Pleins feux sur l’étude
de la littérature canadienne-anglaise

L’impact de la controverse, de la modification des programmes et de l’évolution des points de vue sur l’enseignement de la littérature canadienne-anglaise.

06 mars 2020
burning book in men hand

Cet article est un sommaire de l’article « Setting the CanLit canon on fire ».

La littérature canadienne-anglaise a connu des années difficiles à la fin de la dernière décennie. Les malheurs ont commencé vers 2015, lorsque des accusations d’agression et de harcèlement sexuels dans des programmes universitaires de création littéraire ont fait la manchette et mené au congédiement d’au moins un professeur. Plusieurs auteurs bien connus ont par la suite lancé la campagne UBCAccountable qui a reçu un accueil plutôt froid en tentant de dénoncer la façon dont l’Université de la Colombie-Britannique avait traité les plaintes formulées contre un membre du corps professoral.

Il y a eu ensuite la controverse du « prix de l’appropriation » en 2017, née de l’article d’un éditorialiste blanc publié dans le magazine du groupe The Writers’ Union of Canada qui encourageait l’appropriation de l’expérience autochtone en littérature. Toujours en 2017, l’identité de l’auteur Joseph Boyden, qui suscitait depuis longtemps des questions à mots couverts, a été publiquement contestée. M. Boyden, qui s’est prévalu d’occasions destinées aux écrivains autochtones, aurait menti sur ses origines. Les dernières années ont également été le théâtre de discussions tendues sur l’exclusion des écrivains handicapés et l’absence de visibilité des écrivains noirs. Dans ce contexte, des critiques en sont venus à se demander quelles sont les voix mises de l’avant et celles réduites au silence.

Laura Moss, professeure d’études anglaises à l’Université de la Colombie-Britannique et rédactrice en chef de Canadian Literature, estime qu’avant de se pencher sur l’avenir de la littérature canadienne-anglaise au cours de la prochaine décennie, il faut d’abord la définir. « On parle de littérature canadienne-anglaise à la fois pour décrire le milieu canadienanglais de l’écriture et de la publication, et son champ d’études », fait-elle remarquer. Pour comprendre les changements qui s’opèrent sur le plan de l’activité savante, il faut mettre en contexte les discussions actuelles à la lumière de l’historique de résistance dans le domaine, fait valoir la professeure. Mme Moss explique qu’il y a toujours eu des écrivains hors norme « qui parvenaient difficilement à publier leurs écrits ou à se faire entendre, ou qui pensaient différemment ».

Aujourd’hui, les cybercommunautés offrent une plateforme de choix à ces voix dissidentes. Elles permettent également à un vaste auditoire de discuter du contexte sociohistorique d’une oeuvre littéraire. Auparavant, ces discussions ne se tenaient que dans le milieu universitaire et les cercles littéraires.

Sur le campus Scarborough de l’Université de Toronto, Karina Vernon situe également les oeuvres étudiées en classe dans le contexte politique et historique d’hier et d’aujourd’hui, mais elle élargit la définition du document historique. Depuis quelques années, elle donne un cours aux cycles supérieurs intitulé « #Black Lives Matter: Contemporary Black Canadian Literature » qui a pour objectif de « faire la lumière sur la réalité et le combat politique des personnes noires au
Canada » au moyen d’une sélection d’oeuvres qui « présentent un éventail de récits et d’expériences trop souvent mis de côté dans la représentation des Canadiens noirs dans les médias ». Mme Vernon trouvait important de discuter de ces questions en classe, mais elle était consciente du danger.
« J’ai attendu d’obtenir ma permanence, car je ne savais pas comment la proposition serait accueillie par mon département, explique-t-elle. Finalement, je n’ai reçu que des encouragements. »

Mme Vernon profite également du processus annuel d’élaboration des plans de cours pour remettre en question le choix des auteurs abordés en classe et de ceux qui sont laissés pour compte. Elle a lancé une discussion en classe à ce sujet en demandant à ses étudiants de choisir un endroit au pays et de trouver un texte qui y a été écrit avant 1900. Un étudiant autochtone a ainsi porté son choix sur la réserve des Six Nations de la rivière Grand et a trouvé le tout premier journal qui y a été publié. Mme Vernon a expliqué à ses étudiants que les journaux sont un exemple de documents qui figureront dans les anthologies de demain, aux côtés des documents gouvernementaux et des récits des colons blancs qui s’y trouvent déjà. « Je veux que mes étudiants adhèrent à une définition très malléable, imaginative de la littérature canadienne, afin de pouvoir également remettre en question cette définition », explique la professeure.

Certains croient cependant que le simple fait d’élargir les plans de cours n’est pas suffisant. Canadianiste de formation (spécialiste de l’étude du Canada), titulaire de la Chaire de recherche du Canada en vérité, réconciliation et littérature autochtone à l’Université de Regina et ancienne présidente de l’Association d’études littéraires autochtones, Michelle Coupal estime que la littérature autochtone ne devrait pas être enseignée dans les cours de littérature canadienne. « La littérature autochtone est un domaine d’études en soi qui fait l’objet de travaux et qui repose sur des méthodologies et des démarches totalement différentes du point de vue de la recherche, dit-elle. Il existe une façon totalement différente d’aborder les oeuvres littéraires autochtones sous un angle critique qui tient soigneusement compte des protocoles autochtones, de concert avec les collectivités littéraires autochtones. »

L’ampleur de la littérature autochtone fait en sorte qu’il n’est plus nécessaire, voire éthique, de l’enfermer dans le carcan des traditions colonialistes. Mme Coupal trace un parallèle avec la littérature canadienneanglaise, qui s’est un jour dissociée de la littérature britannique et de la littérature américaine pour devenir un champ d’études distinct. Que diraient les canadianistes si la littérature canadienne était soudainement assimilée encore une fois à la littérature britannique? « Vous pouvez déjà les entendre s’indigner d’un bout à l’autre du pays, n’est-ce pas? »

Malgré cela, Mme Coupal demeure optimiste concernant l’avenir de la littérature canadienne-anglaise comme champ d’études. « J’ai énormément de respect pour la littérature canadienne-anglaise, dit-elle. Les chercheurs canadiens se penchent sur ces enjeux et n’hésitent pas à se remettre en question et à remettre en question la discipline de manière très “productive”. »

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