Alors que Sarah Elaine Eaton était chargée de cours, l’ancien vice-recteur à l’enseignement et à l’apprentissage de l’Université de Calgary lui a demandé de participer à la rédaction d’un rapport interne sur l’intégrité universitaire, depuis, le sujet la hante. Rapidement, elle a constaté que peu d’études avaient porté sur la question au Canada. Une fois son titre de professeure agrégée en poche, elle en a donc fait l’un de ses domaines de recherche. En 2021, elle a publié l’ouvrage Plagiarism in Higher Education: Tackling Tough Topics in Academic Integrity. « Le livre s’adresse aux professeurs, aux professionnels des universités qui travaillent auprès des étudiants, aux bibliothécaires, aux décideurs, soit à quiconque travaillant dans le milieu de l’enseignement supérieur, affirme-t-elle. Il faut arrêter de diaboliser les étudiants. Pour aborder de front la question de l’intégrité universitaire, il faut adopter une approche transversale. Nous avons tous un rôle à jouer. Les étudiants ont certes une part de responsabilités, mais il en va de même pour les professeurs et les administrateurs. »
Les recherches de Mme Eaton révèlent que, lorsque des infractions sont commises, la grande partie du blâme est souvent jeté sur les étudiants, même si bien souvent, ceux-ci ignorent en quoi consiste le plagiat ou en sont mal informés. Elle est d’avis que les professeurs devraient être davantage formés quant aux manières de repérer le plagiat et de l’expliquer aux étudiants afin qu’ils puissent l’éviter. « Tous les professeurs sont confrontés à des manquements à l’intégrité universitaire tôt ou tard dans leur carrière, et être bien outillés pour traiter le problème avant qu’il n’arrive leur sera grandement utile. »
Elle précise que les services de soutien à l’enseignement et à l’apprentissage dans les universités commencent à offrir davantage de formation continue aux professeurs. Ce qui s’avère utile, car ses recherches démontrent que la plupart d’entre eux ont appris à gérer les cas de plagiat de leurs propres professeurs. Ce qui peut perpétuer des idées préconçues sur le plagiat plutôt que d’inciter les professeurs à adopter une approche constructive.
En plus de mettre en relief cette idée dans l’extrait qui suit, Mme Eaton offre des conseils aux professeurs pour cerner les biais susceptibles de teinter leur jugement et reconnaître les situations de plagiat.
En tant qu’éducateurs, nous travaillons souvent au sein de départements, qui eux font partie de facultés qui forment une organisation vouée à l’éducation. Si nous semblons travailler en silo, nous appartenons en réalité à un système plus large dont une des raisons d’être est d’enseigner et de favoriser les occasions d’apprendre. Le fait de repérer et de s’occuper des cas de plagiat et des autres inconduites universitaires s’inscrit dans le mandat institutionnel consistant à garantir la qualité de l’éducation offerte, il est cependant impossible d’extraire les cas d’inconduite du contexte d’enseignement et d’apprentissage dans lequel ils surviennent.
De nombreux éducateurs mettent la croissance des étudiants au premier plan, une idée selon laquelle « l’intelligence peut être développée ». Carol Dweck, experte du domaine, la décrit ainsi : les personnes convaincues de pouvoir développer leurs talents (par le travail appliqué, les bonnes stratégies et l’aide des autres) sont orientées vers la croissance. Elles réussissent généralement mieux que celles qui pensent que le talent est inné, car elles se soucient moins des apparences que de l’énergie qu’elles investissent dans leur apprentissage. Plusieurs éducateurs trouvent cette approche positive et y voient un bon moyen d’apprendre. Ils consacrent du temps et de l’énergie à comprendre comment cultiver cet esprit de « croissance » chez leurs étudiants et à la favoriser dans leurs cours. Une conviction qui finit toutefois à la poubelle dès qu’ils sont confrontés à un cas de plagiat ou d’inconduite universitaire. Beaucoup d’études ont été publiées quant à la manière dont les professeurs perçoivent et traitent le plagiat, mais très peu portent sur la réponse émotionnelle et psychologique de ces éducateurs à ces incidents. Ce qu’on observe, c’est qu’ils réagissent avec émotivité quand ils suspectent ou confirment un cas de plagiat. Il est vrai qu’il peut être déroutant, frustrant et décevant de réaliser qu’un étudiant a commis cette faute. Or, il ne faut pas pour autant qu’un éducateur s’écarte du système de pensée qui a guidé jusqu’alors ses pratiques professionnelles. Si vous êtes orienté vers la croissance, vous pourriez gagner à garder ces convictions à l’esprit lorsque vous êtes confronté à la complexité du plagiat ou d’autres manques à l’intégrité. Il est crucial de ne pas tomber dans l’écueil du « Je t’ai attrapé! », de jouer à la « police du plagiat » ou encore de lancer une « chasse aux sorcières ». Il faut absolument résister à cette réaction instinctive qui pousse à juger l’étudiant coupable ou immoral. En échangeant notre rôle pour celui du bourreau, nous rejetons tous les principes fondamentaux de l’enseignement qui nous ont inspirés à choisir ce métier. Ne soyez pas si prompts à juger. Demandez-vous d’abord ce qui est arrivé, comment c’est arrivé, et pourquoi c’est arrivé. En somme, restez orientés vers la croissance même s’il semble y avoir entorse à l’éthique.
Connaître nos biais
On demande souvent à nos étudiants de faire appel à leur sens critique. Il est donc normal d’en attendre autant des professeurs, de l’administration et du personnel de soutien, qui doivent montrer l’exemple. Cette réflexion commence par une prise de conscience par rapport à nos biais cognitifs et par l’adoption de mesures pour les atténuer. Les professeurs et les autres membres du milieu universitaire peuvent voir le plagiat d’un étudiant comme un manque de respect flagrant envers les attentes liées à l’enseignement et les règles, et conclure hâtivement qu’il est délibéré. Lorsqu’il est question de ce genre d’inconduites, leur jugement peut être influencé par un certain nombre de biais tels que :
Biais de confirmation
Il s’agit d’une tendance à se concentrer sur les éléments qui confirment les préjugés. Cette tendance peut même être observée chez des scientifiques de formation. Le biais de confirmation nous amène parfois à insister sur le caractère intentionnel des cas de plagiat ou de tenir pour acquis que l’étudiant impliqué est fainéant. Ils le sont parfois, mais de nombreuses études montrent que ce n’est pas la norme.
Biais d’ancrage
Aussi appelé « focalisme », il décrit le phénomène selon lequel une personne base l’essentiel d’une décision ou d’une conclusion (potentiellement erronées) sur un premier renseignement partiel. Par exemple, un professeur pourrait conclure par erreur que les étudiants qui commettent du plagiat le font intentionnellement sur la simple base d’un rapport institutionnel faisant état d’exemples de plagiat. Ces rapports aident à comprendre comment ces cas sont officiellement signalés et traités sur le plan institutionnel, mais omettent souvent des renseignements importants. Par exemple, ils ne mentionnent pas les études montrant qu’une grande proportion de professeurs ignorent les politiques et procédures officielles et règlent les cas d’inconduite et de plagiat directement avec l’étudiant. De plus, même si les rapports institutionnels présentent des renseignements précis sur les cas traités dans les règles, ils n’en offrent pas toujours sur la fréquence des cas ni sur les raisons poussant les étudiants à plagier.
Biais d’autocomplaisance
Ce biais nous amène parfois à nous attribuer les mérites des événements positifs et de nos réussites (attribution interne) et à blâmer des facteurs externes pour les échecs (attribution externe). Par exemple, un professeur pourrait juger qu’un étudiant est coupable de plagiat parce qu’il est fainéant ou tricheur, sans se demander s’il a lui-même été clair sur la manière de citer les sources ou de trouver des explications. Parfois, le biais d’autocomplaisance pousse des professeurs à se dédouaner eux-mêmes de leurs responsabilités dans les cas de plagiat, et ce, même si les données démontrent que plus les consignes sont claires, mieux les étudiants peuvent cerner les attentes.
Biais de l’angle mort
Ce biais se manifeste par une tendance à croire que la vision subjective n’appartient qu’aux autres. Dans un cas de plagiat, un professeur pourrait croire que son jugement est parfaitement objectif, mais que celui des autres est subjectif. Quand on travaille en enseignement, on doit impérativement faire attention aux biais et éviter les généralisations sur le plagiat, surtout l’idée selon laquelle il est toujours délibéré. Nous devons faire cet effort malgré la frustration et l’exaspération, car en tant que professionnels de l’enseignement supérieur, nous devons donner l’exemple et nous en tenir aux faits plutôt que de nous laisser guider par nos émotions.
Reconnaître les cas de plagiat
On utilise souvent le terme « détection » pour désigner le processus visant à repérer les cas de plagiat, ce qui s’avère problématique, puisqu’il sous-entend que le professeur est un détective et que son rôle consiste entre autres à surveiller le travail des étudiants. Cette connotation manichéenne propage l’idée qu’il existe un rapport d’opposition entre les étudiants et les professeurs, qu’il faut pourtant chercher à éviter. Les mots utilisés pour parler de l’intégrité et des inconduites universitaires ne doivent pas être choisis à la légère. C’est pour cette raison que je préfère employer les termes « cerner » ou « reconnaître » plutôt que « détecter », afin d’éviter que les mots connotent un « Je t’ai attrapé! », ou traduisent une présomption de culpabilité. « Cerner » ou « reconnaître » un cas de plagiat sont deux termes neutres qui tendent vers une approche plutôt constructive que punitive. Les cas potentiels de plagiat peuvent être repérés de deux façons : par l’humain ou par un logiciel. Je précise « cas potentiels », puisque cerner des cas de plagiat se rapporte à un processus plutôt qu’à un instant précis, et requiert une analyse attentive, lors de laquelle il faut éviter de tirer des conclusions hâtives. Dans cet extrait, je présente plusieurs méthodes utilisées par les éducateurs afin de reconnaître le plagiat dans les travaux d’étudiants. J’emploie le terme « éducateurs » pour englober les professeurs, auxiliaires d’enseignement, bibliothécaires et toute autre personne qui entre en contact avec des étudiants ou leurs travaux.
La reconnaissance des cas de plagiat par les éducateurs
Le processus de reconnaissance d’un cas de plagiat s’amorce généralement par un soupçon ou une impression que quelque chose cloche. Lorsqu’un éducateur a des doutes quant à l’identité de l’auteur du travail qu’il corrige, il s’agit souvent là d’un des signes précurseurs du plagiat. Dans ces cas, les éducateurs devraient suivre leur intuition et utiliser le soupçon en tant qu’outil leur permettant de déterminer si une analyse approfondie est nécessaire. Si quelque chose sonne faux dans le travail d’un étudiant, on ne doit pas ignorer la chose ni verser dans des hypothèses. En tant qu’éducateur, vous êtes la personne la plus susceptible de pouvoir cerner un cas d’inconduite universitaire, puisque vous êtes le premier point de contact de l’étudiant et que vous connaissez la matière du cours en question. Voici certains des signes avant-coureurs qui permettent de reconnaître le plagiat dans un travail d’étudiant :
– Changement soudain du ton ou du style : que ce soit un texte, un design, de la musique, de l’art ou un code informatique, des changements soudains de ton ou de style peuvent indiquer que différents individus ont contribué à la création du travail. Si certaines parties du travail sont pauvrement rédigées, surtout l’introduction ou la conclusion, et que le reste est sans faille, il est possible que l’étudiant n’en soit pas l’auteur principal.
– Changement de la police ou de la couleur des caractères : un brusque changement de la police de caractères peut indiquer qu’une portion du travail provient d’ailleurs.
– Vocabulaire complexe ou jargon : la présence de vocabulaire spécialisé ou technique que l’étudiant ne serait pas nécessairement en mesure de connaître peut traduire un cas de plagiat, tout comme l’utilisation de mots vieillis ou qui ne sont plus d’usage.
– Erreurs de citation ou de référence et styles bibliographiques variés : certains étudiants ont l’habitude de copier des citations d’une source afin de les intégrer dans leur travail. Je vous invite ici à faire preuve de discernement, car les étudiants qui manquent de confiance ou de connaissances en matière de références bibliographiques se fient généralement à l’auteur d’une source et supposent qu’il connaît mieux les règles de citation qu’eux. Voilà qui indique que, même si les compétences et connaissances de l’étudiant doivent être améliorées, ses intentions ne sont pas nécessairement mauvaises.
Cet extrait ne présente qu’un survol des différentes façons dont les éducateurs arrivent à reconnaître des cas de plagiat, la liste ci-dessus n’étant pas exhaustive. Cerner et confirmer les cas de plagiat dans les travaux d’étudiants requiert une analyse attentive de la part des éducateurs.
Ce texte est un extrait de Plagiarism in Higher Education: Tackling Tough Topics in Academic Integrity (ABC-CLIO, mars 2021). Il a été modifié, raccourci et publié avec les autorisations requises.
Avec la collaboration de Tara Siebarth.
Je suis triste de constater que la professeure Eaton ne fait pas appel au sens critique et à l’intelligence pédagogique des enseignantes et enseignants en leur suggérant de revoir leurs consignes pour les travaux demandés à leurs étudiants afin de les rendre significatifs et de leur permettre de faire la démonstration d’un apprentissage en profondeur. Je porte la conviction profonde que les enseignantes et enseignants ont le pouvoir de susciter des comportements intègres en cherchant à faire faire les apprentissages visés et en tenant compte du besoin de sens des étudiantes et étudiants envers les études : je le considère comme des passeurs d’intégrité. J’aimerais tellement qu’ils et elles se perçoivent ainsi et prennent la pleine mesure de leur pouvoir pédagogique.