En pleine pandémie, les universitaires luttent contre une « infodémie » grandissante
Avec la propagation de la COVID-19, un mélange toxique de rumeurs, d’information erronée et de théories du complot s’est également répandu.
Il a fallu peu de temps. Alors que le nouveau coronavirus se propageait à grande vitesse à travers le monde, un vague de fausses informations se répandait également. Cette marée montante de faussetés et de faits dénaturés a miné la confiance de la population dans les institutions, au point où l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a émis une mise en garde contre cette « infodémie », qui risque d’avoir des effets aussi néfastes que la pandémie.
Certaines théories complotistes sont le produit de forces malveillantes, d’arrivistes politiques ou de gouvernements qui cherchent à camoufler leurs échecs. Mais nombre d’affirmations douteuses sont aussi diffusées par des gens ordinaires dont l’esprit critique est obscurci par la confusion et un sentiment d’impuissance.
Bien qu’alarmantes, ces réactions humaines ne sont pas uniques à la pandémie de COVID-19. « Tous les phénomènes observés aujourd’hui – l’anxiété, les achats effectués sous le coup de la panique, le mépris des conseils de santé, les théories du complot, etc. – se sont déjà produits lors d’autres pandémies, explique Steven Taylor, professeur de psychiatrie à l’Université de la Colombie-Britannique et auteur du livre The Psychology of Pandemics: Preparing for The Next Global Outbreak of Infectious Disease. Cette fois-ci par contre, les médias sociaux changent la donne : les phénomènes prennent rapidement beaucoup d’ampleur. »
Lors des autres pandémies, les contacts entre personnes étaient moins nombreux et la quantité d’information n’était pas aussi importante. De plus, aujourd’hui, les affirmations sensationnalistes de sources non fiables exercent une influence qui l’emporte sur les opinions d’experts, souvent moins bien organisées ou moins rassurantes.
« Les médias sociaux forment assurément une grosse part du problème », affirme Tim Caulfield, titulaire de la chaire de recherche du Canada en droit et en politique de la santé et professeur de droit à l’Université de l’Alberta. Récemment, M. Caulfield a reçu une subvention de 380 000 dollars des Instituts de recherche en santé du Canada et d’Alberta Innovates afin d’examiner comment l’information erronée sur la COVID-19 se propage par l’intermédiaire des médias grand public, des médias sociaux et des moteurs de recherche comme Google. Son équipe analysera les thèmes dominants et les types de messages en circulation afin de déterminer ceux qui deviennent populaires « pour le meilleur et pour le pire ».
De même, des chercheurs du laboratoire sur les médias sociaux de l’Université Ryerson dirigent une initiative internationale en partenariat avec l’OMS qui vise à cibler et à documenter les pratiques exemplaires que les organismes de vérification des faits du monde entier utilisent pour contrer la diffusion d’information erronée sur la COVID-19 dans les médias sociaux en particulier. Cette initiative se base sur les travaux des deux chercheurs principaux, Anatoliy Gruzd et Philip Mai, créateur du COVID-19 Misinformation Portal, un portail qui offre aux Canadiens un éventail de ressources pour mettre en garde contre les affirmations fausses ou trompeuses sur la pandémie.
À l’heure actuelle, l’une des théories du complot les plus répandues concerne la technologie 5G, le réseau cellulaire le plus récent et le plus rapide dont le déploiement à l’échelle mondiale a débuté en 2019. Certaines personnes affirment que le réseau 5G transmet directement le virus, alors que d’autres prétendent que le rayonnement 5G affaiblit le système immunitaire, donc qu’il rend la population plus vulnérable à la COVID-19.
Parmi les autres théories populaires, on trouve celle selon laquelle une fuite accidentelle du virus de l’Institut de virologie de Wuhan serait à l’origine de la pandémie, ou celle voulant que le virus soit une arme biologique conçue par les Chinois ou les Américains. Une autre fausse théorie prétend que la pandémie fait partie d’un plan orchestré par Bill Gates ou George Soros – avec la complicité des géants de l’industrie pharmaceutique – pour imposer à la population un vaccin contenant une puce destinée à pister les gens.
Réponse à un besoin psychologique
Selon Maya Goldenberg, professeure à l’Université de Guelph qui s’intéresse au volet philosophique de la médecine et de la science, les théories complotistes trouvent des adeptes parce qu’elles répondent à un besoin psychologique. « Les histoires dangereuses sont plus réconfortantes, car elles fournissent une explication aux événements qui nous entourent. La COVID cause beaucoup d’incertitude. »
M. Caulfield est du même avis. Chaque affirmation grotesque semble donner une certaine signification, si sombre soit-elle, à la tragédie. « Les humains sont biologiquement programmés pour établir des liens. Cette caractéristique nous avantage du point de vue de l’évolution. Mais dans le cas de la présente pandémie, elle peut nous inciter à imaginer des liens là où il n’y en a pas. »
Même s’ils proviennent de tous les horizons politiques, les adeptes des théories du complot partagent une caractéristique : « En général, les personnes qui se laissent séduire par ces théories font peu confiance aux organismes gouvernementaux en ce qui a trait à leur protection », constate Mme Goldenberg.
Les sentiments de sécurité et de contrôle qu’offrent les théories du complot sont illusoires, mais les dommages infligés à la confiance du public sont bien réels. « Une fois incrustées, ces théories sont difficiles à éradiquer », affirme M. Caulfield, soulignant le danger réel que posent les fausses théories lorsque leurs adeptes décident de les mettre en application. Par exemple, la théorie au sujet de la 5G a mené à la destruction de tours cellulaires en Europe, et plus de 700 personnes sont mortes en Iran après avoir ingéré du méthanol de qualité industrielle, censé les protéger du virus.
Au Canada, l’information erronée fait aussi son chemin. Selon un récent sondage mené par des chercheurs de l’Université de Sherbrooke, plus des deux tiers des personnes interrogées croient que les gouvernements dissimulent de l’information importante sur le coronavirus et quinze pour cent pensent que l’industrie pharmaceutique a joué un rôle dans la propagation. Enfin, près de huit pour cent des personnes interrogées au Québec et seize pour cent ailleurs au Canada croient qu’il existe un lien entre la technologie 5G et le coronavirus. (Plusieurs incendies criminels contre des tours cellulaires au Québec seraient liés à la théorie au sujet de la 5G.)
De même, un sondage mené par l’école de journalisme et de communication de l’Université Carleton révèle que 46 pour cent des Canadiens croient au moins à l’une des quatre théories complotistes et aux idées reçues sur la COVID-19 présentées dans le sondage. Par exemple, plus du quart des personnes interrogées pensent que le virus a été conçu dans un laboratoire chinois pour en faire une arme biologique.
Défiant toute logique, une partie de la population canadienne et américaine soutient que le coronavirus n’est qu’un canular. De nos jours, il est plus facile d’entretenir des croyances comme celle-là qu’autrefois, estime M. Taylor de l’Université de la Colombie-Britannique. « Lors de la pandémie de grippe espagnole en 1918, il y avait des cercueils dans les maisons et certains s’alignaient dans la rue à la vue de tous. Aujourd’hui, les morts ne sont pas montrés. Ils représentent de ce fait un concept beaucoup plus abstrait qui permet aux gens de recourir à la distraction cognitive. »
La dynamique des médias sociaux peut aussi exagérer notre tendance à la crédulité, car les plateformes comme Facebook incitent à la mobilisation plutôt qu’à la recherche des faits. Gordon Pennycook, professeur adjoint de psychologie à l’Université de Regina et autorité en matière de recherche sur la psychologie de la désinformation, a découvert que dans les médias sociaux, les gens relaieront une histoire même s’ils n’y croient pas.
Lors d’une expérience, M. Pennycook a présenté aux participants divers gros titres (vrais et faux) à propos de la pandémie. Les participants ont jugé que les fausses nouvelles étaient vraies dans 25 pour cent des cas. Mais lorsqu’il leur a demandé s’ils transmettraient ces fausses nouvelles, 35 pour cent d’entre eux ont répondu par l’affirmative.
Parmi les obstacles à notre capacité de filtrer le flot d’information qui circule en ligne, nos opinions préconçues figurent en tête de liste. Selon M. Pennycook, nous devons nous livrer à une réflexion introspective et comprendre notre susceptibilité à relayer les fausses nouvelles lorsqu’elles correspondent à nos croyances.
Il suggère que les médias sociaux, par des interventions relativement directes, pourraient inciter leurs utilisateurs à faire preuve d’un plus grand discernement. Par exemple, les sites pourraient diffuser des messages publicitaires sur l’exactitude de l’information ou amener leurs utilisateurs à s’interroger sur la véracité des nouvelles qu’ils partagent.
Selon les psychologues, les fausses nouvelles captent l’attention en suscitant des sentiments comme l’indignation. À l’aide de quelques trucs simples, les diffuseurs de fausses nouvelles peuvent rendre leurs messages insidieux plus convaincants. Par exemple, une affirmation accompagnée d’une image sera jugée plus crédible. Il est également prouvé que plus une information circule dans un fil de nouvelles, plus l’utilisateur lui accordera de la crédibilité, même si elle le laissait sceptique au départ.
Scepticisme et manque de confiance envers la science
M. Caulfield estime que la pandémie actuelle exacerbe les tendances qui avaient déjà cours dans la société, comme le manque de confiance envers les grandes institutions, les dirigeants politiques et de nombreuses sources d’information. La foi en la science pourrait être une autre victime de ce populisme marginal, mais croissant. Un sondage effectué en 2019 par la société Ipsos pour la multinationale 3M révèle que 32 pour cent des Canadiens doutent de la science et que 44 pour cent croient que les scientifiques sont élitistes.
« De nombreuses personnes ne comprennent pas que les connaissances scientifiques ne sont pas immuables et que la science évolue constamment, explique M. Caulfield. Les gens croient qu’il ne faut pas faire confiance aux scientifiques, car ils changent d’avis. »
Avec son groupe de recherche, M. Caulfield compte cerner l’information erronée qui circule, puis concevoir et mettre en œuvre des solutions fondées sur des données probantes pour contrer le discours nuisible. Le groupe projette également d’émettre des recommandations pour aider les médias, le milieu médical, les chercheurs du domaine biomédical et la population en général à s’attaquer au problème et à faire partie de la solution.
M. Caulfield croit que les scientifiques et les experts en santé publique doivent s’affirmer davantage dans le discours public sur la COVID-19 et faire reculer la désinformation. Il croit également que le public doit réagir, en personne ou sur les médias sociaux, en présentant des faits dans les discussions dominées par les rumeurs ou les idées conspirationnistes.
« J’espère que la pandémie nous aura appris l’importance des connaissances scientifiques et des institutions de qualité, et qu’elle nous aura ouvert les yeux sur les dommages que la pseudoscience et la désinformation peuvent infliger au débat public », conclut-il.
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