Le décanat selon des doyens
Le travail d’un doyen est difficile, prenant et parfois même solitaire, mais il est aussi gratifiant.
Une semaine après avoir été nommé directeur du Département d’agriculture de l’Université de Guelph, un rôle qui l’amènerait à occuper son poste actuel de doyen du Collège de l’agriculture de l’Ontario, Rene Van Acker a envoyé un courriel à Murray Ballance, son ancien directeur de département à l’Uni-versité du Manitoba : « Bonjour Murray. Excuse-moi. Rene. »
« Je m’excusais d’avoir été un professeur typique, peu favorable à l’administration, ne sachant trop ce que cette responsabilité représentait », explique-t-il. Il amorçait tout juste sa carrière de cadre universitaire. Plus tard, il découvrirait que le poste de doyen comporte un tout autre lot de défis et de satisfaction. Afin de mieux comprendre ce rôle et de vous permettre de juger s’il vous convient, nous avons demandé à plusieurs doyens de nous livrer leur expérience et quelques conseils.
La tâche du doyen
La nature exacte du poste varie selon les établissements, mais de manière générale, le doyen assure la gestion des étudiants et des professeurs d’un côté et la liaison avec la haute direction de l’autre. Selon Rebecca Taylor Duclos, doyenne de la Faculté des Beaux-Arts de l’Université Concordia depuis 2015, et ancienne doyenne des études supérieures à l’École de l’Institut d’art de Chicago, le doyen fait office de médiateur.
« Le doyen est un intermédiaire. D’une part, il communique la vision de l’université du point de vue de la haute direction et, d’autre part, il est le porte-parole des professeurs, cherchant constamment à trouver un équilibre entre les deux », affirme-t-elle.
Pour concilier cette multitude d’intérêts divergents, il est aussi néces-saire d’organiser de nombreuses rencontres individuelles. « Habituellement, je passe neuf ou dix heures en réunion chaque jour, affirme Mme Duclos. Les gens attendent parfois jusqu’à un mois pour me rencontrer. Il faut donc être à l’écoute en tout temps, ce qui peut être épuisant sur le plan émotif, dit-elle. Il faut savoir jongler avec une abondance de renseignements et de nombreuses décisions à prendre. »
« Le doyen est un intermédiaire. »
Chris Andersen, qui a été nommé doyen de la Faculté des études autochtones de l’Université de l’Alberta l’an dernier après avoir occupé le poste à titre intérimaire, divise ses responsabilités en quatre catégories : gestion, coordination, encadrement et communication. La gestion comprend les budgets, la gestion du personnel et les campagnes de financement. La coordination touche les politiques et procédures internes ainsi que la gestion des demandes provenant de l’extérieur. L’encadrement vise à faire évoluer la carrière des universitaires débutants et à valoriser le personnel de soutien. La catégorie communication relève de la mission et de la vision de l’Université. Elle englobe la mise en oeuvre des objectifs stratégiques et leur transmission aux professeurs, aux étudiants et à la population.
La transition du poste de professeur à celui de doyen a été un choc pour M. Andersen. Du jour au lendemain, il est devenu très matinal. « Je me lève maintenant à 5 h 30 pour pouvoir travailler sans interruption avant l’arrivée des autres employés », déclare-t-il.
Les défis
Quand Isabelle Dionne est devenue doyenne de la Faculté des sciences de l’activité physique de l’Université de Sherbrooke en 2014, elle ne se doutait pas de la quantité de petits feux qu’elle aurait à éteindre. « On a l’impression que tout roule, que tout le monde donne ses cours et fait sa recherche, et qu’il n’y a pas d’urgence à régler. Pourtant, les urgences occupent une grande part de mon quotidien. Je n’avais pas prévu cela », mentionne-t-elle.
Ali Dastmalchian, doyen de l’École d’administration des affaires Beedie de l’Université Simon Fraser depuis 2016 (auparavant doyen de l’École d’administration des affaires Gustavson de l’Université de Victoria et doyen de la Faculté de gestion à l’Université de Lethbridge) croit lui aussi que le rôle de doyen est très prenant. « Je travaille régulièrement quinze heures par jour. Malgré les urgences quotidiennes, il faut garder l’oeil sur la stratégie à long terme. »
Outre les longues heures de travail et les questions internes à résoudre, d’autres difficultés attendent le doyen. Selon M. Dastmalchian, il est parfois difficile d’être le porte-parole d’une université, surtout d’une école de gestion où les frais de scolarité sont élevés et où le financement est essentiel.
« Il faut être endurci, savoir accepter la critique, et faire preuve d’une bonne écoute. » Il faut aussi avoir confiance en ses capacités, susciter la participation des professeurs et des étudiants, et former de bons comités consultatifs. En fin de compte, le doyen est le porte-parole universitaire alors que les relations publiques représentent une importante part de ce travail.
« Je travaille régulièrement quinze heures par jour. Malgré les urgences quotidiennes, il faut garder l’oeil sur la stratégie à long terme. »
« Il faut faire des présentations, expliquer notre rôle auprès de la collectivité, la force en recherche de l’Université et la qualité des diplômés. Mais il faut aussi gagner la confiance de nos propres intervenants au sein de l’Université, affirme M. Dastmalchian. Les gens sont attentifs à chacune de nos paroles, il faut donc être très prudents dans nos communications. Notre opinion représente les valeurs et la mission de l’Université. Elle suscite donc des réactions de toutes parts. »
De son côté, Mme Dionne se voit comme une rassembleuse. « Il faut mobiliser les gens pour que tout le monde aille dans la même direction. Il y a des fois où le moral des troupes a besoin d’être remonté un peu, il faut être un modèle de résilience, puis il faut prendre cela avec le sourire », soutient-elle.
Être doyen signifie aussi qu’il faut prendre des décisions complexes et composer avec des budgets parfois serrés. « Selon moi, l’aspect financier représente la plus grande difficulté », affirme Margaret Steele, qui est devenue la première doyenne de la Faculté de médecine de l’Université Memorial en 2016, après avoir été vice-doyenne des relations avec les hôpitaux et les facultés à l’École de médecine et de dentisterie Schulich de l’Université Western. Selon elle, quiconque aspire à un poste de direction doit apprendre ce qu’est une feuille de calcul.
Les avantages
Journées interminables, isolement, paperasse… y a-t-il des avantages à être doyen? « C’est un travail formidable qui nous permet de connaître les réalisations extraordinaires des professeurs, des étudiants et du personnel, dit Mme Steele. Nous avons l’occasion de faire progresser l’Université, de parler aux gens de la collectivité du travail extraordinaire que nous faisons, et de promouvoir l’interconnectivité. C’est formidable. J’aime faire de l’encadrement et aider les gens à élargir leurs réseaux pour progresser dans leurs travaux ou leur carrière. C’est bien de pouvoir les aider à saisir les occasions. »
« Il faut mobiliser les gens pour que tout le monde aille dans la même direction. Il y a des fois où le moral des troupes a besoin d’être remonté un peu, il faut être un modèle de résilience, puis il faut prendre cela avec le sourire »
M. Andersen, de l’Université de l’Alberta, trouve lui aussi une grande satisfaction dans l’encadrement. « J’essaie de faire en sorte que l’expertise des professeurs chevronnés profite à ceux qui sont en début de carrière. D’un point de vue stratégique, j’aime trouver comment harmoniser les objectifs et les possibilités de la Faculté avec ceux de l’Université dans son ensemble », souligne-t-il. Il tire aussi une grande satisfaction, en tant que doyen des études autochtones, à contribuer à l’avancement de cette discipline relativement nouvelle. « J’ai vu dans ce rôle l’occasion de renforcer la collaboration des départements d’études autochtones à l’échelle régionale et internationale. »
Mme Duclos, de l’Université Concordia, se réjouit d’avoir une vue d’ensemble. Ainsi, elle peut suivre les activités de la Faculté des Beaux-Arts et guider la manière de les harmoniser à la scène culturelle montréalaise et à celle de l’Université. « J’ai une perspective privilégiée qui me permet de voir comment les départements interagissent, dit-elle. Il m’arrive souvent de présenter des personnes qui travaillent dans le même milieu depuis des années, mais qui ne se sont pourtant jamais rencontrées. C’est un poste formidable pour ceux qui aiment avoir une vue d’ensemble et qui aiment favoriser la collaboration. »
Le rôle vous convient-il?
Les doyens interrogés disent aimer leur travail. Seriez-vous du même avis? Pour le savoir, ils conseillent d’évaluer vos forces. Posez-vous aussi quelques questions importantes : Aimez-vous avoir une vision globale? Êtes-vous prêt à réduire considérablement vos activités de recherche et d’enseignement au profit de vos tâches administratives?
À cet égard, M. Andersen dit ceci : « Les futurs doyens doivent être honnêtes envers eux-mêmes et se demander s’ils sont réellement prêts à mettre de côté leurs activités de recherche, tout particulièrement si leur identité professionnelle repose sur leur passion pour la recherche et les années qu’ils y ont consacrées. »
Mme Dionne, de l’Université de Sherbrooke, n’a pas le luxe de choisir entre les deux. « J’ai une chaire de recherche, donc je ne peux pas laisser tomber ce côté-là. Bien sûr, j’aimerais parfois avoir trois heures à moi pour rédiger une demande de subvention, un article ou simplement pour réfléchir », reconnaît-elle.
Selon M. Van Acker, il faut accorder au service au moins la même valeur qu’à la recherche. « Vous devez avoir un esprit axé sur le service. Avec le temps, j’ai compris que je tirais une grande satisfaction à aider mes collègues à surmonter les obstacles pour qu’ils réalisent leurs objectifs. » Selon lui, occuper un poste de direction par intérim est une excellente façon de tâter le terrain pour déterminer si un rôle au sein de l’administration vous convient. Il repense au temps où il était directeur de département à l’Université de Guelph. « Dans le poste, j’ai beaucoup appris sur la gestion des budgets, sur les ressources humaines, sur l’élaboration de programmes d’études et sur le fonctionnement de l’Université. »
Les candidats au poste de doyen doivent évaluer honnêtement leurs compétences interpersonnelles et leur aptitude au leadership. Avant de poser sa candidature, Mme Steele, de l’Université Memorial, a commencé par cibler les compétences dont elle aurait besoin, puis a obtenu du mentorat, suivi des programmes de formation et occupé des fonctions de leadership. « J’ai suivi des cours qui m’ont permis d’acquérir les compétences dont j’avais besoin pour devenir doyenne. Si vous envisagez sérieusement ce poste, considérez vos forces et vos expériences, discutez avec des doyens et suivez des cours sur le leadership. »
Conseils à l’intention des nouveaux doyens
Pour s’adapter à ce rôle dynamique, les nouveaux doyens doivent évaluer rapidement leur nouvel environnement et obtenir du soutien. Mme Duclos conseille avant tout de renforcer son réseau. « Sortez de votre bureau, tout particulièrement durant la première année. Soyez omni-présent, rencontrez le plus de gens possible et tendez l’oreille. Organisez des activités sociales, c’est une des manières les plus simples de rapprocher les professeurs et les
étudiants », explique-t-elle.
M. Andersen recommande de demander conseil à ses collègues. « J’ai été agréablement surpris par l’accueil chaleureux des autres doyens. N’hésitez pas à leur poser des questions, même si elles vous semblent idiotes ou naïves », dit-il. Selon lui, vous devez d’abord évaluer vos compétences. « J’ai une manière de pensée plutôt chaotique. Pour moi, les choses ne sont pas forcément noires ou blanches, alors il est parfois difficile de rester organisé et de faire plusieurs choses en même temps sans m’épuiser. »
Vous devrez également vous adapter à une nouvelle dynamique. « Le leadership s’accompagne parfois d’un grand isolement. La manière dont vous abordez certaines questions se répercute sur l’image que projette l’université », poursuit M. Andersen. Malgré ses réticences, il a demandé l’aide d’un conseiller professionnel pour l’aider dans sa transition.
« Avant de devenir doyen, je n’aurais jamais envisagé ce genre de chose, mais aujourd’hui, je me félicite de l’avoir fait. C’est un volet important qui me permet de ne pas me sentir isolé étant donné que le rôle de doyen vous met un peut à l’écart. Vous passez de quelqu’un qui est ami avec ses collègues à quelqu’un qui entretient des relations amicales avec les professeurs. Qu’on le veuille ou non, il se crée une certaine distance », admet-il.
« Le leadership s’accompagne parfois d’un grand isolement. La manière dont vous abordez certaines questions se répercute sur l’image que projette l’université »
En ce qui concerne l’isolement, Mme Dionne formule ce conseil : « Demandez-vous si vous êtes prêt à accepter que vos décisions puissent déplaire à certains. Prenez le temps de parler aux gens que vous avez heurtés au passage, même si ce n’était pas volontaire. Parfois, il suffit d’un courriel pour dire à l’autre que vous êtes désolée en lui expliquant pourquoi vous avez décidé d’aller dans une certaine direction. »
Elle conseille enfin de prendre soin de soi. Selon elle, il est facile de se consacrer au travail et de perdre de vue tout le reste. « J’ai trois enfants, donc j’ai une vie de famille. Je m’étais fait la promesse de ne jamais laisser mon travail de doyenne nuire à ma santé ou à ma famille. Heureusement, mon conjoint est très présent et m’aide énormément. »
La plupart des doyens admettent que les avantages l’emportent sur le stress, et qu’il ne faut pas se laisser intimider par les responsabilités administratives. « Habituellement, nous devons convaincre les gens d’envisager une carrière au sein de l’administration. Disons que les candidats ne se bousculent pas au portillon, constate M. Van Acker. Cela s’explique en partie par le fait que nous recherchons des professeurs et des chercheurs passionnés, et non de fervents administrateurs. Peut-être devrions-nous inciter davantage les gens à réfléchir à cet aspect. »
Avec la collaboration de Pascale Castonguay.
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