Asseoir la légitimité des études des femmes

Bien que plus pertinente que jamais, la discipline semble devoir toujours justifier son existence.

08 mars 2017
Women busy in own work

La mauvaise nouvelle est tombée un lundi soir de février 2016. Plus tôt ce jour-là, Lisa Dawn Hamilton, directrice par intérim du programme d’études des femmes et de genre à l’Université Mount Allison, a eu une fâcheuse surprise : la suppression annoncée du financement de ce programme interdisciplinaire, et donc l’élimination des quatre cours de base malgré la constante liste d’attente et le nombre croissant d’inscriptions.

Cette annonce a vite déclenché une levée de boucliers, et pas seulement de la part des 192 étudiants alors inscrits au programme. Dès le lendemain matin, une pétition en ligne visant à préserver le financement du programme affichait déjà plus de 2 000 signatures. Deux semaines plus tard, ce nombre dépassait les 7 000. Les étudiants n’ont cessé de protes-ter, et des lettres de soutien ont afflué de la part des autres programmes d’études des femmes et de genre offerts au Canada.

Le financement du programme a finalement été maintenu, du moins temporairement. Cédant aux pressions croissantes, l’établissement a accordé une subvention au programme, ce qui permet de couvrir le salaire d’un enseignant pour l’année universitaire 2016-2017. Bien que les responsables du programme de l’Université Mount Allison et ceux qui les appuient se soient réjouis de ce sursis, l’avenir du programme reste incertain.

Cela constitue un quasi-désaveu pour les universitaires de la discipline, déjà contraints de lutter contre la violence à caractère sexiste sur les campus et contre la prolifération des messages antiféministes au sein de la société dans son ensemble. « Nous estimons que les programmes d’études de genre sont plus indispensables que jamais », précise Allyson Jule, codirectrice de l’Institut d’études des genres de l’Université Trinity Western et présidente de l’association nationale de soutien des programmes d’études des femmes et de genre au Canada.

Selon les universitaires, certains des défis auxquels les programmes sont confrontés découlent d’idées préconçues dommageables et sexistes à propos du féminisme, qui serait le fait de femmes sans soutiens-gorge et aux jambes poilues, qui détestent les hommes… Pour contrer ces idées fausses, hélas remarquablement persistantes, de nombreux programmes d’études des femmes ont depuis quelques années changé de nom – devenant, par exemple, des programmes d’études de genre. Certains ont même opté pour des noms complexes évoquant les revendications féministes en matière de diversité. Le programme de l’Université de la Colombie-Britannique a, par exemple, été renommé l’Institut pour le genre, la race, la sexualité et la justice sociale et celui de l’Université Nipissing le département de Genre, égalité et justice sociale. Celui de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard est devenu le programme d’études de la diversité et de la justice sociale. Selon Ann Braithwaite, professeure et coordina-trice du programme à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, « les noms sont comme des invitations, c’est une façon d’exprimer que le programme s’adresse à tous ».

Si certains programmes d’études féministes sont menacés ou en pleine mutation, quelques universités ont récemment pris la décision d’ajouter cette discipline à leur éventail. L’Université Laval a notamment annoncé à la fin du mois de janvier l’ouverture d’un nouvel institut féministe, l’Institut Femmes, Sociétés, Égalité et Équité. De son côté, l’Université de Montréal a accédé à la demande des étudiants et a confirmé en février qu’elle offrira dès l’automne 2017 une mineure en études féministes, des genres et des sexualités.

« Même si l’égalité est acquise dans nos lois, sur le terrain, les femmes ont encore plusieurs conquêtes à faire, ne serait-ce que du côté des lieux de pouvoir. Toute la question de la sexualité et des genres est aussi en pleine redéfinition », souligne Pascale Dufour, professeure de science politique et responsable du nouveau programme de l’Université de Montréal.

Lors de la victoire de Donald Trump aux présidentielles américaines, au début de novembre, nombre d’étudiants en études des femmes et de genre, et de leurs professeurs, ont été atterrés – chose compréhensible compte tenu des multiples remarques désobligeantes et gestes déplacés de M. Trump envers les femmes. À cet atterrement s’est ajouté le constat, terriblement décevant, qu’il était toujours impossible pour une femme de briser le plafond de verre pour accéder à la présidence des États-Unis.

Les mouvements antiavortement et de défense des droits des hommes se sont multipliés sur les campus. De nombreuses femmes les accusent de vouloir contrer l’action féministe, parfois violemment. « Si nous pensions que l’égalité hommes-femmes progressait, je ne crois plus que nous puissions le dire », a souligné Mme Jule, de l’Université Trinity Western, quelques jours après les élections américaines.

Dans les circonstances, les programmes d’études des femmes et de genre sont toutefois en position de force pour orienter les débats sur les campus et en classe. Nombre d’universitaires de la discipline aimeraient qu’un cours d’études des femmes et de genre soit imposé aux étudiants de première année. Selon Mme Jule, ces études sont aussi essentielles à la compréhension du monde que le fait d’étudier l’anglais ou les sciences : « Il est honteux que les études des femmes et de genre soient encore considérées comme marginales ou destinées à une catégorie particulière, dit-elle. Il pourrait en être tout autrement… »

Lauren McKeon est l’ancienne rédactrice en chef du magazine This. Son premier ouvrage, F-Bomb : Field Notes from a Post-Feminist Future, doit paraître à l’automne.

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