S’attaquer aux problèmes systémiques via l’art

Une professeure de l’Université Concordia présente une exposition sur le patrimoine artistique afro-canadien.

19 mai 2022

Joana Joachim était encore étudiante quand elle a eu l’idée de mettre en valeur les contributions des artistes canadiens noirs. Pendant sa maîtrise en muséologie à l’Université de Montréal, elle a participé à une résidence collective à Artexte – un organisme artistique du centre-ville de Montréal – laquelle avait pour objectif de créer une bibliographie d’artistes noirs et asiatiques, deux groupes historiquement ignorés par les institutions artistiques eurocentriques.

« J’avais l’impression d’avoir seulement gratté la surface, et ça m’est resté en tête. » Aujourd’hui, son exposition Blackity (présentée à Artexte depuis septembre dernier et jusqu’en juin prochain) retrace les grands moments – et, surtout, les lacunes – de l’histoire de l’art noir au Canada.

Occupant depuis peu le poste de professeure adjointe d’études africaines en éducation artistique, histoire de l’art et justice sociale à l’Université Concordia, Mme Joachim estime que l’engagement d’Artexte à s’attaquer aux problèmes systémiques dans le monde de l’art a servi d’inspiration à Blackity. « Ça m’a vraiment influencée, en tant que conservatrice et historienne de l’art », explique-t-elle.

Habilement axée sur le concept de l’éphémère, Blackity expose divers objets à usage unique, comme des brochures et des billets d’entrée. Mme Joachim les trouve essentiels parce qu’ils témoignent d’activités organisées en marge des institutions. Les visiteurs pourront notamment examiner l’affiche d’un spectacle de Tim Whiten, des diapositives des sculptures de Stan Douglas et des revues littéraires recelant des textes de Dionne Brand et de Sylvia Hamilton.

Si plusieurs objets datent des années 1970, la plupart proviennent des décennies suivantes, où l’archivage a véritablement explosé. Pour illustrer ce déséquilibre, Joana Joachim a fait peindre des bandes verticales sur les murs de la salle d’exposition, dont l’épaisseur reflète le nombre d’éléments disponibles – ou le degré de reconnaissance – à une époque donnée. Photo par Paul Litherland.

Si plusieurs objets datent des années 1970, la plupart proviennent des décennies suivantes, où l’archivage a véritablement explosé. Pour illustrer ce déséquilibre, Mme Joachim a fait peindre des bandes verticales sur les murs de la salle d’exposition, dont l’épaisseur reflète le nombre d’éléments disponibles – ou le degré de reconnaissance – à une époque donnée. Dans certaines inscriptions, elle a aussi choisi d’utiliser de grands caractères gris pâle qui symbolisent la place des artistes noirs dans l’histoire du Canada : présents et influents, certes, mais pas reconnus comme tels.

Blackity est le fruit de la collaboration entre Mme Joachim et Mojeanne Behzadi, qui lui succède à Artexte. Cette dernière a recruté les artistes qui ont peint les bandes grises, ainsi qu’Alex Nawotka de Mutual Design pour l’exposition virtuelle. Pour elle, le point fort de Blackity est qu’elle nous rappelle l’importance de documenter tous les types d’expérience possible. « Tous ces spectacles incroyables qui ne laissent pas de traces écrites risquent de tomber dans l’oubli. J’aime le fait que Blackity nous incite à préserver ces souvenirs. » Mme Behzadi décrit l’exposition comme une « bibliographie visuelle » que les chercheurs peuvent utiliser comme référence.

Certains objets ont attiré l’attention de Mme Joachim par leur bizarrerie, comme un taureau miniature retrouvé dans un sac plastique – preuve qu’on ne peut jamais prévoir ce qui sera important. Le cas de l’artiste Khadejha McCall illustre parfaitement la mission de Blackity : malgré le fait qu’elle exposait ses œuvres depuis 1967, Mme Joachim a trouvé qu’une seule phrase à son sujet dans un catalogue de 1993. C’est un exemple flagrant qui illustre la perception de Mme Behzadi à l’effet que les œuvres qui ne sont pas valorisées peuvent rester trop longtemps dans l’ombre.

Dans la description de l’exposition, Mme Joachim explique son souhait de représenter l’art afro-canadien comme une « constellation au lieu d’un canon linéaire ». En s’éloignant du format de la ligne du temps, « on obtient des instants de création qui semblent disparates, alors qu’ils sont pourtant connectés. La constellation, en revanche, nous permet de porter un regard plus nuancé sur l’histoire, les acteurs et l’espace qu’ils occupaient ».

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