Intelligence artificielle, enseignement supérieur et l’avenir de l’encadrement des travaux de recherche

Le coapprentissage pour utiliser efficacement les outils d’intelligence artificielle.

L’Université de l’Alberta a organisé l’an dernier, un atelier sur l’intelligence artificielle (IA) générative à l’intention de celles et ceux qui encadrent des étudiant.e.s aux cycles supérieurs. On a ainsi pu se pencher sur les apports et les difficultés de l’IA, échanger des réflexions, espoirs et craintes, et penser aux potentielles prochaines étapes à entreprendre. Partout sur la planète, les universités sont aux prises avec les mêmes questionnements. Il est donc important de faire connaître les conclusions tirées par chaque établissement, pour alimenter la conversation globale sur l’IA et nos observations et intentions en la matière. Le but étant que cette mise en commun des idées pourra, avec un peu de chance, mieux outiller le milieu de l’enseignement supérieur.

En terrain inconnu, on cherche souvent nos repères en puisant dans ce qui nous est familier. C’est ainsi que de mon côté, l’atelier m’a rappelé les paroles du célèbre astronome et vulgarisateur scientifique Carl Sagan : « Nous vivons dans une société remarquablement dépendante des sciences et de la technologie, mais dont les membres, à quelques exceptions près, n’en savent pas grand-chose ». Dans le contexte qui nous préoccupe, l’observation de l’astronome n’est pas une mise en garde, mais une lueur d’espoir potentielle. Il s’agit surtout d’une invitation à prendre les choses en main et à considérer avec soin comment composer avec cette remarquable dépendance.

Si certaines personnes connaissent bien l’IA, nombre d’entre nous découvrent à peine ses boîtes noires – et c’est très bien ainsi. Car la part d’excitation qui accompagne l’incertitude, la fibre qui alimente notre soif de savoir et de découverte, compose une grande part de notre ADN d’universitaires et nous aide à former la relève. Nous avons conscience du potentiel de l’IA. Nous avons aussi conscience de ses pièges. Il nous faut malgré tout absolument apprendre à utiliser ces outils de façon efficace pour former les étudiant.e.s aux cycles supérieurs que l’on accompagne.

Les étudiant.e.s se fient aux personnes qui dirigent leurs travaux pour se faire guider dans le labyrinthe de la recherche, du milieu universitaire et des technologies. Des outils d’intelligence artificielle comme Google Gemini, ChatGPT et MidJourney, malgré leur puissance technologique, ne devraient pas supplanter le processus pédagogique. Nous avons pour mission de réduire le fossé du savoir tout en préservant l’équilibre entre la mise à profit de ces outils et la protection de l’intégrité universitaire et du développement intellectuel. Voici quelques-unes des conclusions qui ont émergé des échanges en atelier.

  • Co-apprentissage de l’IA : notre mission est d’encadrer les étudiant.e.s aux cycles supérieurs et il nous incombe donc de bien comprendre les tenants et aboutissants de l’IA, non seulement pour guider les personnes à notre charge, mais aussi pour initier des échanges porteurs avec elles. L’idée n’est pas de maîtriser cette technologie avant les étudiant.e.s, mais de profiter de la chance que nous avons de la découvrir à leurs côtés.
  • Sensibilisation à l’utilisation éthique de l’IA : les outils d’IA sont de plus en plus utilisés pour la recherche universitaire et, comme directrices et directeurs de recherche, nous devons établir le cadre nécessaire pour un environnement intègre. Nous devons notamment mettre en place des lignes directrices claires quant à l’utilisation de l’IA dans les travaux universitaires. Au-delà d’inciter les étudiant.e.s à citer l’outil d’IA et la requête utilisés dans leurs travaux de recherche, nous devons absolument insister sur l’importance de poser leurs questions autant aux universitaires qui les entourent qu’aux outils.
  • IA et esprit critique : les étudiant.e.s doivent acquérir les compétences nécessaires à une évaluation approfondie de l’utilisation potentielle de l’IA pour leurs travaux de recherche. Les personnes qui les encadrent doivent insister sur l’importance de développer leur esprit critique en matière d’IA, tout en les sensibilisant à la littéracie des données et à la compréhension d’outils comme ChatGPT. En cette époque où l’IA offre des réponses toutes faites, nous devons impérativement nous assurer que les étudiant.e.s construisent toujours leur savoir de façon proactive.
  • Réduction des inégalités d’accès : l’IA devient de plus en plus essentielle aux travaux universitaires et nous devons donc nous attaquer aux difficultés techniques et économiques à la source des inégalités d’accès. En ciblant certaines ressources et en offrant un certain soutien, par exemple en offrant des abonnements gratuits à des outils d’IA, nous pouvons améliorer l’accessibilité de cette technologie et l’inclusivité de nos campus.
  • Participation des étudiant.e.s aux décisions les concernant : les premières personnes concernées par l’utilisation de l’IA à l’université sont les étudiant.e.s, ce qui rend leur perspective sur les politiques et pratiques en la matière d’autant plus précieuse. En les encourageant à prendre part aux processus décisionnels et en intégrant à nos programmes pédagogiques les questions relatives à l’éthique de l’IA, nous pouvons leur insuffler un sentiment de responsabilité et les mobiliser à user de leur esprit critique en ce qui a trait à l’IA. Leur participation peut prendre de nombreuses formes, de l’organisation d’ateliers à la contribution aux politiques de l’établissement.
  • Mobilisation des étudiant.e.s dans la planification de la recherche : plus les étudiant.e.s apprennent à utiliser les outils d’IA pour réaliser leurs travaux, plus il leur devient essentiel de s’impliquer activement dans la planification de leurs recherches. Des échanges ouverts sur les apports potentiels de l’IA, ses lacunes, ses biais et les aspects éthiques à considérer sont un bon moyen de favoriser la responsabilité et l’autonomie chez vos étudiant.e.s et de les encourager à faire preuve d’esprit critique quant à leur parcours universitaire.

Dans cette sphère en constante mutation, notre objectif reste le même, soit celui de transmettre aux étudiant.e.s aux cycles supérieurs les savoirs, les compétences et l’éthique nécessaires à la réalisation de travaux de recherche porteurs. L’IA ne remplace pas les modèles pédagogiques traditionnels. Elle les bonifie, en nous offrant de nouvelles pistes à explorer et de nouveaux défis à relever.

Jay Friesen conçoit des programmes pédagogiques pour la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université de l’Alberta, où il est également chargé de cours adjoint à la Faculté des arts (apprentissage par engagement communautaire). Renee Polziehn est directrice du perfectionnement professionnel à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université de l’Alberta.

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