L’Université Laurentienne était un choix bien réfléchi pour Mme Longobardi – francophone et métis, elle voulait pouvoir tisser un lien avec la terre, la culture et la langue de ses ancêtres anishinaabe dans l’exercice de son métier. « Le nord regorge de possibilités, affirme-t-elle. Évidemment, l’accessibilité aux moyens de contraception et aux services de santé reproductive est limitée [dans le Nord de l’Ontario], particulièrement pour les femmes autochtones, racisées et de la collectivité LGBTQ, mais les sages-femmes savent offrir de bons soins. La perte du programme est donc particulièrement fâcheuse et signifie que le nord est une fois de plus perdant. C’est une nouvelle très difficile à avaler. »
« Notre travail est très exigeant. Ce n’est pas une profession choisie à la légère, mais un appel auquel on répond parce que la demande est criante, explique Mme Longobardi. Les intérêts des sages-femmes doivent constamment être défendus – les droits des femmes, les droits des sages-femmes, leur présence dans le milieu médical. En ce qui concerne le choix de fréquenter l’Université McMaster ou l’Université Ryerson, l’important, c’est de poursuivre mon chemin. La profession m’appelle, et je ne m’arrêterai pas. »
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