Une professeure de l’Université de Toronto recommande de ne pas boycotter les conférences universitaires aux États-Unis

S’appuyant sur son expérience de l’après- massacre de Tiananmen, Ruth Hayhoe affirme qu’il est préférable de collaborer avec les collègues des États-Unis.

09 février 2017
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Alors que s’annonce la saison des conférences pour les professeurs et les étudiants canadiens aux cycles supérieurs de tout le pays, nombre d’entre eux remettent en question leurs projets de participer à des activités universitaires aux États-Unis. En date du 7 février, plus de 6 200 universitaires avaient signé une pétition en ligne appelant au boycottage des conférences internationales aux États-Unis jusqu’à ce que leurs collègues des sept pays mis sur liste noire puissent aussi y participer.

Ils réagissent ainsi au décret du 27 janvier du président Trump qui interdit l’entrée aux États-Unis des citoyens de sept pays à majorité musulmane : l’Iran, l’Irak, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen. Cette interdiction est actuellement suspendue par les tribunaux, mais la bataille juridique se poursuit et le président entend rétablir le décret.

Au lieu d’ajouter son nom à la liste, Ruth Hayhoe, professeure à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario de l’Université de Toronto, et ancienne directrice de l’Institut de Hong Kong pour l’éducation, a publié une déclaration invitant ses collègues à ne pas isoler les universitaires des États-Unis. « Je respecte pleinement la motivation des personnes qui signent la pétition. En même temps, il est important de réfléchir aux façons de faire preuve de solidarité envers nos collègues américains, qui sont nombreux à s’opposer aux politiques actuelles de leur gouvernement », écrit Mme Hayhoe.

Mme Hayhoe a déjà dû prendre une décision en matière de boycottage. Au début de 1989, l’ambassade du Canada à Beijing lui a offert le poste de première secrétaire du Canada à l’éducation et à la culture. Mais le 4 juin de cette année-là, à peine quelques mois avant qu’elle entre en fonction, la répression sanglante des manifestants de la place Tiananmen avait ébranlé le pays. En réponse à cette situation, la communauté internationale a délaissé ses relations diplomatiques avec la Chine en lançant des boycottages et en imposant des sanctions.

Lorsque Mme Hayhoe est arrivée à Beijing en août 1989, un grand calme régnait dans l’ambassade. Aucune visite de politiciens canadiens de haut niveau n’était prévue et il n’y avait pratiquement plus de missions commerciales. Elle s’est trouvée confrontée à un choix difficile : devait-elle suivre la voie des autres ambassades et limiter ses activités, ou bien s’employer à obtenir des ressources supplémentaires et élargir la portée des programmes éducatifs et culturels canadiens?

En fin de compte, « entre 1989 et 1992, notre gouvernement a accru les activités liées aux échanges culturels et éducatifs, car c’étaient les artistes et les étudiants qui étaient les victimes », explique Mme Hayhoe. Selon elle, appuyer la société civile chinoise était la voie la plus sûre vers la réouverture de ce pays, mais les trois années jusqu’à ce que Deng Xiaoping déclare la Chine ouverte au monde ont été une période sombre.

Au cours de cette période, le programme d’échanges universitaires Canada-Chine a continué à financer la mobilité entre les deux pays, et un programme de bourses de complément de spécialisation a permis de faire passer de 20 à plus de 50 le nombre de professeurs chinois qui venaient chaque année au Canada. Sur place en Chine, Mme Hayhoe a établi un réseau de centres d’études canadiennes au sein d’universités chinoises et a créé une série télévisée sur le thème de « la semaine du Canada » qui se déroulait dans diverses villes.

Selon elle, c’est au cours de ces voyages que le meilleur travail a été accompli. « Nous avons créé des liens dans le cadre d’échanges culturels interpersonnels. Nous avons travaillé loin de Beijing et sillonné le pays pour rencontrer les gens. J’ai même essayé de savoir ce qui était arrivé à certains des étudiants qui avaient manifesté. » Elle explique que le réseau s’est étendu à l’échelle de la Chine et a offert un espace aux universitaires qui avaient été censurés pour leur rôle dans les manifestations.

Mme Hayhoe espère que son expérience en Chine permettra d’éclairer les universitaires qui se demandent comment s’opposer aux politiques du président Trump et appuyer concrètement leurs collègues des États-Unis. Selon elle, même s’il y a certainement place pour les boycottages, les réunions qui permettent d’établir des contacts interpersonnels peuvent représenter une plateforme efficace porteuse de changement et une bouée de sauvetage pour les universitaires touchés. Ces réunions donnent la possibilité de se joindre à des mouvements de résistance de l’intérieur et d’entendre de vive voix des récits personnels. « Apprenez ce que les universitaires américains font, obtenez une meilleure compréhension de la réaction sur les campus, et considérez qu’il s’agit d’une leçon sur le processus démocratique », dit-elle.

Grace Karram Stephenson est chercheuse postdoctorale au département de leadership, d’enseignement supérieur et de formation des adultes à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario de l’Université de Toronto.

 

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