Université Laurentienne : que reste-t-il des deux dernières années?
Les leçons apprises sont multiples, mais assurer une bonne gouvernance des universités demeure en tête de liste.
Lorsque l’Université Laurentienne de Sudbury a fait appel à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) le 1er février 2021, plusieurs ont fait référence au « canari dans la mine », celui qui annonce une catastrophe. Deux ans plus tard, la crise qu’a traversée l’université nord-ontarienne expose plusieurs constats qui pourraient servir à solidifier le milieu universitaire canadien.
L’insolvabilité de la Laurentienne reste pour l’instant un cas exceptionnel et isolé en ce qui a trait à sa situation financière, mais aussi en ce qui concerne ses relations avec ses professeur.e.s et le gouvernement ainsi que l’état de sa gouvernance. Sur ce dernier point, elle semble avoir rappelé qu’un conseil des gouverneurs — ou tout conseil d’administration — doit être solide, encadré, entraîné et assemblé de façon réfléchie pour être à la hauteur de la tâche.
« De notre côté, une des leçons [qu’on tire] est d’avoir un sous-comité de la gouvernance du conseil qui joue bien son rôle dans l’identification et les recommandations pour des membres du conseil des gouverneurs qui ont des expertises complémentaires. Des gens qui n’ont pas peur de poser des questions », indique le recteur de l’Université de Moncton, Denis Prud’homme.
L’avocat spécialisé en gouvernance et président du conseil d’administration du Collège Langara à Vancouver, Michal Jaworski, rappelle que le rôle du conseil des gouverneurs d’une université est différent de celui d’un conseil d’administration des autres secteurs. « Les gens qui viennent du secteur privé dans une université ne voient pas les choses de la même façon. Alors, trouver des façons de les éduquer les aidera à se conformer à leurs responsabilités fiduciaires », dit-il.
Pour illustrer la complexité du rôle, l’avocat fait allusion à l’adage « nose in, fingers out ». « La difficulté pour un membre de conseil est de savoir quand se mêler de quelque chose, combien d’information aller chercher, comment l’obtenir de l’administration pour être capable de la superviser correctement et tenir l’établissement responsable », élabore Me Jaworski avant d’ajouter que de l’autre côté, le même conseil doit savoir quand il faut laisser l’administration faire son travail.
Le rapport du Nous Group sur la gouvernance à l’Université Laurentienne a relevé plusieurs lacunes dans le recrutement et dans la piètre diversité des connaissances des membres du conseil des gouverneurs. Pour éviter ce genre de problème, Me Jaworski affirme qu’il faut créer une matrice des habiletés recherchées. Celle-ci peut être modifiée selon les projets en cours, comme avoir un membre avec de l’expérience en construction si vous comptez construire de nouveaux édifices.
Le professeur en administration de l’enseignement supérieur à l’Université de Montréal, Alexandre Beaupré-Lavallée, est d’accord. « Ça te prend des hard nosed une fois de temps en temps dont le seul travail est de poser les questions que les autres ne peuvent pas se permettre de poser. » Pour les questions financières, les gens d’affaires sont souvent efficaces.
Il ne faut pas négliger toute la structure qui entoure un conseil des gouverneurs, prévient M. Beaupré-Lavallée. « Le premier signe qu’une organisation va mal, c’est la dégradation des communications. C’est un des signes les plus visibles », dit-il. Pour que toutes les entités responsables de la gestion puissent faire leur travail, ça prend de la transparence. « La minute qu’il y a un accroc dans la transparence, le risque augmente. »
La Laurentienne est, pour lui, un exemple de ce qui peut arriver lorsqu’une des parties décide de retenir de l’information.
Réinvestir dans l’éducation postsecondaire
Malgré son unicité, la crise de la Laurentienne demeure « un cas révélateur d’un problème structurel », prévient Normand Labrie, professeur de l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario de l’Université de Toronto.
« L’Ontario est la province qui investit le moins per capita dans le financement gouvernemental des universités. On est une province très riche, en même temps, on n’investit pas adéquatement dans l’éducation postsecondaire », soutient-il avant de souligner que depuis 20 ans, les coûts de gestion augmentent, mais pas le financement gouvernemental.
Dès les premiers mois de la crise de la Laurentienne, Dr Prud’homme prévenait que l’Université de Moncton pourrait être le prochain établissement en difficulté si rien n’était fait.
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Il a depuis constaté que certains gouvernements ont pris conscience de la fragilité des établissements en milieu minoritaire. « Le gouvernement provincial [Nouveau Brunswick] cette année nous a accordé 1,5 % [d’augmentation de notre budget]. Ce qui est tout près du double de la moyenne des 20 dernières années, indique-t-il. Les gouvernements sont peu conscients qu’on a une marge financière très étroite. »
La décision du gouvernement fédéral d’investir des millions de dollars pour les universités francophones en milieu minoritaire a également été un baume pour l’établissement acadien, comme pour d’autres. L’université francophone du Nouveau-Brunswick recevra 21 millions de dollars sur trois ans qui lui permettront de mettre à jour son offre de cours en ligne.
Ce n’est par contre qu’une solution à court terme. « Je continue à dire qu’il faut que le gouvernement fédéral nous octroie du financement [d’opération] qui est indexé à l’inflation pour assurer la vitalité financière des établissements francophones hors Québec. Il faut que les gouvernements provinciaux acceptent ce principe-là également, que le fédéral ait le droit d’investir pour soutenir les communautés, c’est une obligation par la Loi sur les langues officielles », rappelle Dr Prud’homme.
Le nez dans les livres
Le professeur Labrie ne serait pas surpris de voir les gouvernements provinciaux augmenter leur surveillance des universités dans les années à venir. En Ontario par exemple, le rapport annuel 2022 de la vérificatrice générale contenait un Audit de l’optimisation des ressources : Gestion financière des universités de l’Ontario.
« Le fait qu’il y ait eu des audits comme ça, c’est une espèce d’intention gouvernementale de regarder ce qui se passe dans les universités. Ça ne règle pas nécessairement le problème […] Ça démontre une intention du gouvernement de contrôler davantage comment les universités sont administrées », estime M. Labrie. Plus de supervision n’est pas garante d’une meilleure formation, prévient-il.
M. Beaupré-Lavallée croit aussi que le gouvernement ontarien — et peut-être ceux d’autres provinces — voudra surveiller la gestion des universités de plus près. Il espère cependant que le niveau de contrôle n’augmentera pas de façon excessive. Des expériences passées ont démontré que l’innovation et la qualité du milieu de travail diminuent rapidement lorsqu’on impose trop de restrictions.
Quant à elle, Sue Wurtele, présidente de l’Union des associations des professeurs des universités de l’Ontario (OCUFA), espère surtout que le gouvernement ontarien réfléchira davantage avant d’agir. « Le gouvernement a vraiment besoin de mieux comprendre et reconnaître les conséquences de ses actions. »
Elle rappelle que la vérificatrice générale de l’Ontario a confirmé dans son Rapport spécial sur l’Université Laurentienne que la décision du gouvernement de Doug Ford de réduire les droits de scolarité de 10 % à compter de l’année 2019-2020, et ce, sans remplacer le financement perdu était l’une des causes qui ont provoqué l’effondrement des finances de la Laurentienne.
Si la surveillance est appelée à s’accroître dans le milieu universitaire, MM. Beaupré-Lavallée et Labrie ainsi que Mme Wurtele estiment que les lois et règlements qui peuvent assurer une bonne gouvernance et une bonne gestion existent déjà, il faut simplement les appliquer diligemment.
Ne pas oublier l’autre élément de gouvernance
Mme Wurtele se range du côté de ceux qui affirment qu’un conseil d’administration solide est essentiel. À son avis, tant le nombre que le type de griefs déposés par l’Association des professeures et professeurs de l’Université Laurentienne (APPUL) — dont le nombre est monté en flèches à partir de 2016 — auraient dû inquiéter le conseil. « Ça vous indique que la relation entre les deux est tendue. »
Elle ajoute que le sénat d’une université bicamérale doit lui aussi être efficace. Mme Wurtele constate une diminution de l’importance accordée aux sous-comités financiers au sein des sénats ontariens. Ce type de sous-comité se penche sur les décisions concernant les programmes sous un angle financier. « Ce que l’on voit de plus en plus dans les sénats, c’est une détérioration de cette lentille financière et la présomption que ça relève du conseil des gouverneurs. Quand vous faites cela, ce n’est pas étonnant de se retrouver dans une situation où les conséquences financières de l’expansion de l’offre de formation ne peuvent pas être adéquatement et complètement observées. »
Se méfier des consultants trop « enthousiastes »
La vérificatrice générale de l’Ontario indique dans son rapport spécial que la direction et l’administration de l’Université Laurentienne ont été poussées vers l’utilisation de la LACC par des consultants et des avocats externes « très enthousiastes d’essayer quelque chose de nouveau ».
Les administrations doivent-elles donc automatiquement se méfier des consultants externes? « Les consultants ce n’est pas mauvais en soi, mais il faut que ça reste une voix parmi d’autres », affirme M. Beaupré-Lavallée.
Les consultants peuvent se permettre de lancer des idées plus farfelues, plus osées. Mais ils ne doivent pas avoir le dernier mot, précise-t-il. « Si tu embauches des consultants pour faire ton travail, l’établissement est dans la merde. Parce que le consultant ne doit rien au conseil d’administration, ne doit rien à la direction, ne doit rien au sénat. » Cela dit, il n’a encore jamais rencontré un consultant mal intentionné.
Une analyse qui fait écho à celle du recteur de l’Université de Moncton qui croit aussi qu’il faut réduire au minimum le nombre de fois auxquels on leur fait appel et seulement pour des avis juridiques complexes, par exemple. Éviter de judiciariser les conflits permet aussi de mieux utiliser les fonds disponibles pour la gestion, soutient Dr Prud’homme.
Changer les lois
Le 1er février 2021, tout le monde a appris que la LACC s’appliquait aux institutions publiques, rappelle Me Jaworski. Depuis, plusieurs projets de loi ont été lancés pour, peut-être, révoquer ce droit.
Le plus avancé d’entre eux est le projet de loi S-215 de la sénatrice franco-ontarienne Lucie Moncion — une diplômée de l’Université Laurentienne. En décembre 2021, elle reprenait le projet de loi déposé par l’ancien député fédéral de Sudbury qui visait à retirer aux universités la possibilité d’utiliser la LACC. Après des mois de négociation, le libellé du projet a changé.
« Ce que le projet de loi S-215 demande, c’est que le gouvernement fasse une consultation de toutes les parties prenantes et voir comment on pourrait apporter des changements à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi sur la faillite et l’insolvabilité afin de créer une disposition qui serait plus approprié pour les universités », explique la sénatrice.
Le travail de révision des différents comités est terminé pour le projet de loi et le sénat le révise en ce moment clause par clause, annonce la sénatrice. Elle s’attends à ce qu’il y ait d’autres modifications. Sa constitutionnalité a aussi été évaluée. Mme Moncion veut rencontrer le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, afin de confirmer qu’elle a son appui et celui du gouvernement avant d’aller plus loin.
En décembre 2022, c’était au tour du député fédéral de Timmins—Baie James, Charlie Angus, de déposer le projet de loi C-309 au parlement canadien. Son texte retirerait aux universités, aux collèges, aux conseils scolaires, aux municipalités et aux hôpitaux la possibilité d’utiliser la LACC.
L’inconvénient du projet de loi de M. Angus, avance la sénatrice Moncion, c’est qu’il n’offre pas de solution; c’est entre autres ce qui explique la modification apportée en cours de route au projet de loi S-215. Ce qu’elle propose pourrait même permettre au gouvernement « d’élargir [la consultation] aux municipalités, aux conseils scolaires et aux hôpitaux », défend-elle.
« Je suis allée rencontrer les recteurs et rectrices d’universités lorsqu’ils avaient une rencontre à Ottawa à l’automne. J’ai parlé à plusieurs. Il y en a qui étaient d’accord, il y en a qui n’étaient pas certains d’être d’accord avec le projet de loi », raconte-t-elle.
Malgré plusieurs appels, il n’a pas été possible de discuter de vive voix avec le député Angus au sujet de son projet de loi.
Pour France Gélinas, députée provinciale de Nickel Belt — la circonscription qui entoure celle de Sudbury — le projet de loi de M. Angus doit être adopté pour qu’une chose pareille ne se reproduise pas. « S’il ne passe pas, on va regarder ce que l’on peut faire juste en Ontario. Mais ce serait mieux que ça se fasse au niveau fédéral », affirme la députée néo-démocrate.
Mme Gélinas raconte avoir participé en août dernier à la réunion des comités de tous les vérificateurs généraux des provinces et territoires canadiens. « On avait un beau projet d’ordre du jour, mais tout ce qui a dominé pendant les trois jours à Ottawa, ça a été l’Université Laurentienne. Ils ont tous eu peur. Ils veulent tous que ça ne se passe pas dans leur province ou territoire. »
D’ailleurs, la résistance de l’administration de la Laurentienne face aux demandes de la vérificatrice générale pour avoir accès à des documents a mené à une révision de la Loi du vérificateur général de l’Ontario pour que son libellé n’ait plus qu’une seule interprétation possible.
Une pensée pour les francophones
La restructuration effectuée par la Laurentienne a fortement ébranlé la confiance de la population franco-ontarienne envers l’établissement. « Ce que les Franco-Ontariens en retirent, c’est que les universités bilingues, quand elles font face à l’adversité, on ne compte plus. On compte pour l’argent que le [gouvernement] fédéral leur donne, on compte pour l’extra qu’ils sont capables d’aller chercher du côté financier, mais nos besoins à nous, la vitalité de la francophonie, ça ne comptent pas », résume Mme Gélinas.
Le 20 janvier, l’Université Laurentienne a annoncé l’embauche prochaine de 10 professeur.e.s — dont deux pour des programmes en français. L’APPUL y voit une première étape, mais croit qu’il y a encore beaucoup de retard à rattraper, surtout du côté francophone.
Pour la sénatrice Moncion, le travail en cours pour que l’Université de Sudbury accueille des programmes en français est un exemple de solution créative qui émane de la communauté et qui pourrait être encouragée par son projet de loi. « Des consultations peuvent amener ce genre de solution qui peut être gagnante-gagnante pour tout le monde », dit-elle.
La démarche de l’Université de Sudbury pour devenir une université de langue française indépendante est l’une des conséquences qui sera intéressante à suivre à long terme, croit M. Beaupré-Lavallée. « Si la moitié de l’enthousiasme qu’ils ont [dans leur document à la Commission d’évaluation de qualité de l’éducation postsecondaire] se réalise, ils vont être corrects. Il faut qu’on leur donne la puck. Ça représente une occasion d’autonomisation de la francophonie en enseignement supérieur », affirme le professeur.
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