Les élites universitaires doivent tendre la main aux autres

« Nous devons prendre conscience des réalités sociales qui nous séparent d’un grand nombre de nos concitoyens et agir en conséquence. »

08 mars 2017

Permettez-moi de faire appel à votre patience. J’ai la double citoyenneté canadienne et américaine et je suis une lectrice invétérée du magazine The New Yorker, dont j’attends impatiemment l’arrivée chaque semaine. Mais impossible de rester à jour : les numéros s’empilent inévitablement et j’attends l’accalmie des Fêtes pour passer au travers. Cette année, ma pile remontait au début de novembre. Lorsque je me suis assise pour lire, je me suis souvenue où j’étais pendant les semaines entourant l’élection présidentielle américaine.

Le soir de l’élection, je me trouvais à Ottawa, à la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes, où j’ai suivi les résultats à la télévision en compagnie de mes collègues. Confrontée à une nouvelle réalité inattendue, j’ai commencé à m’interroger sur ce que cela signifiait pour nos universités.

Un peu plus d’une semaine plus tard, alors que je discutais avec d’autres membres du Comité consultatif sur l’examen du soutien fédéral à la recherche fondamentale, Anne Wilson, membre du comité et psychosociologue avisée de l’Université Wilfrid Laurier, nous a suggéré de lire le livre American Amnesia de Jacob Hacker et Paul Pierson (codirecteur du programme Sociétés réussies de l’Institut canadien de recherches avancées). Cet ouvrage décrit le processus sociopolitique qui a amené le public à se méfier de plus en plus du gouvernement et des « élites » intellectuelles et ainsi préparé le terrain pour l’étonnant résultat des élections. Mme Wilson nous a rappelé qu’un phénomène semblable pourrait se produire ici même, au Canada, et a demandé comment nous pourrions préserver la pertinence de nos universités et faire en sorte que l’électorat comprenne leur utilité.

Peu après, le tourbillon des Fêtes m’a occupée jusqu’à la fin de décembre, lorsque j’ai entamé ma lecture de vacances avec un court article frappant de Jill Lepore, professeure d’histoire à l’Université Harvard. Son article faisait partie d’une compilation de 16 brèves réactions à l’élection publiée dans le numéro du 21 novembre du magazine The New Yorker. Mme Lepore a écrit : « De nombreux Américains ont perdu confiance en un gouvernement qui n’a pas su corriger des inégalités de plus en plus grandes, et en des décideurs, des universitaires et des journalistes qui s’en sont à peine rendu compte » [Traduction].

Le 10 janvier (et plusieurs numéros du New Yorker plus tard), j’ai entendu le président sortant Obama invoquer à son tour la responsabilité des universités de se mobiliser : « Pour trop d’entre nous, il est devenu plus sécuritaire de nous réfugier dans notre bulle, qu’il s’agisse de notre quartier ou des campus […] entourés de gens qui nous ressemblent et qui partagent nos convictions politiques » [Traduction]. À ce stade, je m’étais mise à réfléchir intensément au rôle des universités dans l’état de la société nord-américaine et à ce que nous devions faire pour composer avec ce qui nous attendait après l’investiture.

Nos universités ont manifestement un défi à relever. Nous devons nous demander comment rendre l’enseignement et les travaux de recherche pertinents, faciles à comprendre et utiles pour les gens qui sont divisés par le fossé des inégalités, et comment réduire l’écart existant. Il faut que les gens sachent et comprennent de quelle façon nos activités sont liées à leur bien-être. Nous devons enseigner à nos étudiants à distinguer les faits de la fiction, à produire et à interpréter des données probantes, à saisir les inégalités sociales et leur origine, et à valoriser la diversité, sans oublier de les préparer à intégrer un marché du travail en constante évolution.

Ce qui m’amène à parler d’un autre article que j’ai lu pendant mes vacances des Fêtes, celui d’Elizabeth Kolbert intitulé « Our Automated Future » (Notre avenir automatisé), et ayant comme sous-titre « How long will it be before you lose your job to a robot? » (Combien de temps avant qu’un robot ne vous vole votre emploi?)(The New Yorker, numéros des 19 et 26 décembre). Les chercheurs canadiens font partie des chefs de file mondiaux du domaine de l’intelligence artificielle, cette science dont Mme Kolbert décrit les répercussions dans son article. Elle illustre comment ces nouvelles découvertes passionnantes qui repoussent les frontières du savoir ont, peut-être malgré nous, entraîné une stagnation de l’emploi pour les électeurs de la classe moyenne, ceux-là mêmes qui se sentent exclus par rapport aux universitaires et aux autres élites.

En revanche, nous vivons à une époque d’innovation fascinante qui peut améliorer de nombreux aspects de la vie des gens. Pourtant, certaines de ces inventions enrichissent considérablement un groupe de personnes relativement restreint alors que d’autres perdent leur emploi. Dans son discours d’adieu, M. Obama a déclaré : « La prochaine vague de dislocation économique ne viendra pas d’outre-mer. Elle viendra du rythme implacable de l’automatisation qui rend beaucoup de bons emplois de classe moyenne obsolètes » [Traduction]. Ces paroles m’ont inspiré deux questions simplistes : lorsque les robots occuperont tous les emplois, paieront-ils des impôts? Et s’ils n’en paient pas, comment nos gouvernements auront-ils les moyens de subventionner la recherche, sans parler des soins de santé?

Ma lecture de vacances m’a convaincue que, pour que les citoyens élisent des hommes et des femmes politiques qui se dévouent à la cause de l’enseignement et de la recherche universitaires, nous devons veiller à ce que nos travaux, nos idées et nos campus soient accessibles et importants pour tout le monde et pas seulement pour nos étudiants et nous-mêmes. Nous devons prendre conscience des réalités sociales qui nous séparent d’un grand nombre de nos concitoyens et agir en conséquence.

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